8 juillet 2024
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Le comput de Chechonq I et l’amazighité

ANALYSE

Le comput de Chechonq I et l’amazighité

« Pour certains, Sheshonq apparaissait comme un souverain étranger, mais cet aspect ne fut pas retenu dans les annales royales ni par Manéthon qui ne caractérise pas la XXIIe dynastie comme étrangère au contraire de ce qu’il fait de la XXVe, « éthiopienne », ou la XXVIIe perse ». Frédéric Payraudeau

Quoiqu’il en soit, on ne peut pas reprocher aux militants berbéristes de s’être appropriés la figure du fondateur de la XXIIe dynastie égyptienne pour défendre une culture millénaire qui est si souvent niée par ses propres fils mais toujours est-il que la date de l’accession au pouvoir en 943 de ce Libyen d’Egypte marque une séquence en référence à l’histoire de l’Egypte ancienne.

Or, des Libyens qui ont migré vers l’Egypte ou qui ont guerroyé contre les pharaons, il y en a eu dès le début de l’histoire. Indépendamment des guerres tribales relevées par les Préhistoriens, il y a eu une multitude de guerres entre les pasteurs nomades parcourant le Sahara et les populations installées dans la vallée du Nil.

A tel point que les souverains libyens d’Egypte ont eux-mêmes combattu « l’infiltration d’autres tribus libyennes venant de la Cyrénaïque ». Et de beaucoup, les Égyptologues considèrent la représentation du triomphe royal de la palette de Narmer, l’acte constitutionnel de l’Etat pharaonique ou la naissance de la première dynastie égyptienne. Malheureusement, cette représentation contient à coup sûr la propagande pharaonique qui met au pas le chef libyen Ouash (?).

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Pris sous cet angle et malgré les différentes interprétations, il est difficile de faire dire à l’iconographie autre chose que ce que voulait représenter le pharaon vainqueur. Dans tous les cas, cette imagerie de « la famille libyenne » durera du règne de Sahouré, IVe dynastie à Taharqa, XXVe dynastie qui est pourtant étrangère d’origine kouchite. La stèle triomphale de Piankh’y narre la campagne militaire menée contre la XXIVe dynastie saïte.

En effet, la meilleure illustration de la propagande royale est le cintre de la stèle du roi Piankh’y reproduite par Frédéric Payraudeau dans : l’Egypte et la vallée du Nil, Tome 3, les Époques tardives (1069-332 av. J.-C.), p .181, Paris, 2020, montrant le roi protégé par Amon et Mout recevant la soumission des roitelets de la Moyenne et de la Basse Egypte à droite  et des chefs des Mâ du Delta à gauche.

Certainement la vallée du Nil a connu autant que le Sahara des rivalités tribales caractéristiques des chasseurs-cueilleurs puis des groupes pasteurs nomades, mais la grande guerre de la période archaïque qui a opposé les Libyens aux Egyptiens est l’empreinte d’une ethnologisation des groupes sociaux que d’autres mettent ‘en rapport avec la naissance de l’Etat et le nomadisme persistant.

A cet effet, l’antagonisme sédentaires/nomades ou le Maghzen opposé au bled al Siba est alimenté par toute une littérature socio historique qui trouve en la personne d’Ibn Khaldoun, le théoricien le plus accompli de la civilisation humaine (Al Umran). Pour revenir à l’Egypte, malheureusement, nous ne connaissons rien de cette guerre qui date de la période archaïque c’est à dire de la dynastie 0 et 1 entre 3300 et 3100 de la chronologie nagadienne.

En partant de ce constat, nous pouvons considérer que les approximations lexicales de Khélifa Mahieddine (l’An I du calendrier amazigh (berbère) Journal El Watan du 03 novembre 2018) sont trop légères pour être acceptées. A ce titre, nous prenons quelques exemples de ces approximations linguistiques pour exprimer l’aporie consécutive à une telle démarche qui rappelle de beaucoup ce que disait l’égyptologue français Jean Leclant des travaux de Cheikh Anta Diop.

Or, le mot Assouan qui pour l’auteur veut dire « ils ont bu » n’est pas recevable parce que le mot comme tel n’existe pas dans l’antiquité égyptienne, il portait le nom égyptien de Sounou ou copte Souan translittéré en arabe Aswan. Nous pouvons faire la même chose des autres mots comme le Nil, le roi Djer, Anekhi, Adon, Amon, etc.

Toujours est-il qu’un rapprochement linguistique est possible dans tous les cas attestés par le parallélisme sémantique. Malheureusement l’assertion de Vycichl (le Nil) évoquée par Khélifa Mahieddine renvoie à une linguistique historique où l’étymologisme rend plus difficile la restitution de la langue parlée des locuteurs et surtout la reconstitution de la Protolangue qui est une pure fiction linguistique.

Plus sérieusement, revenons aux travaux de Werner Vycichl qui reprend un article publié en 1957 dans il affirmait que le nom Nil était d’origine berbère. Pour tout dire, nous laissons le soin au même auteur de rectifier le tir de la façon : Dans la conclusion, « il écrit : « en égyptien nn « inondation » (mot tardif), mais aussi nnw « eau primordiale », nyny « verser de Геаu (sur les mains de l’hôte) » et, probablement, en copte CNHINI (B) « machine d’irrigation, noria, ou, plus précisément, « sâqiya», leeli « couler » (sang) ; – en accadien nïlu{m) « inondation », nayyãlu « celui qui irrigue, jardinier», na’ïlu «plaine irriguée»; – en berbère : libyque’ Lilu « eau », ilei « mer » (Djerba) ; – en couchitique, selon Reinisch, lil « être liquide, humide » ; E. M. Roper a lïl «to be liquid», To-Bedauye, Hertsford 1928 p. 212).

Il est probable que les formes de l’égyptien (dont la langue littéraire ne possédait pas la consonne l) remontent à *nl, *nlw, *nyly et *s-nyly.t. Il s’agirait donc, non d’un emprunt, mais d’un terme commun du chamito-sémitique. Peut-être le nom du Nil vient d’un terme désignant l’inondation, comme al-Faid chez Zamakhchari au Moyen Age (Kitâb al-‘Amkina, éd. Salverda de Grave, p. 127). » Aegyptus, 52, Genève, 1972.

Quant à la chronologie, l’auteur de l’article se fourvoie dans le discours des origines qui n’apporte rien de neuf sur la société archaïque libyenne. Il reprend la chronologie nagadienne (Nagada IIIA1-IIIB (3300/3100) au cours de laquelle fusionnent les confédérations tribales représentées par des symboles totémiques dans l’iconographie égyptienne (Bernadette Menu, Le symbolisme animal et l’émergence de l’Etat fédéral puis de l’Etat centralisé, Histoire sociale et économique de l’ancienne Egypte, Volume I- Tome 1, CNRS Editions, Paris, 2018, pp. 128-133).

A ce jour, on ne connaît pas bien la provenance de ces groupes confédérés même si l’archéologie égyptienne fournit de plus en plus d’éléments sur les Néolithiques égyptiens (site de Wadi Sura, 6000 ans) qui a tort ou à raison ne sont pas considérés comme des éléments probants de la culture de l’Egypte pharaonique. Quelques auteurs voient dans le cercle mégalithique de Gebel Ramla, 8000 ans, à travers l’observatoire céleste, la première manifestation culturelle proprement égyptienne.

Certainement la question de l’origine ne relève pas de la science mais toujours est-il que les processus de la formation de la civilisation égyptienne est contributive du don du Nil qui est lui-même un écosystème – dont la genèse peut s’expliquer par la géologie- auquel les Néolithiques de diverses provenances ont dû s’adapter grâce à un environnement beaucoup plus favorable pour fuir l’assèchement du Sahara.

C’est certainement la disparition du Sahara vert qui a contribué à l’ethnicisation des groupes de chasseurs-cueilleurs et des pasteurs nomades. Et c’est seulement à ce titre que le rupestre peut apporter des arguments probants pour établir une filiation génétique ou tout du moins des apparentements mythographes à travers la thérianthropie.

Quant au calendrier, une nouvelle fois Khelifa Mahieddine affirme des choses sans aucune argumentation pour convaincre. Alors que la plupart des spécialistes de l’Egypte ne cessent de dire que le calendrier égyptien a été conçu en fonction du Nil rythmé par les trois cycles : Akhbet, Inondation, Péret, Germination, Shémou, Moisson. Du coup, on ne voit pas comment les rythmes annuels des pasteurs sahariens ou celui des agriculteurs nord-africains sont semblables à celui de l’Egypte antique.

En toute circonstance, les seuls Berbères d’Egypte connus ce sont uniquement ceux des annales de la XXIIe dynastie et quelques noms furtifs mentionnés par d’autres rois. Nous pouvons aussi identifier les souverains libyens des XXIIIe et XXIIe dynasties sans pour autant certifier leur filiation généalogique parce qu’on risque de plonger dans la question de l’origine des noms sauf approcher la distribution archaïsante des attributs de la royauté.

Pour tout dire, établir l’ancienneté du peuplement de l’Afrique du Nord n’est qu’une gageure mais en revanche les traces d’une société amazighe archaïque restent notre principal objectif. Et c’est dans ce sens que l’égyptologie, même en tant que pure science inventée par l’Occident comme d’ailleurs l’ethnologie, peut fournir des informations utiles à une meilleure connaissance des Amazighs archaïques.

Auteur
Fatah Hamitouche, ethnologue

 




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