23 novembre 2024
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Le coup d’éventail d’Ahmed Gaïd Salah

Un 5e mandat en 90 jours ? 

Le coup d’éventail d’Ahmed Gaïd Salah

Contre vents et marées, les institutions mises en place par l’ex-Président de la République chassé du pouvoir par la déferlante du mouvement protestataire du 22 février, préparent  un 5e mandat pour un candidat du système. Que peut le coup d’éventail de Gaïd Salah donné au conseil constitutionnel ?

Alors que le mouvement protestataire du 22 février est l’expression d’une rupture épistémologique avec le système politique, ses représentations symboliques, ses structures partisanes, son parti totémique, le FLN et ses dérivés, ses institutions dont il s’est servi à des fins prédatrices, ses constitutions réécrites comme des brouillons, soumises aux appétits  de clans maffieux, les héritiers du bouteflikisme s’emploient à des opérations de faux et usage de faux en s’acharnant à réaliser ce qu’ils appellent « la transition ».

« Changement dans la continuité »

Parmi les nombreuses entrées que donne Le Larousse sur ce terme, il y a celle : Degré. Stade intermédiaire – qui constitue un état, une étape intermédiaire mais aussi celle-ci : Manière de lier les parties d’un discours. Eléments de transition. Ces deux acceptions sémantiques, à savoir le changement dans la continuité, caractérisent le complot institutionnel et constitutionnel ourdi présentement par un conseil constitutionnel que le coup d’éventail de Gaïd Salah a renvoyé à son abécédaire : la constitution, l’enjoignant, sine die, pour une « sortie de crise immédiate », à l’application de l’article 102 puis des 7 et 8.  

Cette chambre noire n’en a jamais fait cas depuis la maladie pourtant connue et reconnue, avérée plus qu’handicapante de l’ex-Président de la République pour lequel, durant ses vingt ans de règne, ce même conseil constitutionnel, n’était qu’une antichambre de ses nombreuses cours de parades et d’allégeances. Feignant le respect d’une légalité institutionnelle dévoyée non seulement par  ceux et celles qui la représentent, s’étant empiffrés à à tous les râteliers du Bouteflikisme, mais surtout par la perte progressive et irrémédiable d’une légitimité fut-elle formelle auprès du citoyen algérien, les membres du conseil constitutionnel, paradoxalement, clament leur légitimité de la « notification » de la démission de Bouteflika, précipitée, quoique soignée dans ses formulations protocolaires et médiatiques.

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Mais ils feignent d’oublier que celle-ci n’a été possible, en leur sein, que  par cet énergique et cinglant coup d’éventail de Gaïd Salah à l’institution moribonde de Tayeb Belaïz, qui a fait se réunir, pour un petit marathon, avec les mêmes acteurs des coups bas, des traquenards, des râteliers, des guet-apens, des souricières d’hier, un parlement souffleté par l’Etat-major de l’ANP et une Assemblée nationale sans véritable assemblée pour préparer une « transition de 90 jours » avec pour mission express : acter définitivement la démission du Président de la République, nommer le président du conseil du conseil constitutionnel comme le prévoit l’article 102  dégainé par Gaïd Salah Chef de l’Etat pour la période de « transition » de 90 jours en vue de préparer les prochaines présidentielles du 18 avril.

Ce coup d’éventail énergique de Gaïd Salah s’arrêtera-t-il à la conquête du conseil constitutionnel ? Car il s’agit bien d’une conquête avant la prise d’Alger, capitale politique désormais vibrant au rythme d’insurrections citoyennes du 22 février qui refuse la politique de « la transition » et clame celle de « la rupture », exigeant la départ de tout le système dans lequel s’active les deux prétendues chambres au nom de l’article 102 alors qu’elles sont décriées, décrédibilisées, fourvoyées par les quatre mandats de l’ex-Président prédateur et conspirateur, qui ne peuvent donc lui survivre et recouvrer, comme par miracle leur prétendue crédibilité.  En admettant que Gaïd Salah, vice-ministre de la Défense nationale dans le « nouveau » gouvernement de pacotille, censé avoir être nommé par l’ex-Président de la République, assène un autre coup d’éventail à la nomination du Président du conseil constitutionnel comme chef de l’Etat pour cette « période transition » de 90 jours, que l’architecture du processus en lui-même demeure en l’état de sa logique électoraliste, que les 3 B partent, que Tayeb Belaïz ne soit pas Chef de l’Etat de la transition, que ce soit un candidat du Képi ou un « trois quart », cela ne change rien car, dans un jeu, ce ne sont pas les pions qui le font mais la règle, son système.

Or, c’est son bâti, son architecture, ses règles que le mouvement protestataire citoyen appelle d’une seule voix à démonter et non remplacer les hommes ou les femmes dans la même logique du bâti fourbe institutionnel du système duquel est sorti le premier B mais  dans lequel font encore leur nid tous les autres B et G. Entre « la transition » et « la rupture », nulle doute que Gaïd Salah est dans l’inconfort de l’entre-deux. Son coup d’éventail dans les clans de la « transition » ne signifie pas une abdication avec arme et bagage au mouvement citoyen de la protestation du 22 février. Contrairement au janvièriste Khaled Nezzar qui a sauvé l’Algérie en arrêtant la logique meurtrière du conseil constitutionnel en 1992, le « martien » Gaïd Salah semble s’accommoder d’une même logique aussi meurtrière s’il n’est pas mis fin à son processus dit, avec « euphémisme » d’une régénérescence du pouvoir post-Bouteflika avant qu’il ne soit trop tard : arrêter la mascarade et remettre toutes les clés au mouvement de la protestation citoyenne au plus tôt. Car, ce n’est pas l’article 102, ni le 7 et le 8, encore moins cette logique ad hoc et taillée depuis 1962 sur mesure à la redistribution effrénée de la rente, c’est à dire la rente, qui résoudra, en 90 jours, par la voie des urnes,  une crise profonde, matricielle.

Même si  dans l’histoire de la conquête française de l’Algérie, les historiens écartent   ce prétendu coup d’éventail (de 1827 donné à Alger par le Dey Hussein à Deval refusant avec arrogance de  rembourser un prêt), qui aurait provoqué le débarquement de 1830, il en reste néanmoins le mythe. Et le mythe survit au fait non élucidé. Souffleté à distance par un Gaïd Salah qui multiplie ses harangues à ses djounouds aux frontières du pays, l’institution de Tayeb Belaïz a essuyé le coup sans rechigner, sans bouger.

Elle n’engage pas le processus de l’article 102 car c’est l’ex-Président de la République qui a pris les devants ; il avait annoncé d’abord son intention de démissionner, puis fixé l’échéance de sa démission, enfin sa démission dans un message médiatisé avant qu’il ne soit remis au conseil constitutionnel où il s’était rendu. C’est lui qui « notifie » son « auto-empêchement » anobli par un message antithétique à son incapacité clinique à gouverner. La ruse n’aura pas payé comme la supercherie de son refus d’un 5e mandat déguisé en un 4e et demi.

Alors qu’il allait crier victoire par cette démission forcée de son chef des Armées par une double force conjuguée – son coup d’éventail sur le conseil constitutionnel et la pression des vendredi de la protesta de la rue – Gaïd Salah se rend à l’évidence que cette démission, butin de son coup d’éventail, allait le consacrer sauveur de l’Algérie par la rébellion citoyenne. Mais il semble que le slogan de la protesta « djeich, chaab, khawa, khawa », n’appelle pas à une lune de miel entre l’armée et le peuple.

Certes, il peut prêter à ambiguïté. Mais le mouvement, par ses différentes voix, distingue la tête du Général et les soldats de la base auxquels il s’adresse. Ecartelé entre « une transition » qui serait sous le contrôle du Képi et une promesse d’un « changement radical » au mouvement de la protestation à défaut de lui céder le pouvoir, Gaïd Salah est présentement dans l’expectative, voire le désarroi. Dans ses nombreux discours de « crise », le vice ministre de la Défense nationale n’a cessé de réitérer que le peuple algérien est entre « de bonnes mains » comme s’il n’était pas majeur et vacciné. Dans sa tentative d’infantiliser le mouvement protestataire du 22 février, il lui dénie son incapacité à s’autonomiser et à gérer la crise.

A supposer qu’il  dégaine cette fois l’illégitimité de la composante du conseil constitutionnel tel que défini par l’article 183 de la Constitution stipulant : « Le Conseil constitutionnel est composé de douze (12) membres : quatre (4) désignés par le Président de la République dont le Président et le vice-président du Conseil, deux (2) élus par l’Assemblée Populaire nationale, deux (2) élus par le Conseil de la Nation, deux (2) élus par la Cour suprême et deux (2) élus par le Conseil d’Etat… », peut-il asséner un autre coup d’éventail plus cinglant  contre le Président et le vice-Président de ce conseil, désignés, comme lui, par l’ex-président de la République ? Ainsi, en s’empêtrant dans les pièges des lois d’une Constitution devenue un panier à crabes, Gaïd Salah se prend dans ses propres pièges. Nommé lui-même dans le « gouvernement de transition » au même poste de vice-ministre de la Défense nationale par l’ex Président de la République dont il a précipité la démission dans les arcanes des clans officiels d’El Mouradia et officieux de Sidi Fredj, il reste un élément clé d’un système qui n’a pas encore abattu toutes ses cartes dans son second épisode de l’après démission doucereuse de l’ex- candidat de généraux ripoux.

Ex-fidèle de Bouteflika, Gaïd Salah est un homme du système qui l’a promu et maintenu au poste. Il peut, certes, et c’est ce qu’il fait, donner des coups d’éventail dans la fourmilière du système tout en appelant à la légalité institutionnelle de ce même système qui, arguant du fait que ses hommes de transition, même décriés, ne peuvent être assimilés aux institutions qu’ils ne représentent plus désormais, ils n’y sont que pour une période de transition.

Autrement dit, pour continuer ce que n’a pu obtenir le partant : un 5e mandat du système toujours en place après le 18 avril en 90 jours. Et, dans la hâte, la précipitation aveugle, pour imposer encore et toujours par la malversation, la ruse et la violence sa légitimité constitutionnelle, le système en place, dans lequel se placent après le départ du B au 4 mandats, les trois autres B, le gouvernement, le conseil constitutionnel, l’assemblée nationale, le FLN, et d’une façon beaucoup plus pernicieuse l’Armée, change de tactique, voire de stratégie : comment faire dévier le mouvement de la protestation du 22 février de son caractère pacifique ? Les premiers signes avant-coureurs de sa diabolisation apparaissent déjà dès ce septième vendredi : imploser les rangs des manifestants par des jeunes prisonniers de droits communs libérés, payés et munis d’armes blanches pour semer la zizanie lors de la manifestation, réduire les accès autoroutiers vers la  capitale les vendredi, interpellations de « meneurs », violences verbales et physiques sur Facebook à l’encontre de personnalités de la société civile et politiques.

Il serait naïf de croire, répétons-le, qu’un système maffieux, dont les pratiques et mœurs sont celles du grand banditisme, bâti sur la violence, la rapine, pourrait céder les rênes du pouvoir pacifiquement.

Le danger qu’il faut d’ores et déjà prévoir et contrer, c’est son départ. Est-ce pour cela que Gaïd Salah a compris en dégainant cette fois, non les armes létales comme un 5 octobre 88 contre les jeunes aussi pacifiques que ceux d’aujourd’hui mais une rafale d’articles de lois d’une constitution dépassée par les évènements et un coup d’éventail impuissant à provoquer le dégagement du système dont il est…

Rachid Mokhtari, écrivain journaliste

 

Auteur
Rachid Mokhtari, écrivain et journaliste

 




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