Ma première expérience avec la police d’Alger : l’affaire du pistolet volé. Je n’avais que 16 ans, quelques mois, à peine, après avoir perdu mon père, je me retrouve dans un commissariat de police à Alger, accusé d’avoir dérobé le pistolet d’un policier qui occupait une chambre de l’hôtel de mon père. Établissement essentiellement occupé par des hommes du bled et géré par mon oncle.
Tout commence un après-midi de novembre. C’était mon tour de garde pour recevoir les clients et louer ce qui restait comme lits à ces clients venus des quatre coins de Kabylie, en quête d’hébergement bon marché dans la Capitale. Nous étions quatre à faire une rotation de garde selon un agenda planifié en fonction des occupations de chacun.
Dans ce groupe, il y avait mon frère aîné, exclu de l’école dès ses 18 ans et mes deux cousins, à peu près du même âge que moi, à une année près. Comme j’étais collégien, mon tour était fixé au jeudi après-midi, demi-journée libre à l’époque. J’en profitais souvent, quand la clientèle se faisait rare, d’avancer dans mes devoirs, en élève appliqué.
Ce jour-là donc, j’étais confortablement installé dans le bureau de l’hôtel, m’acharnant sur un problème de mathématiques ou une leçon d’arabe que j’avais du mal à assimiler. Il faut dire qu’ayant débarqué de France quelques années auparavant, j’avais énormément de mal à rattraper mes lacunes dans la matière d’Abu El-3alla el-ma3ari.
En fin d’après-midi, mon tour de garde terminé, mon frère vint me remplacer. Je m’en retourne à l’appartement que nous partagions, ma mère, mon frère et moi, avec la famille de mon oncle ; sa femme, mes deux cousins et une cousine en bas âge. C’est ainsi dans toute famille kabyle ; on se serre les coudes jusqu’à explosion fatale. Un éclatement souvent initié par des belles-sœurs qui ne s’entendent pas toujours. Quand la grand-mère est là, tout se passe bien, mais quand elle disparaît, on en vient aux empoignades verbales, et parfois physiques.
En début de soirée, on m’appelle de l’hôtel pour que je me rende sur les lieux de toute urgence. Le pistolet du policier dont la chambre était mitoyenne au bureau avait disparu, et on veut savoir si je n’étais pas à l’origine de cette disparition. Dès mon arrivée, tout le monde avait le regard interrogatif braqué sur moi. Je m’empresse de mettre les choses au point :
– Attendez là ! Dda Mokrane avait pour habitude de nous remettre le pistolet en question en mains propres pour le cacher dans le bureau. Je ne l’ai même pas vu cet après-midi !
– Oui ! répond ce dernier, je l’ai laissé dans la chambre !
– Personne n’est rentré dans la chambre quand j’étais là sauf ton frère Mourad. Son frangin partageait la pièce avec lui. Et moi, je n’ai pas bougé du bureau ! enchaînais-je.
– Mourad est sorti au cours de l’après-midi, quand tu étais là !
– Oui, effectivement, je l’ai vu sortir. Attendons qu’il rentre ! Peut-être en sait-il davantage ! ?
À l’instant où je termine ma phrase, Mourad arrive. Les regards interrogatifs se tournent vers lui. Mourad ne sait rien non plus !
Nous étions donc deux suspects sur cette affaire, très grave pour Mokrane, car il risquait de perdre son poste si son arme n’est pas retrouvée au plus vite.
Une seule solution pour démêler cette intrigue dans laquelle je suis impliqué par un hasard de circonstances défavorables : faire une déclaration de perte au commissariat le plus proche, celui du 3ème arrondissement d’Alger, lequel se trouve à deux ruelles en aval de notre hôtel. Pas de temps à perdre, Mokrane s’y rend très vite. Il ne tarde pas à débarquer accompagné d’une brigade de trois enquêteurs. On me pose les mêmes questions, je fournis les mêmes réponses. On se tourne vers Mourad que l’on bombarde de questions aussi. Quasiment les mêmes que les miennes. Ce dernier campe sur ses positions : rien vu, rien entendu.
Voyant son enquête piétiner, le brigadier en chef décide de tous nous embarquer : mon oncle, en tant que patron de l’établissement, Mokrane, Mourad et moi.
Arrivés sur les lieux, c’est le commissaire – un type patibulaire, à faire fuir un ours des cavernes – qui reprend les choses en mains. Aux mêmes questions, Mourad et moi fournissons les mêmes réponses.
Se heurtant à une impasse, le commissaire prend son téléphone et contacte le commissariat central. Il décrit la situation à son homologue. À l’autre bout du fil, ce dernier lui fait savoir que telle affaire revêt une importance telle qu’il revient à l’équipe de spécialistes sous son autorité de mener l’enquête.
En moins d’un quart d’heure, nous nous retrouvons dans le bureau de l’enquêteur supérieur du commissariat central. Mêmes questions, mêmes réponses.
Tout au long de l’interrogatoire, j’étais debout, les mains dans les poches, en toute dilettante. Une posture que n’appréciait pas particulièrement notre enquêteur. De temps à autre, il me jette un œil qui en dit long sur ce qui se tramait dans sa tête. Pour lui, inutile de perdre du temps en blablas inutiles, j’étais le coupable idéal.
À suivre
Kacem Madani