Site icon Le Matin d'Algérie

Le film « Ben M’hidi » de Bachir Derrais : est-ce la fin de sa censure ?

Film Ben M’hidi

Va-t-on vers le déblocage par le ministère des Moudjahidine du biopic consacré par le cinéaste Bachir Derrais à l’immense Larbi Ben M’hidi ? Rien n’est encore sûr. A la veille du 1er Novembre, la censure de l’histoire des valeureux libérateurs sévit encore sur la création.  

Bachir Derrais s’est en tout cas montré optimiste, affirmant sur sa page Facebook que le dialogue avec les producteurs étatiques a repris récemment et qu’on va probablement vers l’autorisation de sortie du film bloqué depuis quatre ans (il est mis en boîte en 2018, ndlr) par la commission  de visionnage  et de sélection du ministère des Moudjahidine.

« Beaucoup d’entre vous  m’ont demandé si le film « Ben M’hidi » est officiellement débloqué. Je réponds qu’il  y a une intention d’autoriser sa diffusion, le contact est renoué après quatre ans de rupture avec les -Moudjahidines », annonce le cinéaste qui affirme avoir été accueilli « avec respect »  par les coproducteurs (le ministère de la Culture et celui des Moudjahidines).

« La ministre de la culture m’a  consacré plus de quatre heures de son temps », affirme-t-il avant d’émettre un petit bémol. « Rien n’est encore officiel. Nous avons encore quelques détails à régler sur des dates et deux petites choses techniques », reconnaît le réalisateur. Il s’est voulu intransigeant sur les principes qu’il a toujours défendus face aux membres de la commission de visionnage et de sélection dépendant du ministère des Moudjahidines.

« Ceux qui me connaissent savent très bien que je ne ferai aucune concession qui pourrait porter atteinte ou modifier le contenu du film. Je n’ai pas résisté pendant quatre ans pour abdiquer aujourd’hui », tente-t-il de rassurer.

Le film, dont le scénario est écrit par le journaliste et écrivain, Mourad Bourboune, retrace la vie et le parcours révolutionnaire du colonel Larbi Ben M’hidi depuis son engagement au sein du mouvement national, en revenant sur les faits les plus marquants de son parcours, en particulier sa participation et son rôle dans le congrès de la Soummam.

Le biopic dont le budget est le fruit d’un montage financier, une coproduction entre Les films de la Source, le ministère des Moudjahidines et le ministère  de la Culture a atteint trois millions d’euros.

Finalisé en 2018, les autorités via le ministère des Moudjahidine qui a contribué au financement de l’œuvre à hauteur de 29% ont émis un veto pour sa diffusion en Algérie. Une cinquantaine de réserves ont été  émises par le Centre national d’études et de recherches sur le mouvement national (Cnermn), un organe dépendant du ministère des Moudjahidine, rapporte un média algérien qui cite la lettre adressée par l’organisme au réalisateur.

« Il est strictement interdit de projeter le film ou de l’exploiter sous une quelconque forme, jusqu’à la levée des réserves et à l’accord final sur son contenu ». Ajoutant que le ministère de la Culture, géré à l’époque par Azzedine Mihoubi, avait émis de son côté des réserves portant l’existence d’une incompatibilité entre le scénario originel écrit par Mourad Bourboune et la version du film présenté.

Revenu à de meilleurs sentiments après avoir longtemps fait de la résistance, Bachir Derrais accepte de revoir la première version de son film, en supprimant de nombreuses séquences. Au total, rapporte le journal, douze versions du film ont été comptabilisées avant que les autorités ne donnent leur OK.

« Le ministère des Moudjahidine a demandé de supprimer certaines scènes qu’il a jugées controversées et qui touchent l’image du martyr et ses compagnons d’armes. J’ai fait de mon mieux pour les remarques raisonnables sans pour autant dénaturer mon film », a confié Derrais  à un média étranger cité par le journal algérien. Bachir Derrais a dû faire preuve d’ingéniosité et de résilience pour aboutir aune copie qui soit acceptable pour lui et pour les autorités

Les raisons du blocage ou la petite phrase qui a failli tuer « Ben M’hidi »

Dans la lettre qu’il a reçue le 2 septembre  2018 de la commission  de visionnage et de sélection  du ministère des Moudjahidines chargée  de superviser le film, il est reproché au réalisateur  de s’éloigner  de la réalité de la lutte armée  du peuple algérien.

« Tu te crois chef parce que tu as pris un café avec Abdel Nasser ?!” Cette réplique extraite du dialogue du film et adressée par Ben M’hidi à Ahmed Ben Bella est celle qui a, sans doute, le plus provoqué le courroux des  superviseurs de la commission de visionnage et de sélection du ministère des Moudjahidines. Une commission communément appelée de censure où ne figurent ni artistes ni cinéastes mais seulement des historiens et des administrateurs.

Les motivations  ou ce qui serait présenté comme arguments par  ces censeurs sont à chercher dans les préjugés de la pensée unique biberonné à un patriotisme de façade et d’une lecture univoque de l’histoire de la révolution nationale dominée par le dogme d’une idéologie uniciste et exclusive.

Le réalisateur dénonce le blocage et la fermeture du champ de la création 

Dans une déclaration diffusée, en septembre  2018, sur les ondes de la radio française,  RFI, Bachir Derrais dénonce le blocage de son film et la fermeture du champ de la création et de  la pensée libre. Il affirme : « C’est difficile pour le créateur. C’est pour cela que vous constatez aujourd’hui que la majorité des jeunes Algériens viennent en France pour demander les financements, ils vont ailleurs. Les derniers films, que ce soit de Sofia Djama, Karim Moussaoui, Merzak Allouache, ils sont obligés d’aller se débrouiller ailleurs pour faire des films, ce qui est un peu honteux pour un pays indépendant depuis un demi-siècle et qui a beaucoup d’argent. Cela ne devrait pas arriver. Parce qu’ils bloquent tout ! Mais confier le sort d’un film à une commission opaque qui travaille dans l’ombre, qui envoie des rapports qu’elle ne signe pas, qu’elle n’assume pas, c’est très dangereux pour leur création, c’est très dangereux ! C’est absurde, ce n’est pas normal. C’est-à-dire que sort de ce film  dépend d’un agent administratif qui peut-être n’a jamais vu un film dans sa vie. Aujourd’hui, il y a un problème de décalage. Aujourd’hui, ceux qui gouvernent l’Algérie sont en retard par rapport au développement, à l’évolution de la société. Ils sont très très en retard. Aujourd’hui, la société algérienne, elle bouillonne, elle est ouverte. Il y a des nouvelles générations. Mais le pouvoir aujourd’hui fonctionne avec la mentalité des années 50, 60. Il y a une coupure aujourd’hui entre la société et ceux qui gouvernent. Il y a un décalage énorme. »

Samia Ait Iqbal

Quitter la version mobile