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Le front interne, cette lubie de la politique algérienne !

Tebboune

Qu’ils soient islamistes, socialistes ou nationalistes, les politiciens algériens qui meublent l’espace public ressassent une recette magique qui galvaniserait le pays si elle venait à quitter le monde de l’utopie pour devenir réalité. Cette recette ou potion magique, c’est le front interne ou intérieur.

Un slogan qui revient souvent, qui exprime des sentiments d’union mais dont les contours sont d’une telle imprécision qu’il peut être prononcé indifféremment par n’importe quel politicien. Dans l’histoire récente de l’Algérie, ce slogan a particulièrement prospéré pendant les années 1970, l’âge d’or de l’idéologie antiimpérialiste. Il semble connaître une nouvelle vie à la veille de la présidentielle 2024. Mais qu’est-ce donc ce front intérieur ?

Il faut d’abord savoir que « front intérieur » a pour synonyme « arrière militaire ». Ce qui renseigne déjà sur son origine. Le front intérieur accompagne l’état de guerre. Un pays qui engage son Armée dans un conflit armé organise la mobilisation de sa population disponible pour constituer la base arrière de l’armée. Cette population fournit certains moyens logistiques, assure la production industrielle nécessaire à l’effort de guerre, procure des financements et tout moyen susceptible de soutenir l’action de l’armée.

Récupéré par la politique, le slogan de front intérieur renvoie toujours vers l’effacement des contradictions et le culte de l’union. Il présuppose la reconnaissance d’un danger qui menace l’existence de l’Etat ou de la Nation. Les conditions internationales actuelles ne permettent pas de déclarer aisément l’Etat de guerre.

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Aussi, la politique recourt à la notion de menace qui supplée l’absence de danger imminent et réel. La dramatisation ou l’exagération sont à la politique ce que la répétition ou la redondance sont à la communication. La politique, c’est aussi l’usage sans limite de la pétition de principe, procédé qui transforme une hypothèse en conclusion sans besoin de démonstration. D’où vient donc cette appétence des politiciens algériens pour le front intérieur ?

Dans l’histoire politique algérienne récente, l’appel à la constitution d’un front intérieur provient généralement de forces politiques situées en dehors du pouvoir. Il est avant tout une proposition d’alliance avec le pouvoir. Cette alliance présente l’avantage de desserrer l’étau répressif qui entrave le libre exercice des activités partisanes.

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Le front intérieur serait donc le cadre d’élargissement des possibilités d’organisation et d’implantation de forces politiques marginalisées par le pouvoir. Il s’appuie sur le partage d’orientations politiques. Le socialisme, le conservatisme religieux et le nationalisme ont souvent constitué les bases de rapprochement entre pouvoir et opposition.

Le pouvoir en place qui tient jalousement à son hégémonie, affiche généralement une réponse prudente. Il considère les forces situées hors du pouvoir mais qui présentent certaines affinités idéologiques avec lui comme des forces supplétives. Il leur accorde quelques concessions qui leur permettent de gagner des positions dans les organisations syndicales, des femmes et de la jeunesse. Cela peut aller jusqu’à des postes ministériels en dehors évidemment des responsabilités régaliennes de l’État. Mais le front intérieur ne prend jamais de forme organique. Il est seulement un slogan couvrant une politique d’alliance temporaire.

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Dans le contexte d’un exercice autoritaire du pouvoir, les partis et personnalités qui réclament le front intérieur apportent une caution ou font preuve d’indulgence devant les violations des libertés individuelles. L’important, la base d’union, ce sont les objectifs politiques, économiques ou culturels partagés. Le front interne s’avère donc un échange qui satisfait les calculs d’appareil des partis et du pouvoir.

  • L’expérience algérienne atteste qu’aucun changement important de la nature de l’État n’a résulté de ces semblants d’alliance.

Finalement, le front intérieur est une équation à somme nulle. S’il y a un gagnant, il y a forcément des perdants. Dès lors que le slogan de front intérieur surgit à l’occasion de tensions réelles ou supposées à l’échelle régionale ou internationale, il tend à vouloir atténuer ou réduire les conflits internes qui secouent le pays et l’État. Dans le cas de situations de guerre réelles, cela se comprend. Mais brandi hors de ces situations d’exception, il tend à substituer un consensus factice au libre débat contradictoire serein et apaisé. En réalité, l’idée de front interne reste dans la situation algérienne, une volonté de pas s’assumer comme opposition légale. Elle est une tendance à perpétuer dans une forme évoluée la conception du parti unique qui reste une tradition forte héritée de la guerre de libération nationale.

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Evaluée sous l’angle de la critique idéologique, l’idée de front intérieur ou interne charrie deux pesanteurs qui affectent durablement les relations politiques et la relation de l’État avec la société civile. La première pesanteur se rapporte à la conception d’une vie politique sans débat contradictoire. La tradition du parti unique poussée jusqu’à la proclamation de la pensée unique soutient encore lourdement la violation des libertés individuelles et des libertés politiques.

Il est donc naturel que la notion de front interne s’adosse aisément à la négation des opinions divergentes, du débat public contradictoire. Cette notion se comprend donc au niveau de l’État comme une réduction voire une soumission de l’opposition politique. Les offres de front interne émanant des partis de l’opposition traduisent leur faiblesse. L’exemple du FFS qui propose aujourd’hui un « front patriotique », une mouture du front interne, est significatif.

Au moment de son apogée sous la direction du défunt Ait Ahmed, le FFS ne proposait pas de front. Il tendait même à faire cavalier seul comme en 1991, rejetant toute alliance même avec les partis qui se réclamaient de la démocratie. La position actuelle de la direction du FFS est un aveu de faiblesse. Une saine politique d’alliance se construit dans le cadre d’une vie politique démocratique soutenue par le libre exercice des libertés individuelles.

A la différence du front interne, les alliances politiques contractées dans un cadre démocratique s’appuient sur des rapports égalitaires et ne traduisent pas une soumission ou des concessions allant au-delà des principes fondateurs d’un parti politique.

La deuxième pesanteur charriée par l’idée de front interne trouve son expression dans la désignation de l’étranger comme ennemi de la Nation et du pays. C’est un trait que rend bien compte le code pénal algérien qui sanctionne toute relation avec l’étranger non avalisée par les autorités.

Depuis l’accession de l’Algérie à l’indépendance, l’idéologie officielle suscite la suspicion vis-à-vis de l’étranger. Dans les années 1960-70, toute force d’opposition était accusée de liaison avec l’étranger. La récente émission de la télévision française « j’irai dormir chez vous » consacrée à l’Algérie rend compte dans la partie relative au M’zab et au Sud, de l’entretien de cette atmosphère de méfiance et de crainte de l’étranger. L’objectif affiché officiellement de protéger le journaliste français imposait-il nécessairement l’interdiction de son accueil chez les citoyens de ces régions ? Cette méfiance de l’étranger est particulièrement dévastatrice sur le plan économique où un « patriotisme économique » de façade soutenue par une revendication de souveraineté formelle prive l’Algérie des bienfaits certains d’une coopération économique internationale plus audacieuse. Cette méfiance vis-à-vis de l’étranger sert également à isoler la société civile algérienne du reste du monde. L’État s’arroge le monopole des relations extérieures.

Trop de contraintes sont érigées contre les relations des collectivités locales et des associations avec leurs homologues étrangères. La société civile algérienne subit l’aversion des autorités pour les manifestations étrangères de solidarité en faveur du respect des libertés individuelles. Le front interne est en fait une position de repli dans un monde qui connait un progrès éblouissant de la technologie, de la communication et des échanges culturels.

Au total, en dehors de l’État de guerre qui obéit à des dispositions constitutionnelles, l’aspiration de certains partis politiques ou de certaines autorités au front interne ne peut remplacer une saine politique d’alliance fondée sur une communauté d’objectifs, sur des affinités idéologiques ou sur des stratégies particulières.

Cette politique d’alliance devrait avoir pour cadre le libre exercice des libertés individuelles et des libertés politiques. Elle associerait forcément la société civile. Elle traduirait des relations de responsabilité et de respect de l’expression libre des courants politiques algériens dans leur diversité. Elle appelle à l’établissement de l’État de droit.

Saïd Aït Ali Slimane

 Cet article a été publié par l’auteur sur son réseau social.

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