7 juillet 2024
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Le général et le Matrag

OPINION

Le général et le Matrag

L’avion présidentiel affrété spécialement pour ramener Khaled Nezzar en Algérie.

Pour ceux de nos lectrices et lecteurs qui ne connaissent pas cette discipline, El Matrag est un art marial originaire de l’ouest de l’Algérie, né il y a deux siècles environ. Il consiste à affronter un adversaire à l’aide d’un bâton d’un mètre à un mètre et demi de long et de un à deux centimètres de diamètre.

Les coups et les suites de coups de bâton sont assenés selon certaines règles. Il se pratiquait comme sport de défense et durant les fêtes comme attraction. Oublié pendant un certain temps, ce sport de combat fait sa réapparition depuis une trentaine d’années. Des clubs de Matrag sont créés ça et là . L’Algérie gagnerait à promouvoir et développer cette discipline ancestrale qui fait partie de notre patrimoine.

Le général Nezzar, apparemment virtuose dans l’art du Matrag, nous en a fait une démonstration, un certain jour à l’aéroport d’Orly quand il fut pris à parti dans les couloirs par un jeune, à l’accent bônois, quelque peu effronté. Le geste vif et encore alerte malgré le poids de ses 80 ans, il riposte à l’aide de sa canne en assénant un coup sec et précis sur l’épaule du forcené. Sans l’intervention d’un passant qui mit fin à l’altercation, le jeune homme se serait probablement fait rosser de plus belle.

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C’était mal connaître ce baroudeur de général pour penser qu’il ne réagirait point. À ce moment là, il venait de quitter le pays après avoir mis au point son plan et exécuté sa tactique d’exfiltration pour lui-même et son fils. L’idée était de mettre en confiance Gaïd Salah et son équipe en divulguant le contenu d’une conversation téléphonique compromettante qu’il aurait eu avec Said Bouteflika afin de quitter le territoire, en prétextant un besoin de soins à l’étranger, sans être inquiété et en toute en toute légalité .

nezzar

Après le mandat d’arrêt international le général-major Khaled Nezzar rentré au pays début décembre dans l’avion présidentiel. 

Fils d’un sous-officier de l’armée coloniale, il est élevé dans le giron des écoles militaires de l’empire dès l’âge de douze ans. Il y obtient le grade de sous-officier. Il déserte de l’armée française en 1958 pour rejoindre l’ALN. Il fait partie de ce club fermé qu’on appelle les DAF (déserteurs de l’Armée Française). Après l’indépendance, il poursuit sa formation en Union Soviétique à l’académie militaire de Frounze et à l’École de guerre à Paris. 

De même, son parcours de chef militaire n’a rien à envier à son cursus d’élève, comme l’attestent ses états de services durant la guerre de libération nationale, la guerre de harcèlement le long du canal de Suez, la guerre des Six Jours, Amgala I Amgala II. C’est dire que l’homme s’y connaît en stratégie et tactiques militaires.

Nommé chef d’état-major en 1988, il est et chargé par Chadli de mettre fin aux émeutes. N’étant pas encore préparé à la gestion de ce type d’insurrection l’armée tire à balles réelles, ce qui fut une erreur qui causa la mort de plus de cinq cent insurgés.

Ministre de la Défense depuis 1990, il prend en 1992 en accord avec le HCE (Haut comité d’état) dont il était l’un des membres, la décision en toute conscience et responsabilité de combattre le terrorisme et de stopper la percée islamiste. Ce qui débouchera sur un conflit qui durera  plus de dix ans et qui se soldera, selon certaines estimations, par la mort de 150.000 victimes et des milliers de disparus. Il prend sa retraite en 1993.

Dans le souci de préserver son honneur et celui de l’armée, comme il le soutient, il intente en 2002 un procès en diffamation contre le lieutenant Habib Souaïdia, dans lequel l’auteur, ancien parachutiste des forces spéciales, apporte son témoignage sur ce qu’il a vécu au sein de l’armée à travers son ouvrage, « la sale guerre ». Nezzar est débouté par le tribunal correctionnel de Paris estimant qu’il « n’appartenait pas au tribunal de juger l’histoire »

Opposé à la réélection du prince président Bouteflika en 2004, il publie en 2003 un pamphlet contre sa politique « d’équilibriste entre islamistes et républicains » .

Arrêté à Genève en octobre 2011, suite à la dénonciation de l’ONG TRIAL et à la plainte de deux victimes l’accusant de crime de guerre pendant la décennie noire, il est entendu durant deux jours puis relâché.

Durant les années qui suivirent, il se terre comme le faisaient les Viêt-Cong dans leurs galeries souterraines en attendant la fin du bombardement.

En 2018, il publie ses mémoires.

En 2019, dès la prise de contrôle des hautes institutions de l’état par Gaïd Salah, il pressent le danger et quitte l’Algérie. De l’étranger, il lance des tweet dans lesquelles il s’attaque à Gaid Salah en soulignant sa brutalité, en l’accusant de vouloir usurper le pouvoir et d’être à l’origine du quatrième et cinquième mandat, etc… Un mandat d’arrêt international est lancé contre lui et son fils Lotfi. 

L’exhibition de Matrag exécuté avec brio à l’aéroport d’Orly a dévoilé à l’opinion publique que le général à la retraite n’était pas encore fini, qu’il avait encore du ressort.

Et voilà qu’en tacticien chevronné, maitrisant l’art de la guérilla, il surprend son monde en retournant au pays en décembre 2020 afin de vider son mandat.

Voilà un monsieur qui n’a cessé d’agir, de se battre, combattre, commander, prendre des décisions, faire des choix quelquefois difficiles, tout le long d’une vie au service et pour la gloire de la République.

Pour cette partie de la population qui a vécu les événements, enduré et souffert, présente durant les années de feu, il est un héros de la liberté et de la démocratie : il était le chef d’une armée à laquelle ils faisaient sans cesse appel pour leur venir en aide, qui les protégeait, les prémunissaient des hordes de terroristes et qui a su prendre la bonne décision de repousser le spectre d’une dictature théocratique. 

Pour une autre catégorie de la population, qui a fui le pays, qui vivait paisiblement dans les villes occidentales et qui ne disposait probablement pas de suffisamment de données afin d’évaluer sérieusement le degré de terreur et de désarroi psychologique dans lesquels était plongée la société algérienne, il est un sanguinaire. À travers les ondes hertziennes et les mégapixels, ils jugent une situation d’hier dans l’environnement d’aujourd’hui. Ils commettent ainsi, quelquefois naïvement et d’autres fois intentionnellement, l’erreur connue de l’historien, que doit absolument éviter toute personne qui s’interroge sur le passé ou tente de le comprendre : juger les événements hors de leur contexte.

L’objectif de cet écrit n’est point de prêter main forte au Géneral Nezzar qui n’en a sûrement nul besoin, mais de tenter d’être perspicace, de voir les choses sous un autre angle. Celui de la sagesse et de la raison. 

De la même manière que les jeunes Algériens ont appris à reconnaître et préserver la mémoire de leurs martyrs, ils parviendront sûrement à le faire en ce qui concerne  leurs hommes d’état. Car ils se font rares en ces temps de pénurie. 

Comme quelques autres hommes, le général Nezzar fait incontestablement partie de ce très petit cercle d’hommes d’état post indépendance. Il s’est mis à la disposition et au service de l’état, a activement participé à sa construction et à sa sauvegarde, bien sûr souvent à l’aide du Matrag. N’est-il pas un soldat avant et après tout ? Il faut lui reconnaître cela. Pour le reste, l’histoire jugera.

Auteur
Djalal Larabi

 




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