Les idées, dit-on, ne meurent pas et le Hirak en est une ! Au matin du 22 février 2019, personne n’aurait pu imaginer toutes ces immenses foules humaines qui étaient descendues dans la rue pour contester le cinquième mandat de Bouteflika et surtout demander le changement radical du régime.
Le peuple a surpris tout le monde. Il n’a écouté ni les partis ni les associations ni les élites ni moins encore les médias, pour prendre sa décision de sortir. Il était à la fois le témoin et le juge de lui-même. Il a agi en toute conscience, en toute spontanéité et avec civisme contre les prédateurs des richesses de la patrie. Il a rempli, en quelque sorte, la mission historique qui incombait tout naturellement aux élites.
Mais, si la révolution du sourire était née de façon spontanée, elle n’en restait pas moins en gestation depuis des années. C’était une idée qui a germé dans la conscience collective. Une idée qui a surgi au monde, après tant d’accumulations de frustrations et de déceptions.
Partout, aux quatre coins du territoire national, on répétait : « y en a marre »! On sentait que ça allait mal, que l’Algérie souffrait, que le mensonge s’est institutionnalisé, que les clans au pouvoir s’étripaient pour le partage de la rente, sur le dos du peuple, que les caisses sont vidées, que des projets sont détournés, que les villes sont abandonnées, que les douars sont enclavés, que les jeunes pataugeaient dans le dénuement et la hogra, que rien n’allait dans le bon sens.
Le peuple observait tout ce manège maléfique et mesurait les enjeux qui l’attendaient, jusqu’au jour « J », il s’est révolté. Le Hirak était donc un long processus révolutionnaire qui a pris le relais d’une société civile défaillante et d’une élite démissionnaire à tous les niveaux. Le peuple s’est réapproprié la parole qu’on lui a arrachée, il a officialisé la rue comme tribune d’honneur à ses colères, à ses plaintes, à ses revendications. Il était dans son élément naturel : le bain révolutionnaire.
Après le repli dû à la pandémie de Covid-19, un certain épuisement s’est installé dans les esprits. Les volontés s’étaient ramollies, la dynamique de mobilisation s’était un peu brisée, et de nouvelles données ont permis au pouvoir en place de reprendre son souffle et de se réorganiser pour affronter la rue en révolte. Le confinement était, si l’on ose dire, une bénédiction pour un régime finissant.
Au lendemain de la reprise des manifestations hebdomadaires, les choses ont pris un autre visage : rien n’était comme avant car la rue se vidait au fur et à mesure des semaines. Mais pourquoi? Si le pouvoir s’était réorganisé, en renforçant sa propagande et son arsenal répressif, il n’en était pas de même pour le Hirak, lequel était resté sur sa prise de position de base : « Yetnahaw gaâ » (qu’ils dégagent tous), sans une véritable structuration du mouvement.
Or, un mouvement mal structuré ne peut résister longtemps dans sa constance et ses revendications. On l’a vu déjà avec les Gilets Jaunes en France, bien que les revendications des deux mouvements soient différentes dans le fond. C’est un pari risqué d’aller en lutte sans structures représentatives ni leadership expressif.
Donc, le Hirak/Tanekra reste vivant, mais manque de flamme, manque d’esprit, manque de force motrice et cette force-là ne peut venir que de la jonction masses-élites, et qui dit jonction dit structuration.
A l’heure présente, après la fin du cycle des élections, il va falloir passer de l’âge de l’adolescence naïve (le Hirak des premiers mois avant le confinement) à l’âge adulte, celui de la maturité, de la structuration, avec un mode d’emploi réel et un calendrier concret pour la mise en place de l’Etat de Droit, tant attendu par les Algériens.
Le défi est d’autant plus ambitieux et urgent qu’il nécessite la remobilisation pacifique de la rue pour un nouvel élan révolutionnaire.