Une fille qui se promène en ville, en prenant, je veux dire en suçant un cornet à glace par ces temps de grande chaleur, devient chez nous un sujet de polémique.
Dans l’autre versant du spectre, des centaines de détenus croupissent « arbitrairement » dans les prisons, alors que cela n’a provoqué aucune polémique.
Et puis, je viens de lire, à présent, sur le Net que deux adolescents ayant tenté d’émigrer « clandestinement », en soute d’avion entre Alger et Barcelone sont trouvés des cadavres en état de décomposition, sans que cela ne soulève aucune polémique.
Cherchez l’erreur ? Eh bien, la société est en dysfonctionnement ; son cerveau est en panne ; sa conscience est prolongée dans une sorte de coma éthylique, ses réflexions sont tombées au dessous du ventre et du bas-ventre.
En cause, la représentation phallique de tout ce qui gère le bien commun a faussé jusqu’à la présence du citoyen au monde et dans le monde. Pourquoi une fille qui suce un cornet à glace intéresse-t-elle davantage la conscience sociale qu’un clandestin qui meurt dans une soute d’avion, ou un détenu politique qui souffre en prison ? C’est parce que notre regard, « virusé » par les tabous de toutes sortes, penche plutôt pour la domination que pour la compassion. On est presque davantage dans une phase de « déshumanisation » de nos rapports vis-à-vis des autres, que dans une dynamique de solidarité agissante.
Le futile, chez nous, devient utile et l’utile, on le regarde comme inintéressant, voire plus, comme un détail futile à jeter à la poubelle de notre subconscient, combien ravagé déjà par les effets du dogmatisme.
Imaginons maintenant que tous ces gens qui montrent leur crocs, comme des loups enragés, contre cette fille qui suce un cornet à glace (acte jugé dévergondé en public), se montrent aussi en colère contre le fait qu’une vieille malade traîne dans un hôpital sans trouver de place jusqu’à ce qu’elle meure sous le regard indifférent du personnel hospitalier (la séquence filmée et largement relayée sur les réseaux sociaux, où sa fille la montre gisant à l’arrière de sa voiture, près d’un hôpital public et dans l’indifférence générale, est restée lettre morte). Hélas, dans ce dernier cas, pas âme qui vive!
Donc, le problème est profond, et dépasse le stade de quelques réformettes placebo, pour englober les aspects éducatifs, culturels, le savoir-vivre en société, la dimension humaine voilée par une crise aux ramifications complexes, etc. Il y a, à vrai dire, du pain su la planche…