Mardi 18 février 2020
Le plan d’action psychédélique du Premier ministre : une approche biaisée
«Je ne croyais pas qu’un homme affligé d’un strabisme tel que le sien puisse avoir une vision claire du monde», disait René Barjavel de Jean-Paul Sartre.
C’est en grandes pompes, que ce que l’on a appelé le plan d’action du gouvernement est présenté puis adopté sans surprise par les deux chambres.
En général, un plan d’action gouvernementale est un document dans lequel est énoncé le ou les problèmes et la nécessité d’agir, les différents objectifs à atteindre, les priorités, tout en intégrant les mesures i.e. les tâches et les responsabilités, la planification i.e. un calendrier, et les ressources i.e. le budget, afin d’y parvenir. Tout ceci après avoir établi un diagnostic.
Or le travail présenté par le Premier Ministre, qui vient tout juste de prendre fonction, n’a pas pu être établi suite à un diagnostic précis et minutieux de l’état des lieux, qui exige beaucoup plus de temps à être réalisé. En outre, il ne contient aucun des éléments de mesure que sont le temps, le budget, le qui fait quoi, quand, où, comment, et combien si essentielles pour la pertinence et l’aboutissement d’un tel plan.
La future Suisse algérienne !!!
A la page 21 dudit document, il est mentionné qu’un plan stratégique sous l’appellation « Vision Algérie 2035 » en voie de finalisation devrait voir le jour. Ce n’est donc pas un plan stratégique de développement. Qu’est-ce alors ?
Les rédacteurs de ce document abordent la quasi-totalité des secteurs : politique, économie, éducation, culture, justice etc. Ils exposent leurs vues, et proposent, plus ou moins vaguement ce qu’ils considèrent être des solutions, qui ne sont pas réellement planifiées tant du point de vue temporel, spatial ou financier. Ils énoncent une foule d’actions à entreprendre, dont la réalisation s’étalerait sur une trentaine d’années, en étant optimiste, si l’on commençait demain matin, en bénéficiant de l’adhésion de tous les Algériens. Ce qui est loin d’être le cas.
Ils nous décrivent la future Suisse algérienne de 2050, la république idéale, l’Etat qu’on aurait souhaité voir édifier dès l’indépendance, celui du rêve des marcheurs tous les vendredis et les mardis, qu’ils entreprennent de bâtir.
Le fait est, que le gouvernement actuel, désigné par le président mal élu, est censé avoir une durée de vie limité et des prérogatives bien précises qui se cantonnent à : l’organisation d’un référendum pour la révision de la constitution, la refonte de la loi électorale, la mise à jour des listes électorales, l’organisation d’élections législatives véritablement propres et enfin, la gestion de l’urgence sur le plan économique et social.
La relance effective de l’économie, l’impulsion d’une dynamique réelle de développement ne pouvant se réaliser que par l’adhésion de tous, un gouvernement constitué d’hommes et de femmes dûment élus.
Depuis toujours, les technocrates qui élaborent les plans de développement, sont issus de l’administration. Ils ne maîtrisent pas les mécanismes économiques, n’ont pas une connaissance des marchés, et n’imaginent pas ce qu’est une entreprise. Sans syndicats et organisations patronales ou socioprofessionnels dignes de ce nom sur lesquels s’appuyer, ils font, défont les lois et les réglementations, assis dans leurs bureaux chauffés durant l’hiver et climatisés l’été, souvent selon leurs humeurs ou celles de leurs épouses, leurs convictions, leurs idéologies, les intérêts des lobbies nationaux et internationaux influents, du moment.
Ceux-là pêchent par leur manque de pragmatisme et n’ont laissé aucune chance à l’économie algérienne de naître.
Une autre réalité
Vivant dans leur bulle et évoluant dans un monde fermé, ils sont atteints d’un strabisme convergeant, tourné vers eux-mêmes, qui ne peut laisser émerger quelque forme de pragmatisme que ce soit, ou éclore le moindre espoir. Leur vision est biaisée.
Car comment concevoir qu’ils se soient aussi émus, probablement sincèrement, des affres du monde rural et qu’ils ne perçoivent pas ceux de la cité ?
Comment le boucher du coin a réduit le nombre de ses salariés de 4 à 2, devant son incapacité à honorer ses engagements à la fin du mois ?
Comment ce restaurateur a congédié la moitié de ses douze serveurs ? Comment ce commerçant, propriétaire d’une boutique de vêtements, demeure ouvert jusqu’à 23h30 afin d’amasser le montant faramineux du loyer pour le verser au propriétaire des murs?
Comment le gérant de cette petite unité de fabrication dans la périphérie d’Alger, a limité ses jours de production à 2 tandis qu’il travaillait 7/7 afin de faire face aux coûts fixes ? Comment ce voisin taxieur est astreint à rester perché dans son véhicule 16 heures par jour afin de subvenir aux besoins alimentaires de ses enfants ?
Comment ces mendiants qui emplissent les rues des grandes villes vous braquent à chaque coin de rue ? Comment 350.000 postes d’emploi ont été perdus dans le secteur du BTPH ? Comment des milliers d’employés ont été mis au chômage forcé, dans ces simulacres d’entreprises, dont les propriétaires sont en détention ?
Selon certains observateurs, les entreprises, toutes catégories confondues, auraient perdu 60 % de leur chiffre d’affaires en moyenne durant l’année 2019. Telle est la réalité.
Après que l’économie ait été partagée, cadenassée, murée et freinée depuis plus d’une décennie par des lois et des réglementations, au profit d’un groupe d’individus, que l’on surestime en les qualifiant d’oligarques, voilà qu’elle se retrouve totalement à l’arrêt depuis près d’une année.
Que faire ?
Il est peu probable que le plan d’action du Premier ministre y change quelque chose à court ou même à moyen terme. Des mesures urgentes, énergiques, fortes et courageuses doivent être prises.
Les énergies des entrepreneurs créateurs de richesses à faible ou grande échelle doivent être libérées au lieu d’être contenues. Il faut lâcher du lest au lieu de souquer, donner l’opportunité aux Algériens de se débrouiller : ils savent le faire ici et partout dans le monde. Car l’Etat, dans sa situation actuelle et dans un proche avenir, n’est pas en mesure de satisfaire leurs attentes.
Le financement des importations de biens destinées à la revente en l’état sur fonds propres i.e. devises propres par les petits et grands commerçants, l’autorisation d’importer du matériel rénové avec ses propres devises, pourrait être une solution provisoire et mettre fin, en partie, à ce que l’on nomme la surfacturation, afin de « réactiver » l’économie en attendant de la construire. De toutes les façons le marché parallèle de la devise est bel et bien existant et connu de tous.
Les réformes structurelles de l’économie et la transition vers une réelle économie de marché, planifiées dans les années 1990 par le gouvernement Hamrouche, n’ont pas été entreprises dans les années de faste, durant lesquelles plus de 1000 milliards de dollars ont été dépensés.
Ce n’est pas dans un moment de crise politique, sociale et économique aiguë sans l’adhésion des milliers de marcheurs réclamant un changement radical du personnel politique, que des mesures coercitives ou que de telles réformes, entreprises par des hommes du passé, peuvent voir le jour, que ce plan d’action peut fonctionner.