Jeudi 15 février 2018
Le président Macron et le fantasme français, c’est reparti !
Le Président Emmanuel Macron vient d’annoncer que le service militaire sera bien rétabli et qu’il sera obligatoire. Une promesse de campagne sur laquelle nous nous sommes déjà penchés dans ces colonnes. Cette-fois-ci, le Président « Jupitérien », comme il aime à se définir, veut définitivement faire revivre cet ancien fantasme de la société française, surtout de droite.
Pour bien comprendre que la promesse risquait d’être enterrée, comme beaucoup dans le passé à propos du rétablissement du service militaire, il faut remonter à la veille de l’annonce. La députée d’En Marche, parti présidentiel majoritaire, avait rendu les conclusions de la commission qui planchait sur ce sujet depuis un moment et, le moins que l’on puisse dire, est que la conclusion est à l’opposé de celle annoncée par Emmanuel Macron.
Le Président est en rogne et réplique que ce service ne sera pas «volontaire» comme l’avait fait entendre clairement la porte-parole du groupe de travail mais bel et bien « obligatoire ». Jupiter a rappelé que son pouvoir ne souffrait d’aucune contradiction, surtout en matière militaire, le thème sacralisé du monarque républicain sous la cinquième république.
On se souvient que cela avait coûté cher à l’ancien chef d’état major qui avait osé critiquer le budget militaire (pourtant auprès d’une commission parlementaire et non publiquement). Sourciller ou même murmurer la moindre critique, surtout en matière militaire, est insupportable aux monarques républicains installés depuis 1958 au Palais de l’Élysée.
Nous l’avions déjà souligné, le retour du service militaire, supprimé sous la présidence de Jacques Chirac, est bien un fantasme français qui hante certains milieux conservateurs sans aucune chance qu’il revienne un jour, du moins dans l’état où le fantasme l’a magnifié.
Et ce n’est pas un hasard si Emmanuel Macron déterre cette promesse de campagne dont personne ne croyait. C’est que son contentieux avec une certaine droite et, surtout, le coup de griffe à la pension des retraités, majoritairement et naturellement conservateurs, devait être rectifié par cette vielle promesse populiste. Car ce qui est promis avec force, qui flatte les fantasmes et qui est pourtant irréaliste, correspond parfaitement à la définition du populisme.
Par n’importe quelle justification qui pourrait se développer, les arguments contraires sont implacables. Il en est deux que l’on doit rappeler car c’est justement eux qui ont conduit à la suppression du service militaire que seules les dictatures ou les pays constamment en guerre possèdent encore.
Le premier argument est irréfutable. Plus aucune guerre, en tout cas de celles qui pourraient directement impliquer la France, n’est un affrontement massif où les armées se déchirent dans une boucherie généralisée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle la majorité des spécialistes se demandent pourquoi une prévision d’achat de chars Leclerc aussi importante dans le budget de programmation militaire.
On a l’impression qu’Emmanuel Macron veut refaire la bataille de Stalingrad et s’y prépare. C’est une absurdité et plus aucun spécialiste sérieux n’envisage cette hypothèse. Or, le service militaire obligatoire s’inscrit tout à fait logiquement dans un cadre guerrier où la «chair à canon» est la pièce maîtresse du dispositif.
Les armées des grandes démocraties sont aujourd’hui tenues par des spécialistes, hautement formés et la guerre s’est de plus en plus focalisée vers d’autres dimensions, comme la protection contre la cyber attaque. C’est d’ailleurs ce que prévoit la loi de programmation militaire puisqu’elle en renforce le dispositif au niveau du recrutement de spécialistes.
Il en est ainsi d’un autre bon sens confirmé dans la loi de programmation militaire, soit le renforcement du dispositif nucléaire de dissuasion. C’est certainement ce qui a protégé le plus la France depuis des décennies.
Quant au second argument, il est encore plus fortement critiquable. C’est pourtant lui qui pousse Emmanuel Macron à une absurdité pareille, sous le couvert d’une formation de jeunes citoyens aux réalités et devoirs militaires. C’est le vieil argument historique de la « cohésion républicaine et sociale ». Je ne sais pas où Emmanuel Macron a fait ses études, même s’il semble qu’elles aient été brillantes, mais cela ne correspond en rien à la réalité du moment.
Déjà, dans les années soixante-dix, en Sciences politiques et en droit, nous rédigions des dissertations reprenant ce rôle de l’armée au 19è et au 20è siècle, jusqu’à la seconde guerre mondiale. Le service militaire a réellement contribué à l’unification territoriale et sociale de la république (notamment par la formation de citoyens majoritairement issus des campagnes, souvent aux forts accents patois régionaux). Cela n’a pas été le seul outil, surtout avec la présence de l’école de Jules Ferry, mais on ne peut nier ce rôle d’unification et même, d’ascension sociale, dans une certaine mesure.
Mais lorsque nous nous précipitions, tous, à rédiger cela dans nos copies, nous étions persuadés qu’il s’agissait d’histoire et non plus de la réalité française dans ces lendemains des années soixante. Emmanuel Macron est habité par ce vieux fantasme que le service militaire peut recréer du lien et de la formation dans un cadre organisé et rigide, en évitant d’utiliser le mot tabou « discipline ».
Il a un demi-siècle de moins que notre génération et c’est étonnant qu’il n’ait pas compris pourquoi Jacques Chirac, en bonne logique, a supprimé cette imbécillité, faussement « intégratrice » qui ne sert à rien et coûte cher. Ce fantasme ne mène à rien sinon à rassurer les esprits angoissés par les ruptures profondes de la société. Les enseignants que nous sommes savent que cette période militaire obligatoire n’apportera rien de plus qu’un bon déficit public supplémentaire.
Il est temps que cette société fasse son deuil définitif d’une France glorieuse et guerrière, réunie autour de son armée et de son roi, une image qui a perduré de nombreux siècles. Heureusement qu’il y a des verrous à cette folie fantasmée. Tout d’abord par la conclusion rassurante de la commission du parti d’Emmanuel Macron qui prouve que certains esprits sont encore éveillés.
Mais, surtout, par le fait qu’aucune loi de programmation militaire n’a jamais eu de concrétisation depuis au moins trente ans, sinon à la marge. Programmer des investissements à un horizon de trente ans est tout simplement une vue de l’esprit, presque une plaisanterie.
Et pour une fois, celle-ci nous rassure sur l’avenir des plus improbables de ce service militaire à la sauce des films des « Charlots ». Il y a des choses plus sérieuses à envisager pour une armée moderne, résolument tournée vers l’avenir.