Jeudi 25 juin 2020
Le processus de réforme constitutionnelle écorné par la répression
La campagne implacable d’arrestations arbitraires massives menée par autorités algériennes, ainsi que la répression dont sont victimes les militant·e·s et les manifestant·e·s, risque d’écorner la crédibilité du processus de réforme constitutionnelle engagé par le pays, a déclaré Amnesty International jeudi 25 juin 2020.
Un comité formé par le président a rédigé un avant-projet de révision de la Constitution et va le soumettre au président de la République pour approbation finale.
Dans une note adressée aux autorités, Amnesty International a exprimé sa préoccupation à propos d’un certain nombre de dispositions de cet avant-projet, notamment en ce qui concerne les droits à la liberté d’expression et de réunion et le droit à la vie, tout en saluant l’introduction de dispositions plus fermes sur les droits des femmes et les droits économiques, sociaux et culturels.
La répression va à l’encontre de l’engagement pris par le président Abdelmadjid Tebboune, quand il est arrivé au pouvoir en 2019, de renforcer la démocratie, l’état de droit et le respect des droits humains en menant des réformes constitutionnelles essentielles.
Si les autorités algériennes veulent que ce processus de révision constitutionnelle mené dans le cadre de leur engagement déclaré en faveur des droits humains soit pris au sérieux, elles doivent cesser d’arrêter des militant·e·s de l’opposition et libérer les personnes qui sont déjà incarcérées ou condamnées pour avoir simplement exercé leurs droits à la liberté d’expression et de réunion.
Heba Morayef, directrice pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord à Amnesty International.
« Tandis que des militant·e·s politiques et des membres de la société civile non violents, ainsi que des journalistes, croupissent derrière les barreaux, l’avant-projet de Constitution vient nous rappeler que les promesses des autorités d’écouter le mouvement de contestation Hirak sont loin de se traduire par des faits. »
La réforme constitutionnelle
Depuis que le président Abdelmadjid Tebboune a fait part, après son élection en décembre 2019, de son intention de lancer une réforme constitutionnelle, le processus et le calendrier de cette réforme ont été marqués par une absence totale de transparence. Au lieu de publier une version en ligne de l’avant-projet accessible au grand public, les autorités ont annoncé qu’un exemplaire avait été adressé à une sélection de personnes et de groupes pour commentaire.
L’Algérie est partie à plusieurs traités relatifs aux droits humains, dont la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.
Or, quelques-unes des modifications proposées sont en deçà des normes internationales relatives à certains droits humains, comme le droit à la vie – le texte laissant ouverte la possibilité du recours à la peine de mort. Les changements envisagés renforceraient les pouvoirs du Conseil supérieur de la magistrature, qui est un organe de supervision autonome, mais le gouvernement conserverait un important contrôle sur le système judiciaire, notamment du fait que le président de la République continuerait de désigner le président du Conseil supérieur de la magistrature et de nommer directement les titulaires de fonctions judiciaires importantes.
D’autre part, l’avant-projet dispose que la liberté de la presse ne doit pas faire l’objet de restrictions ou de censure préalables, mais il la conditionne au respect « des constantes et des valeurs religieuses, morales et culturelles de la Nation » et la soumet au cadre de la loi. Ces deux conditions ouvrent la porte à la répression à l’encontre des journalistes et des autres personnes qui critiquent le gouvernement. Si la liberté d’expression est aussi garantie, le fait qu’elle soit soumise au cadre législatif national permettra de maintenir des lois répressives, telles que les modifications apportées au Code pénal en avril 2020 qui érigent en infraction la diffusion de « fausses nouvelles », désormais passible d’une peine pouvant aller jusqu’à trois ans d’emprisonnement.
L’avant-projet reconnaît par ailleurs le droit de réunion pacifique, mais là encore, il prévoit que les « modalités » de son exercice sont fixées par la loi, or celle-ci punit de lourdes peines les « attroupements non armés » – une disposition pénale qui est souvent utilisée pour emprisonner et poursuivre des opposant·e·s non violents.
Complément d’information
Les manifestations du Hirak ont repris vendredi 19 juin 2020, et la police a arrêté au moins 500 manifestant·e·s dans 23 villes, selon la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH). Beaucoup ont été libérés sans inculpation, mais au moins 70 ont été déférés à la justice en vertu de dispositions du Code pénal telles que la « provocation directe à un attroupement non armé » ou l’« exposition de la vie d’autrui ou son intégrité physique à un danger » pendant une pandémie, qui sont passibles de cinq ans de prison au maximum. Sur ces 70 personnes, 12 au moins ont été placées en détention provisoire par différents tribunaux algériens.
Le 21 juin, Amira Bouraoui, médecin, militante et cheffe de file du mouvement Barakat – qui s’était opposé en 2014 à la candidature du président de l’époque, Abdelaziz Bouteflika, à un quatrième mandat –, a été condamnée à un an d’emprisonnement par un tribunal de Chéraga pour des publications en ligne critiquant le président Abdelmadjid Tebboune.
Au 21 juin, au moins 69 militant·e·s, dont des figures du Hirak issues du monde politique ou de la société civile, comme Karim Tabbou et Samir Belarbi, se trouvaient toujours en détention pour avoir simplement exprimé leurs opinions en ligne ou participé à des manifestations pacifiques.