On ne peut rien dire de Jugurtha sans en référer à Salluste et à son « Bellum Jugurthinum ». C’est ce qu’affirme Stéphane Gsell : « Si nous n’avions pas cet ouvrage, nous saurions bien peu de choses sur Jugurtha. », et il est bien malaisé de le contredire.
C’est pour quoi le portrait que l’historien romain dresse de Jugurtha, ce qu’il nous dit de ses intentions, autant que la relation qu’il a faite des évènements qui ont conduit à la guerre qui a opposé l’Aguellid à Rome entre -111 et -104, affleurent dans tous les ouvrages qui ont été consacré à ce conflit.
Or, si tout le monde s’accorde sur les talents de conteur et d’écrivain de Salluste, il n’en est pas de même pour l’historien. C’est le cas de T. Mommsen, qui déplore que : « Dans le récit émouvant et spirituel que Salluste nous a laissé de cette guerre, la chronologie a été négligée plus que de raison ». C’est aussi l’opinion de S. Gsell : « La guerre de Jugurtha est un véritable drame où quelques scènes choisies se détachent en haut-relief, les épisodes intermédiaires étant négligés ou même complètement omis, la chronologie étant sacrifiée ou devant se soumettre aux convenances de la composition, la géographie étant réduite au strict nécessaire pour situer ces scènes dans l’espace. ».
On peut alors se demander, sous la caution de ces autorités, si Caius Sallustius Crispus est aussi scrupuleux historien qu’il est un talentueux conteur. Et si l’homme, dont les turpitudes étaient diverses et notoires, n’a pas laissé sa pente naturelle altérer l’objectivité qui est attendue de l’historien.
Car, davantage que la guerre faite à Jugurtha, le véritable propos du « Bellum Jugurthinum » est bien l’irréductible hostilité qui, à Rome, opposait la Noblesse à la Plèbe pour le contrôle du pouvoir et des richesses drainées par la conquête.
C’est pourquoi tous les protagonistes, que Salluste portraiture avec un art consommé du contrepoint, devront prendre leur part de cet affrontement qui aboutira à la fin de la République.
Et Jugurtha, d’abord paré de tous les attributs du héros romain, verra ses exceptionnelles dispositions affligées de réserves dépréciatives, jusqu’à ruiner l’archétype héroïque de sa jeunesse et le renvoyer à son essence numide, définie par la perfidie, la versatilité et le reniement. Au point que l’on croirait dépeindre cette Noblesse romaine qui avait interrompu le cheminement de Salluste dans le cursus honorum.
Jusqu’à quel point le parti pris de Salluste a-t-il nourri ses préjugés et affecté son opinion sur Jugurtha ? Nul ne saurait le certifier. Mais rien n’empêche de donner la parole à sa victime.
C’est ce que propose Mouanis Bekari dans « Le testament de Jugurtha », qui vient de paraître aux Éditions GAÏA.
C.P.