Boualem Sansal est un brillant polytechnicien et un bon économiste. Toute sa vie professionnelle, il l’a mise, avec talent, au service de la haute fonction publique algérienne. Mais c’est au titre de prestigieux romancier qu’il est devenu une icône mondiale de la littérature francophone. Il a eu de nombreux prix pour ses romans de grande facture et traduits dans plusieurs langues sur tous les continents.
Cela dit, il est important de rappeler que ses opinions politiques récentes et surtout historiques ne sont, visiblement, pas empreintes de vérité ou, encore moins, ancrées dans le champ académique.
Concernant les frontières algéro-marocaines, il a répété, je dirais de façon candide, les thèses (ou les foutaises comme dirait Pierre Bourdieu) des Xavier Driencourt, Bertrand Lugan et de quelques héritiers de Lyautey nostalgiques du Royaume de France. On ne peut pas être brillant sur tous les sujets comme on ne peut plaire à tout le monde.
Incontestablement, Boualem Sansal a eu des propos controversés sur l’histoire ancienne et contemporaine de l’Algérie et de l’Afrique du nord en général. Mais au lieu de le sanctionner sur ses affirmations approximatives, il aurait été plus simples et plus judicieux de lui offrir une plateforme de débats dans une télé algérienne et de le confronter à des historiens qualifiés spécialistes de ces questions.
Cela aurait permis de clarifier quelque peu ses idées et de profiter de sa notoriété mondiale pour diffuser, de façon sereine et intelligente, les vérités géopolitiques malmenées dans les médias français de droite et d’extrême droite.
L’Algérie qui fut, un temps, « la Mecque des révolutionnaires » comme se plaisent à le répéter certains idéologues en mal de nationalisme, gagnerait à devenir l’épicentre mondial de la pensée critique et du dialogue. L’interpellation ou, pire, l’arrestation de Boualem Sansal portera gravement atteinte à l’héritage anticolonial de l’Algérie et donnera du grain à moudre à toutes les forces hostiles à notre pays.
L’heure est plus que venue de favoriser un climat apaisé où les idées pourront être exprimées librement y compris les idées gênantes, farfelues ou politiquement incorrectes dans un contexte régional et international de tension.
La clé de voûte pour avancer vers une société algérienne éclairée, plus juste et sûre d’elle-même, n’est pas la répression mais la confrontation dynamique des idées. Nos écrivains connus ou moins connus, amazighophones, arabophones ou francophones, honorent l’Algérie. Celle-ci doit mettre en place les conditions favorables à leur expression.
Créer, encourager et protéger des espaces où les idées les plus audacieuses peuvent circuler, permettrait de sortir des discours lénifiants, dithyrambiques qui anesthésient dangereusement le discours public et polluent la pensée collective constructive.
Permettre aux Algériens, toutes classes et toutes langues confondues, d’avoir une meilleure compréhension des enjeux stratégiques du moment n’est possible que si l’on accepte les opinions divergentes.
Au lieu de transformer celles-ci en chefs d’inculpation, prenons les pour des pistes d’amélioration ou pour des interrogations. Alors, et seulement alors, l’Algérie sera un grand pays doté d’un nécessaire soft power bien utile en ces temps tumultueux. Des temps où le droit international est piétiné par ceux-là mêmes qui s’en réclament et l’utilisent pour perpétrer des crimes de guerre et contre l’humanité.
Hacène Hirèche