Dans la tourmente qui enfante de nouvelles sociétés ou qui les étouffe dans l’œuf, les situations semblables créent des jugements semblables. L’obstination de la France coloniale a produit le FLN, l’intransigeance du FLN au pouvoir a donné naissance au FIS.
Pour les dirigeants nationalistes algériens, une fois l’indépendance acquise, l’islam devait céder la place au socialisme « matérialiste » tout en décrétant l’islam religion de l’Etat et les frais de fonctionnement des mosquées prises en charge par l’Etat.
Hier, le colonisateur proposait aux musulmans la citoyenneté française contre le renoncement à l’islam. Aujourd’hui, le pouvoir algérien suggère implicitement aux «islamistes » de participer au gouvernement contre une mise en sourdine de la « charia ». Autrement dit l’obéissance à l’Etat au lieu et place de la soumission à Dieu.
En traitant les «autochtones » de «bougnols », des « moins que rien », (fainéants-nés, des voleurs-nés, des criminels-nés, des menteurs-nés), la France a fait de l’humiliation et de la soumission des techniques de maintien de l’ordre colonial. Sur un autre plan, la disproportion des moyens de répression mobilisés ne vise-t-elle pas qu’à humilier et à soumettre une population de plus en plus rebelle à l’ordre établi.
L’histoire se répète, les mêmes causes produisant toujours les mêmes effets. « L’histoire est terrible avec les hommes et d’abord elle leur bande les yeux en leur faisant croire que le pire n’est pas pour eux ».
Les régimes déclinants résistent à la critique verbale. L’élite dirigeante va reproduire les méthodes du colonisateur et parachever sa politique économique et sociale
Cette gestion autocratique, anarchique et irresponsable de la société et des ressources du pays n’est, nous semble-t-il, pas étrangère à l’influence et l’attraction de la France sur/par les « élites cooptées » du pays, aujourd’hui vieillissantes pour la plupart, maintenue en activité malgré leur âge avancé et pour la plupart finissent presque tous dans un lit d’hôpital parisien entre les bras de « notre mère patrie la France ».
Elle s’insère parfaitement dans la stratégie de décolonisation du général De Gaulle, engagée dès 1958 à son retour au pouvoir et parachevée en 1962 par la signature des accords d’Evian dont la partie la plus secrète a été semble-t-il largement exécutée.
Elle a permis à la France d’accéder à la pleine reconnaissance internationale en tant que grande nation (indépendance énergétique), à l’unité nationale retrouvée (menace guerre civile évitée) et au rang de puissance nucléaire (premiers essais concluants au Sahara) et a miné l’Algérie postcoloniale par la dépendance économique (viticulture, hydrocarbures, importations), par la division culturelle (langue, religion, ethnie), et par l’émergence d’un régime militaire autoritaire peu soucieux des intérêts de la majorité de la population.
En imposant un schéma institutionnel dont la logique de fonctionnement était radicalement opposée à celle de la société indigène, et un modèle économique étranger aux réalités locales des populations, le colonisateur préparait en fait la société postcoloniale à l’échec de la modernisation politique et au développement économique. Les services secrets français ont joué un rôle important. Ce n’est pas un pur hasard que la plupart des ambassadeurs qui sont passés par Alger se retrouvent le plus souvent à la tête de ces services.
« En politique, trahison, lâcheté, et hypocrisie sont des religions, c’est pour cela que nous avons de mauvais gouvernants » nous apprend Laurent Denancy la France a pénétré l’intimité de la société algérienne afin d’en faire un levier puissant de domination et de dépendance.
La France a perdu la guerre par l’épée, elle l’a gagnée par l’esprit. Coloniser un pays c’est conquérir son territoire par la force, posséder son corps par la prostitution, occuper son esprit par l’école. La domination des terres s’accompagne de la domination des corps. Il s’agit de s’approprier les corps et les âmes. Ressembler à l’homme blanc c’est accepter de se mettre sous sa domination. Le colonialisme a atteint ses objectifs.
On rêve de l’ailleurs. 1830, les Français débarquèrent en Algérie pour l’occuper. 2030, les Algériens embarquèrent pour la retrouver. L’histoire est pleine de surprises.
Hier envahisseurs, aujourd’hui envahis, les pays dits « d’accueil » ont essayé toutes les politiques que ce soit de cohabitation, d’assimilation ou d’intégration, aucune n’a réussi. Alors, ils se retournent vers les Etats post coloniaux pour leur ordonner de constituer une « ceinture de sécurité » de l’Europe menacée par un flux migratoire incontrôlé. Une émigration encouragée par une répression aveugle des autorités et l’absence de perspectives pour une jeunesse désœuvrée.
Le mouvement migratoire des peuples est un phénomène marquant de ce XXIème siècle. C’est une revanche de l’histoire des africains dépouillés injustement de leurs richesses naturelles par l’occident triomphant en perte de vitesse vivant de son passé « glorieux », d’un présent tumultueux et pour un avenir incertain. Des populations à la recherche d’une liberté illusoire et d’un bonheur hypothétique fuyant les interdits de la religion, de la politique et de la pauvreté.
Mais, une fois en contact avec la dure réalité de la société d’accueil et des valeurs qui la sous-tendent, ils deviennent nostalgiques en se chuchotant à l’oreille (pour que les compatriotes restés au bled ne les entendent pas) : «Loin de toi je languis, près de toi je meurs ».
La France est incrustée dans notre cerveau sclérosé, l’Algérie est vivante dans leur mémoire agitée. Au débarquement des troupes françaises, les premières à s’habiller à la française sont des prostituées algériennes.
Elles seront les premières indigènes à être infectées de la maladie de la syphilis transmise par les soldats français. Ironie de l’histoire, des familles entières envoûtées par l’image se jettent à corps perdus dans la méditerranée en brûlant au passage leur « nationalité algérienne » pour rejoindre la France que leurs parents ont combattue. Les martyrs n’ont qu’à se retourner dans leurs tombes.
Dr A. Boumezrag