C’est à mon sens l’un des points les plus troublants, au-delà des thèses rocambolesques. Ils nous envoient à la figure toujours l’argument des Big pharmas, des soi-disant démocraties, du libéralisme, des néocoloniaux, des impérialistes, des yankees, de l’OTAN, des francs-maçons et du Capitaine Haddock.
Les conspirationnistes ne s’attaquent jamais aux dictatures
En un article de presse des antivax, on peut parfois dénombrer des dizaines de fois ces mots, comme une litanie, une obsession. Et je ne citerai pas le mot juif car ils sont parfaitement au fait des lois à ce sujet.
C’est tout à fait étonnant que ces individus soient aussi obnubilés par les systèmes démocratiques, où ils ont justement la liberté de déverser leurs imbécilités dangereuses, tout en ne citant jamais les pays et régimes totalitaires.
Ils ont l’indécence de manifester avec de très jeunes enfants, jusqu’avec les bébés en landau. Une pratique ancienne des mouvements d’extrême droite pour brandir la notion familiale, cœur de la doctrine des catholiques extrémistes et pétainistes. Comme si nous, nous n’étions pas vigilants envers la sécurité de nos enfants et que leur avenir nous importait peu, comme des barbares.
L’histoire des complotistes est aussi noire et ténébreuse que les forces occultes qu’ils dénoncent. C’est d’ailleurs à mourir de rire car les complotistes de l’ombre, ils en sont les champions et la définition même.
Non, les complotistes ne me font pas seulement rire car leur ADN historique fut et reste un ennemi des plus dangereux pour la démocratie. C’est ce qu’il faut maintenant examiner.
Les complotistes, héritiers d’une longue histoire sombre
C’est lors de la Révolution française que prend naissance la forme que nous connaissons aujourd’hui avec les complotistes, notamment avec l’une de leurs succursales, les antivax.
Les anti-vaccin, gentils illuminés ou dangereux activistes ?
Adam Weishaupt, professeur en Bavière, crée en 1776 un mouvement secret, l’ordre des Illuminaten (Illuminés) qu’on appellera les Illuminatis. Il souhaitait recruter la jeunesse Bavaroise pour contrer la société très catholique de la région. Comment pouvait-on entreprendre un tel projet sans le secret, à cette époque ?
Son objectif majeur était de perpétuer les idées des Lumières du 18e siècle, fortement menacées par l’obscurantisme. Il encouragea ses adeptes à participer dans un ordre secret bien plus ancien en Europe, les loges maçonniques. On sait combien cette organisation fabriqua des fantasmes provoquant des réactions hostiles, violentes et irrationnelles.
Deux détracteurs vont alors porter à la connaissance du monde, surtout aux Etats-Unis, l’idée d’une conspiration secrète des révolutionnaires ayant pour objectif d’éliminer les monarchies et le monde chrétien.
Tout d’abord l’abbé Barruel qui publie en exil ses « Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme ». Outre-Manche un savant écossais connu, John Robison, publie un texte dont le long titre évocateur est « Preuves d’une conspiration contre toutes les religions et les gouvernements d’Europe fomentée dans les assemblées secrètes des francs-maçons, illuminés et les sociétés de lecture, obtenues de bonnes sources ».
Ainsi naît la légende des Illuminatis dont on va donner par la suite ce nom, devenu générique, à toutes les organisations (le plus souvent fictives) qui menaceraient de détruire la civilisation occidentale chrétienne. On sait combien sera grand le fantasme sur les francs-maçons, les Illuminatis et les juifs, considérés comme des conspirateurs de l’ombre. On sait surtout où il a mené au 20e siècle.
Les antivax, aussi anciens que le vaccin
Les rumeurs d’intoxication et de spéculation par les vaccins datent depuis le 19ème siècle avec l’invention de Pasteur et la vaccination anti-variole par le médecin anglais, Edward Jenner. Déjà naissait l’argument de l’empoisonnement et de l’enrichissement coupable des vaccins.
La cupidité des apothicaires (pharmaciens de l’époque) serait l’alliée coupable, celui qui pousse à la récolte des fruits financiers juteux. Rien donc de nouveau lorsque les antivax brandissent cet argument.
Mais l’odeur du souffre, sorti des ténèbres, celui qui annonce l’affiliation des antivax avec des mouvements de la « peste noire » de l’histoire, est ce que relève l’historien Laurent-Henri Vignaud. Selon lui, le vaccin allait stériliser les populations « de la race arabe » car il contient du sang de juifs.
Et je pourrais citer des centaines d’autres cas dont l’un des derniers est la rumeur des vaccins frelatés proposés par Bill Gates aux populations qui en sont démunies, un « chimiste-financier ».
C’est d’ailleurs exactement ce qu’avait affirmé le journaliste Henri Rocheford qui critiqua violemment Louis Pasteur en le traitant de « chimiste-financier ». Le docteur Maurice Deutsh dira à son tour « Les flots du vaccin deviendront le pactole des vaccinateurs ». Bien entendu, on ne soupçonne aucune jalousie envers un chimiste qui avait inventé l’un des plus grands recours médicaux de l’humanité, le vaccin.
Et pour finir, il y a les charlatans de la protection naturelle contre la vaccination. Et qui trouve-t-on dans la liste, encore Laurent-Henri Vignaud qui insiste « Quand une personne tombe malade, c’est qu’elle est mal alimentée et qu’elle vit dans un environnement dégradé ». Si on ne peut qu’admettre ce principe général de santé, nous nous rendons compte combien il est loin de la protection du vaccin. Puis bien d’autres, comme le docteur Villette qui dira « la vaccination est un délit contre la nature ».
Voilà quelques exemples de la triste histoire des ancêtres des antivax. Du souffre, des imbécilités et de la dangerosité. Rien qui n’a disparu dans les slogans de leurs héritiers actuels.
Nier la pandémie et l’efficacité du vaccin, trop c’est trop !
Nier la pandémie est coupable. Des millions de personnes sont décédées, des personnes à risque et même des jeunes ont été foudroyés, le système hospitalier et les économies ont été mises à terre. Ce qui, au passage, ne touche essentiellement que les populations défavorisées. Celles que les antivax s’honorent à haute voix de défendre.
En France, les antivax se couvrent de la légitimité de l’article 4 de la constitution pour réclamer le droit à la non vaccination mais ils l’ont mal lu ou pas lu du tout :
« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi, l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi ».
En conclusion, ayant été infecté moi-même, à 66 ans, avec quelques fragilités de santé, je ne peux que remercier Pasteur et les scientifiques acharnés de la modernité. Ils n’ont pas d’autre opinion politique à mes yeux que de m’avoir permis de profiter encore de la vie et de mes proches.
Heureusement que les autorités algériennes n’ont pas tenu compte de cette élucubration des antivax car on peut s’imaginer l’hécatombe, encore plus massive que celle qui a terrassée le pays. Il m’a fallu beaucoup d’effort pour écrire cette phrase mais je n’ai en conscience que la santé de la population.
J’attends que ceux qui ont vu mourir leurs proches répliquent avec moi à ces articles de presse irresponsables et terrifiants. Je les attends.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant