Lettre ouverte au ministère de la culture algérien. Nous, cinéastes algériennes et algériens, lançons un cri d’alarme sur l’avenir du cinéma algérien.
Nous avons toutes et tous appris, d’abord par rumeur en 2021, puis par voie de presse en avril 2022, la suppression du Fonds national pour le développement de l’art, de la technique et de l’industrie cinématographiques et de la promotion des arts et des lettres (FNDATICPAL). De fait, le dernier outil de financement public du cinéma algérien disparaît, sans communication officielle de nos institutions sur l’avenir de la politique cinématographiques de notre pays.
La culture est une affaire d’État. La promouvoir pour qu’elle s’exprime librement relève également de son ressort. La décision unilatérale de la disparition du fonds public de financement du cinéma, sans concertation préalable avec les cinéastes, menace directement l’accès au public d’un cinéma algérien, libre et indépendant.
Notre public est composé de femmes, d’hommes, d’adolescents et d’enfants algériennes et algériens, en Algérie et partout dans le monde. Notre rôle est de créer pour notre public des films d’auteur, du divertissement, des documentaires, des court-métrages, des films d’animation – des œuvres qui nous permettent de nous relier et de ressentir ensemble les sentiments profonds qui nous animent.
Le cinéma est une histoire de rêve, de désirs, d’imaginaire, d’émotions. À travers lui, nous existons en tant que peuple et notre pays tout entier rayonne. Le cinéma véhicule notre langue, notre culture, notre histoire, notre identité, notre esprit et nos luttes. Si nous ne pouvons plus raconter nous- mêmes notre histoire et mettre en scène nos univers, nous prenons le risque que d’autres le fassent à notre place ; nous prenons le risque d’être dépendants de fonds étrangers uniquement et de ne plus pouvoir porter notre voix librement ; nous prenons le risque que notre public ne se sente plus représenté.
Pour rappel, notre fonds national pour le développement du cinéma a contribué au financement d’œuvres cinématographiques algériennes, en productions nationales et coproductions internationales, qui ont reçu Palme d’Or, Lion d’Or, qui ont été nommées et primées aux Oscar, aux César, qui ont été sélectionnées et primées dans nombre de festivals et d’ateliers en Algérie et aux quatre coins du monde, à Cannes, Oran, Venise, Saïda, Amman, El Gouna, Clermont-Ferrand, Bejaïa, Dubaï, Doha, Carthage, São Paulo, Le Caire, Namur, Locarno, Sydney, Miami, Sundance, Seattle, Londres, etc.
Une nouvelle vague de films algériens fait aujourd’hui souffler un vent de fraîcheur et d’innovation sur notre cinéma. Notre création est riche, unique, reconnue par nos pairs dans le monde entier et appréciée de notre public. La suppression de ce fonds lui fauche l’herbe sous le pied.
Hormis cet aspect, le cinéma est également un secteur d’activité qui, au-delà de sa mission artistique, identitaire et culturelle, fait travailler auteurs, techniciens et comédiens du secteur et fait vivre leurs familles. En coupant soudainement tout ce secteur d’une partie de son financement, sont mis en péril non seulement les films algériens mais également la survie de celles et ceux qui les conçoivent et les fabriquent ainsi que de leurs familles.
Dans les faits, la dernière commission du fonds public de financement du cinéma algérien, prévue le 15 septembre 2021, ne s’est pas tenue. La précédente commission n’a toujours pas été ratifiée par les services du ministère de la Culture.
À la suite de la suppression du fonds, des films, dont la production avait déjà débuté, n’ont pas touché les dernières tranches qui leur étaient allouées. Du jour au lendemain, les cinéastes ont dû interrompre leur tournage et chercher en urgence des financements étrangers pour mener, à bien, leur production et payer comédiens et techniciens engagés sur leur film.
À ce jour, non seulement nous ne voyons pas d’avenir mais les dossiers de dizaines de projets cinématographiques déposés ces deux dernières années restent en suspens, sans aucune information, ni perspective de résolution. Nous avions déjà alerté, à ce sujet, Madame la Ministre de la Culture par un courrier officiel déposé au ministère le 23 octobre 2021. Ce courrier est, à ce jour, resté sans réponse.
Madame la Ministre de la Culture, nous vous demandons, aujourd’hui et sans plus attendre, un état des lieux officiel et transparent de la situation : d’une part, sur l’avenir de la politique nationale de financement du cinéma algérien ; d’autre part, sur le traitement spécifique des projets déposés au FNDATICPAL qui restent, à ce jour, en suspens.
Nous nous associons pleinement à la démarche et à l’inquiétude
Nous invitons les cinéastes algérien.nes, toutes et tous, à se joindre à nous. Nous invitons les autres corporations du secteur cinématographiques – scénaristes, comédiens, techniciens… – à nous accompagner dans notre démarche et celle de l’APAC.
Aujourd’hui, le cinéma algérien est en danger de mort. Nous avons à cœur de le faire rayonner sur la scène nationale et internationale. Nous comptons sur nos institutions gouvernementales pour nous soutenir, nous promouvoir dans notre création et que cette création reste libre !
Signataires :
Kamir Aïnouz
Adila Bendimerad
Amel Blidi
Yasmine Chouikh
Sofia Djamaa
Nabil Djedouani
Hassen Ferhani
Amine Hattou
Fayçal Hammoum
Abdelmalek Kellou
Dorothée Myriam Kellou
Yanis Koussim
Nadir Mokneche
Karim Moussaoui
Damien Ounouri
Lyes Salem
Amin Sidi-Boumédiène
Lina Soualem
« Le cinéma véhicule notre langue, notre culture, notre histoire, notre identité, notre esprit et nos luttes ». Presque tout est au singulier.