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mercredi 15 octobre 2025
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« Les griffes de l’écrivain d’Amin Zaoui » : voyage dans les méandres complexes de l’Algérie…

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Passant d’une escale à une autre, d’un événement à un autre de la vie nationale et d’un sujet à un autre, Amin Zaoui scrute d’un œil perspicace, dans un exercice littéraire de haute voltige, tout ce qui caractérise l’Algérien.

Avec un langage tantôt mi-pessimiste tantôt mi-humoristique, mais jamais moralisateur, l’auteur du Festin de mensonges décortique la société algérienne avec ses torts et ses travers, ses côtés optimistes et ses recoins sombres, ses lumières et ses noirceurs. Le ton n’étant plus à l’académisme ni aux constats-postulats posés comme une épée de Damoclès sur la tête des lecteurs, car, sur fond de critique et de doute méthodique propre à l’intellectuel, l’essai se lit d’une traite, avec envie et sans modération aucune telle une ode à l’espérance et à la vie. A la croisée de l’essai et de la nouvelle, l’ouvrage de Zaoui interpelle les consciences plus qu’il ne les blâme ou les réprimande. C’est un écrit « éveilleur » qui secoue le cocotier des âmes endormies.

L’auteur de La Boîte noire de l’islam ne fait pas dans la dentelle quand il critique, mais ne semble pas non plus d’un jugement acerbe ou dur. Autrement dit, le lecteur peut donner libre cours à ses feed-back, rêver, espérer, participer de son propre constat vécu lui-même au quotidien, voyager, avec lui, l’auteur s’entend, sans qu’il ne ressente de dégoût ni de fatigue.

Amin Zaoui précise d’emblée l’objet de son essai : « j’ai écrit ce livre avec le sentiment d’un devoir de citoyenneté […] sans démagogie ni pédagogie ». En soldat parti aguerri à la bataille, l’écrivain sort ses griffes, non seulement pour se défendre, résister, ébrécher la marge de l’oubli, protester ou dénoncer, mais aussi pour se frayer un chemin,…avancer. Ses griffes sont peut-être celles d’un chat-le thème de ce félin et le rapport  mi-affectif, mi-pathétique de l’Algérien avec lui est revenu comme par hasard dans cet essai- pour lacérer ou écorcher le corps de la société à coups de critiques, s’accrocher au quai du développement, s’arrimer à la modernité.

Dans la quatrième de couverture, l’auteur du Sommeil de mimosa annonce déjà la couleur, sans demi teinte : «L’écrivain, précisaitil, sort ses griffes, cela ne signifie en aucun cas qu’il est devenu un diable ou un monstre. Au contraire, les griffes de l’écrivain ne sèment ni violence ni brutalité ; elles exhument plutôt les étoiles enfouies dans la tête du lecteur.» Ainsi interpelle-t-il, en observateur impartial mais non neutre, tout ce qui le perturbe et le dérange, en s’éloignant autant que possible des partis-pris.

Les griffes de l’écrivain est un ouvrage du cœur, fait avec du cœur, beaucoup de cœur pour dire l’indicible : lire et relire l’Algérie avec toutes ses métamorphoses. Et puis, la vie n’est-elle pas, pour reprendre le mot de l’auteur lui-même, un champ de bataille, où l’écrivain est cette luciole éclairant la noirceur quotidienne ? On découvre, au fil des pages, la sensibilité à fleur de peau de Zaoui, sa finesse éclectique, son regard tatillon mais si généreux qui ne laisse rien au hasard, l’acuité de sa vision, ses colères plutôt teintes d’un brin de plaisanterie, parfois à la limite de l’auto-dérision. Tant de thèmes traversent, à vrai dire, le corpus de l’essai sans qu’il n’y ait « réellement de lien entre eux : « Les chats d’Algérie », « L’Algérien sang chaud cœur doux », « La peur du lecteur algérien », « Quand le Ramadhan algérien fait son arôme », « Ces femmes militaires », « Nos étoiles filantes algériennes », « De la tablette coranique à la tablette numérique», « La figue de barbarie légendaire, mielleuse et épineuse », « Une narration épicée pour le couscous».

D’un subjectivisme suggestif, l’auteur vogue un brin désabusé au gré des tourments de la société, la sienne, pour la narrer de l’intérieur, tout en campant un coin fixe à l’extérieur, afin d’en tirer des leçons, des expériences, des constats. Ainsi parlait-il, nostalgique, des soirées ramadanesques d’autrefois dans le giron de la famille, des rires à foison, de la convivialité, de la foi sans ostentation ni consumérisme débridé, du repas partagé dans la joie désintéressée et de la spontanéité, typique de la société paysanne. Et puis, de son feu père et son expérience avec le cheval, cet animal connu, chez l’Algérien, pour  sa grande symbolique de virilité, de finesse et de prestige, du café d’antan comme agora de débats et de discussions illuminées devenu à l’heure présente un lieu de médiocrité. Et aussi, de la psychologie contradictoire de cet « Algérien doux-amer » prédisposé à l’empathie avec la détresse des autres, fruit d’enchaînement d’épreuves, façonnées d’abord par le trauma colonial, puis la blessure identitaire, et finalement son expérience douloureuse avec l’islam politique.

Sur ce point-là, l’auteur du brûlot Allah n’habite pas à la Mecque pense que, même si ses projets de modernisation sont en rade, la société algérienne est toujours en quête d’une planche de survie. Cette dernière s’efforce, mais timidement hélas à se délester de quelques traditions surannées, bourrées d’hypocrisie, de bigoterie et de fanatisme. Un fanatisme de part et d’autre qui parvient même, dans sa radicalité, à travestir le code vestimentaire de l’Algérien, voire à « l’idéologiser » à des fins obscures.

Quant à la bigoterie, elle altère, de nos jours, tout sens de l’entendement dans le subconscient de l’Algérien et crée une personnalité collective quasiment maladive, dédoublée, schizophrénique. Cela laisse la société sans voix, incapable de verbaliser ses maux et ses douleurs, avec des penchants irréversibles pour la violence et sui generis. Le Verbe pour Zaoui est important, c’est une issue de secours pour des situations irrémédiablement « insecourables ». Et le verbe nécessite de la lecture et c’est là que l’essayiste-romancier de la littérature algérienne contemporaine-le plus prolifique de sa génération- aborde le thème de la bibliothèque et de l’absence criante de la lecture comme activité sociale humanisante.

Or, martèle-t-il dans son texte «on ne naît pas lecteur, on le devient ! » Et de s’interroger ainsi : « Face au bouleversement vertigineux de toutes les valeurs culturelles, technologiques et sociétales, comment peut-on sauver la vie d’une bibliothèque classique de lecture publique située dans un quartier d’une simple ville algérienne ? C’est un défi. » Un défi d’autant plus crucial que le monde moderne évolue à géométrie variable et à une vitesse-éclair qui ne laisse plus de temps pour les retardataires. Toutefois, l’optimisme de l’auteur saute aux yeux quand évoque l’expérience de quelques femmes auteures et même présidentes de maisons d’éditions, ayant brillé par leur travail et ténacité, dans le domaine créatif, resté jusque-là l’apanage des hommes. Zaoui en profite pour rendre hommage à toutes les femmes algériennes à commencer par la reine Dihiya-Kahina qui, à l’en croire, « dormait les yeux ouverts, rivés sur la sainte terre de la Numidie berbère […]vigile suprême de la langue maternelle ». 

Frontal, exhaustif, chirurgical et allant au fond des choses et des problèmes, l’essai d’Amin Zaoui, tout en exhortant les Algériens à puiser aux valeurs ancestrales d’autrefois matière à l’euphorie, à la solidarité et à l’optimisme, les appelle à faire un pas décisif vers la modernité, vers le renouveau, vers la rupture radicale avec la culture du tabou, de l’hypocrisie et du dogmatisme. Une fresque littéraire à découvrir…  

 Kamal Guerroua

Amin Zaoui, Les griffes de l’écrivain, Dalimen, 2025, 372 pages. 

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