Le conflit en Ukraine est d’autant plus difficile à régler qu’il est la résultante d’une foule de griefs, d’intérêts et de jeux de puissance, qui s’intègrent et se cachent les uns dans les autres, créant une situation meurtrière montrant toute la pertinence du pacifisme et d’une ONU puissante.
Au lieu de se rapprocher, les positions des belligérants en Ukraine semblent actuellement s’éloigner en raison des intérêts géopolitiques des forces mis en cause.
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky, fort de l’appui de nombreuses démocraties, surtout des États-Unis dont le président, Joe Biden, annonçait récemment une autre aide de trois milliards de dollars, affirmait le 24 août ne plus viser la paix, mais plutôt la victoire. Avec cet argent, l’Ukraine peut maintenant s’acheter des systèmes de défense aérienne, d’artillerie, des radars, et surtout beaucoup de munitions pour pouvoir se défendre de l’agresseur russe.
La Russie se sent aussi renforcé de l’appui de la Chine, des pays amis et même de ceux opportunistes comme la Turquie, l’Inde et de nombreux autres, qui profitent des sanctions occidentales pour faire le plein de pétrole, gaz et autres ressources russes à prix cassés.
Le martyre des Ukrainiens
La poupée russe la plus visible est celle dont les médias parlent tous les jours depuis la fin de février. Elle montre les conséquences dramatiques de cette « opération spéciale » russe. Selon les décomptes non vérifiés, et possiblement fortement sous-évalués, au 24 août, soit six mois après le début de l’invasion, les combats auraient causé plus de 13 500 victimes civiles, dont plus de 5 600 morts, incluant au moins 350 enfants et 8 000 blessés, dont 600 enfants. Au niveau des soldats, il y en aurait eu plus de 9 000 Ukrainiens et jusqu’à 15 000 Russes qui auraient été tué au combat. Les blessés se compteraient par dizaines de milliers des deux côtés.
Les pertes humaines seraient donc importantes dans les deux armées. Le militant écologiste russe et membre de la direction du Bureau international de la paix (BIP), Oleg Bodrov, affirmait que cette guerre était une tragédie pour l’Ukraine tout d’abord, mais aussi pour la Russie, car les deux pays perdraient des pans entiers de leur jeune génération. « Nos deux pays assistent à la mort de leur jeunesse », a-t-il affirmé.
Il n’y a pas que ceux qui sont physiquement impactés, qui sont victimes de cette guerre. Environ 6,6 millions d’Ukrainiens auraient fui les combats, se réfugiant en Europe et dans d’autres pays. Ce sont en majorité des femmes et des enfants puisque les hommes sont tenus de rester pour protéger la nation. L’ONU estime que 12 millions de personnes à l’intérieur de l’Ukraine auront besoin de secours et de protection, tandis que plus de quatre millions de réfugiés ukrainiens pourraient avoir besoin de protection et d’assistance dans les pays voisins.
En ce qui concerne les dommages aux infrastructures, les sommes estimées nécessaires au 24 août pour la reconstruction de l’Ukraine, seraient d’environs 750 milliards de dollars, montant augmentant chaque jour supplémentaire de combat.
L’Ukraine dans le piège de Thucydide
Le contexte géopolitique est la poupée russe qui est directement visible en ouvrant la première. L’histoire se répète vraiment pour ceux qui ne savent pas en tirer des leçons. Un historien grec de l’Antiquité, Thucydide, a décrit il y a 2 500 ans de cela, comment les puissances dominantes ont tendances à entrer en guerre contre celles voulant prendre leur place. Appelé « le piège de Thucydide », cet engrenage oppose actuellement le bloc économique ayant à sa tête les États-Unis et celui de la Chine joignant ses forces avec la Russie appuyée par divers intérêts antioccidentaux.
Bien que la Russie soit indéniablement coupable d’avoir envahi l’Ukraine de manière délibérée et planifiée malgré le fait que le gouvernement ukrainien ait fait bien attention de ne pas la provoquer pendant que les troupes s’amassaient à sa frontière, cette guerre est indissociable du contexte international. L’OTAN a incorporé de nombreux pays de l’ex-URSS, affaiblissant la défense des frontières russes.
Rappelons que les États-Unis étaient prêts à utiliser l’arme nucléaire contre Cuba dans les années 60 pour empêcher que ce pays déploie des missiles atomiques de l’URSS. Lors d’une entrevue pour le journal l’Humanité le 24 août le secrétaire de direction du Mouvement pacifiste ukrainien Yurii Sheliazhenko, affirmait que la guerre russo-ukrainienne était le champ de bataille clé de la lutte multiforme des grandes puissances pour la domination géopolitique.
Mais, c’est la montée en puissance de la Chine qui a donné la confiance nécessaire à la Russie pour qu’elle se sente en mesure de reprendre le contrôle des territoires perdus à la mort de l’URSS, maintenant que le rapport de force a changé.
De l’autre côté, si ce conflit qui devait être une opération de quelques jours perdure, c’est que les pays occidentaux ont compris que la préservation de leurs intérêts passe par l’affaiblissement structurel des puissances montantes s’agglomérant autour de la Russie et de la Chine. Les alliés occidentaux de l’Ukraine lui ont donc fourni jusqu’à maintenant plus de 84 milliards de dollars d’aide pour la soutenir dans son épreuve et les chéquiers vont rester ouverts tant que ce sera nécessaire.
Quelques siècles après Thucydide le stratège militaire Clausewitz avait, avec justesse, défini la guerre comme étant la continuation de la politique par d’autres moyens.
L’ONU n’a jamais été aussi importante
Lorsque l’on regarde dans la deuxième poupée, on y voit la troisième, soit le problème qu’il y a actuellement à tempérer les relations entre les pays. Le manque d’une structure supranationale ayant assez de pouvoir pour gérer les conflits internationaux permet au piège de Thucydide de tuer encore des gens au début de ce XXI siècle malgré le fait qu’il ait été identifié il y a 2500 ans de cela.
L’appel à la paix qu’a mis sur son site l’ONU le 24 août tentait de faire appel aux sentiments des lecteurs en montrant une photo d’une jeune fille se tenant debout dans les débris qui restaient de son école dans la région de Kyïv. Pour le Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, ce qui se passe en Ukraine depuis six mois est une guerre insensée. Il demande donc que les deux parties s’entendent sur une paix conforme à la Charte des Nations Unies et au droit international.
Ce conflit ne montre pas que l’ONU est inutile, car n’ayant pas pu l’empêcher. Il est plutôt, de manière criante, l’exemple de l’inverse. Cet organisme n’a jamais été aussi important dans un monde ou les photos et vidéos pris directement sur un téléphone intelligent peuvent être montrés partout sur la planète en quelques secondes.
Si tous les pays formant l’ONU lui avaient donnés les droits et les ressources nécessaires pour maintenir et déployer des forces armées capables d’intervenir dans des théâtres d’opérations comme celui en Ukraine, et que des casques bleus s’étaient déployés à la frontière ukrainienne avant que ne débute l’invasion, les parties au conflit négocieraient actuellement au lieu de se tirer dessus.
Un comité international aurait aussi pu être créé pour étudier les accusations russes et envoyer d’autres casques bleus protéger les populations russophones que l’Ukraine était censée vouloir exterminer. Cette guerre est une preuve éloquente que l’humanité n’a pas encore assez misé sur elle-même pour obliger que les conflits entre les pays soient réglés par des négociations paisibles.
La faiblesse du pacifisme
La quatrième poupée que l’on trouve quand on ouvre celle de la faiblesse de l’ONU est l’attitude de tout un chacun vis-à-vis ce qu’il faut faire pour maintenir la paix. L’état du pacifisme sur la planète est lamentable en 2022. La guerre en Ukraine a même découragé plusieurs pacifistes allemands qui voient le peu de cas que l’on fait internationalement de leurs orientations profondes.
Face aux conflits qui éclatent à ses portes, l’Union européenne tend même à privilégier la solution militaire, au risque de sacrifier une partie de son ADN, s’inquiète le site espagnol de gauche « Público ». « Nous, Européens, avons construit l’Europe comme un jardin à la française, bien ordonné, joli, soigné, mais le reste du monde est une jungle », affirmait pour sa part le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, peu après l’invasion de l’Ukraine. Le retour de la guerre en Europe remet en cause le modèle pacifiste au cœur du projet européen.
Devant un conflit mondial qui est en train de redéfinir les relations internationales, la voix des pacifistes est pourtant d’une importance primordiale pour diminuer le nombre des morts inutiles. En ce sens, cette année la journée internationale de la paix, créée en 1981, prend une importance particulière.
Depuis 2002, elle est célébrée chaque année le 21 septembre au siège des Nations unies à New York par une cérémonie en présence du secrétaire général. Il fait alors sonner la Cloche de la paix fabriquée à partir de pièces de monnaie données par des enfants de tous les continents.
Cette journée, qui se veut un rappel de ce que la guerre a coûté à l’humanité, devrait servir de point de ralliement aux pacifistes du monde entier pour qu’ensemble ils trouvent des stratégies capables d’infléchir les volontés des puissances militaires de la planète et que les massacres cessent en Ukraine. Si cela fonctionne, cette initiative pourrait devenir l’exemple à suivre pour que se règlent pacifiquement toutes les autres guerres se déroulant actuellement.
L’Humanité est en jeux en Ukraine
Finalement, la cinquième poupée, que l’on trouve au cœur de tout les autres et qui risque de disparaitre à tout moment, est l’Humanité elle-même. Selon les propos que le secrétaire général de l’ONU a tenus le 24 août, elle n’est qu’à « un malentendu » de l’«anéantissement nucléaire ». Antonio Guterres affirme que l’actuel niveau de danger nucléaire n’a pas été connu depuis l’apogée de la guerre froide. Ses dires sont appuyés par ceux du professeur de l’université de Chicago, John Mearsheimer, qui émet l’hypothèse que si Poutine est vaincu en Ukraine, il risque d’utiliser l’arme nucléaire.
« Près de 13 000 armes nucléaires sont stockées dans les arsenaux à travers le monde, à un moment où les risques de prolifération grandissent et les gardes-fous pour prévenir cette escalade faiblissent », a affirmé Antonio Guterres en début d’août.
Cette utilisation, même dans le cas de petites armes nucléaires tactiques sur des champs de bataille en Ukraine ou de l’explosion de la centrale de Zaporijjia, auraient le potentiel de créer des chaines de ripostes et d’amener l’Humanité dans une direction totalement imprévisible et à laquelle personne n’est vraiment préparé puisque les conséquences dépendraient de variables dont le fonctionnement planétaire est actuellement inconnu et ne peut être qu’estimé dans des scénarios les plus apocalyptiques les uns que les autres.
En raison des quantités d’énergie en cause, les grandes extinctions du passé peuvent fournir des éléments permettant de prédire ce qui arriverait si une partie de l’arsenal nucléaire que possèdent actuellement les grandes puissances était utilisée.
Michel Gourd