Jeudi 10 janvier 2019
L’esprit de Yennayer dans les rituels kabyles
Yennayer correspond au 12 janvier 2019 du calendrier grégorien. Il s’agit du jour premier de l’an 2969 du calendrier agraire berbère. Dans cet article, on ne s’attellera pas à rappeler l’historique de cette date qui évoque la victoire du roi Berbère Chachnaq sur les Pharaons, mais plutôt de retrouver l’esprit de Yennayer à travers les rituels qui alimentent la vie au quotidien dans la société kabyle.
Tibura n ussegwas ou bien les portes de l’année signifient, dans les représentations collectives kabyles, les mois de l’année et yennayer est la première porte à s’ouvrir sur l’à venir. Par porte on se représente l’ouverture sur l’opulence qui ne se réalise que par le truchement de l’agriculture, directement lié au climat qui devrait être favorable à la terre nourricière.
L’esprit de yennayer tourne autour de tout ce que le sol peut nous offrir comme blé, orge, farine, olives, fèves, pois chiches…et autres mets pouvant être emmagasinés tout au long de l’année.
Yennayer reste la porte qui détermine les autres, c’est le mois qui enclenche le calendrier agraire comme bien important auprès des populations kabyles, notamment villageoises.
C’est dans ce sens que tout événement, marquant la communauté, se fête par le biais de la nourriture, et la tradition orale se doit de le pérenniser. Les rituels qui alimentent la tradition orale kabyle sont forts nombreux, chaque événement marquant la vie des individus est ainsi traduit par des pratiques ancestrales qui se perpétuent à travers les âges. Parmi elles : la naissance, la circoncision, le mariage…et bien d’autres aussi nombreuses que ce que peut offrir la vie et ses aléas. Les pratiques ancestrales qui s’y rattachent sont animées par l’esprit de yennayer, dans toute sa mouvance.
Avant de développer cette idée il conviendrait de revenir sur les notions de pratique et de rite, pour en définir succinctement le concept.
Qu’est-ce qu’un rite et son rituel ?
Un rite est une pratique sociale, ou individuelle se caractérisant par le sacré ou la symbolique. Dans cet article, les rites sont à prendre au sens anthropologique du terme, comme les cultes préexistants et ancrés dans les traditions orales, le cas des sociétés non-occidentales.
Selon l’anthropologue Claude Lévi-Strauss, les rites ont souvent deux caractéristiques essentielles : celle du stade de l’«avant » par rapport à l’«après » et l’aspect répétitif de la pratique rituelle. Parmi les rites que connaissent les sociétés humaines en général, il y a les rites individuels tels : la prière et les ablutions qui la précèdent, la périodicité, la gestuelle, la direction de la prière tournée vers l’est (selon la religion musulmane). Dans d’autres cas, certains gestes de la vie quotidienne sont ritualisés, tel l’emmaillotage du bébé, la mise au lit des enfants, et bien d’autres gestes qui frôlent la superstition. Au-delà de l’individu, il y a les rites qui concernent toute la communauté, ceux qu’on nomme communément les rites de passage dont: la naissance, la circoncision, la fécondité, les fiançailles, le mariage, la mort et l’enterrement. Les pratiques qui entourent ces rites, et leur aspect habituel, donnent lieu à ce qu’on appelle le rituel.
Ces rites sont des pratiques occasionnelles qui permettent de donner aux individus un point d’attache qui aide, plus ou moins, à surmonter un moment marquant dans leur vie. Ces pratiques-là sont souvent du ressort des femmes, dès que l’occasion se présente, on se réfère aux rituels qui vont jusqu’à devenir des croyances presque mythiques. On les retrouve soit dans les occasions heureuses: la naissance, la circoncision, les rituels destinés à la petite enfance, le mariage, soit dans les fêtes religieuses telles que taεacurt et lmulud, soit dans les travaux du labeur, comme Tiwizi, ou bien dans les rites funéraires.
Tous ces rites et les rituels culinaires qui les accompagnent ont un seul point commun : l’esprit de yennayer. Ce dernier apparaît, non seulement dans le choix des sept mets, mais surtout dans le partage et l’union. En effet, les repas préparés en ces occasions font du couscous le plat principal.
On s’attarde sur les sept ingrédients principaux qui composeront la sauce, principalement des céréales, symboles d’opulence et de prospérité dans l’imaginaire collectif de la société kabyle villageoise.
La tradition orale, dont la poésie, a pour mission de pérenniser ces pratiques par le truchement du verbe et de la chanson, le tout livré sous forme d’un lègue ancestral qui se perpétue. Mais, dans le fond, tout cela n’est que prétexte pour se retrouver, se réunir et surtout partager un moment privilégié qu’on aurait happé à cet aspect insaisissable de la vie: le temps.