23 novembre 2024
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Lettre aux candidats du système

TRIBUNE

Lettre aux candidats du système

« Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté ; une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant » (Aristote)

Messieurs,

Préalablement j’observe déjà qu’il n’y a pas de candidates. Misogynie du pouvoir ou simplement refus de celles-ci de participer à l’élection imposée pour le 12 décembre 2019 ? Quoi qu’il en soit, les questions qui se posent aux candidats sont multiples : n’entendez-vous pas le peuple qui, depuis le 22 février, crie son indignation pour faire part de son refus de toute solution imposée (dont celle de l’élection présidentielle), après avoir dit non au 5ème mandat du président déchu (voire à la prolongation du 4ème) ? Avez-vous muselé à ce point votre conscience pour vous porter candidats laissant largement présumer de votre future illégitimité ? Vivez-vous sur une autre planète ?

Voulez-vous qu’on vous rafraichisse la mémoire ? Let’s go ! Les khotbas du pouvoir, la Présidence et le gouvernement inconstitutionnels, la Justice instrumentalisée et les Médias publics aux ordres ne suffisent-ils pas pour vous rappeler la principale revendication du peuple du Hirak : «Yetnahaw ga3 » ? Que pourrait donc changer l’élection présidentielle imposée pour le 12 décembre 2019 ? Fondamentalement rien, en ce qui concerne l’illégitimité du pouvoir et davantage relativement à la situation politique et économique de l’Algérie qui perdure depuis l’indépendance. Espéreriez-vous, en devenant les collaborateurs du pouvoir de fait, avoir une marge de manœuvre suffisante qui permette d’instaurer un nouveau système politique avec refondation de l’Etat et souveraineté populaire à partir d’élections par la base et des états généraux pour un pouvoir constituant autonome ? Faut pas rêver ! Vous voulez des éléments d’analyse pour vous en convaincre ? En voici !

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Un système politique dominé par la Direction de l’Armée 

Messieurs, commençons par le début. Comment s’est constitué l’actuel et obsolète système ? Vous n’ignorez pas qu’après la guerre d’indépendance nationale initiée par les enfants de Novembre 1954, le pouvoir a été investi par l’Armée (plus précisément sa fraction dirigeante) ; celle-ci a ensuite entrepris l’édification d’un appareil d’Etat en vue d’asseoir son régime. D’instrument révolutionnaire, l’Armée algérienne a opéré sa mutation pour ériger son système politique avec un Etat à son allégeance. La direction de l’Armée devient une véritable structure gouvernante. Ainsi, composé dans sa quasi-totalité de militaires, le « conseil de la révolution » s’est attribué les postes importants au sein de l’Etat, outre des postes de responsabilité à la tête d’entreprises publiques et l’accession à des prêts importants pour la création d’entreprises privées. A la primauté du parti unique (aile civile du système politique) a succédé la suprématie de l’institution de l’Armée (régime militaire). 

Dans cette optique, vous êtes vous posé la question de savoir si une Armée apolitique contrôlée par les civils est possible dans notre pays, sachant que la société algérienne dont le Hirak réclame : « Dawoula madanya machi 3askarya » ? L’Armée (plus particulièrement sa Direction) a acquis un statut social élevé, eu égard notamment à la part importante du revenu national qu’elle s’octroie en contrepartie de la partie visible des régimes d’apparence civile dont vous souhaiteriez être. L’Armée apparaissant ainsi comme le groupe le mieux organisé ayant des intérêts spécifiques, que pourriez-vous faire face à cette situation ? Oseriez-vous ouvrir le débat sur la dépolitisation de celle-ci par sa professionnalisation ?

Le doute est permis car aucun de vous n’ignore qu’elle demeure l’arbitre des conflits d’ordre politique entre leaders issus souvent de la matrice du système dès lors qu’elle reste  passage obligé et incontournable afin d’asseoir un régime. Et, à ce jour, seule la voix du Hirak demande un changement pacifique (« silmya ») vers un système politique expurgé de ses scories (la participation des citoyens au pouvoir est des plus réduites, tant dans les assemblées locales comme au niveau du Parlement qui demeurent liés au régime en place, en témoigne la récente adoption de la loi relative aux hydrocarbures au bénéfice de qui ?). Et, constitutionnellement, la concentration des pouvoirs est au seul bénéfice du président de la République, ministre de la Défense nationale s’il en est, sans contrepartie réelle à la société civile pour pouvoir contrôler un tant soit peu les institutions politiques, administratives et judiciaires. Ce qui gomme toute chance sérieuse d’accès à la citoyenneté des Algériens en les faisant participer, par voie référendaire par exemple, tant à l’organisation qu’au fonctionnement des institutions appelées à prendre en charge leur devenir. Que pourriez-vous faire pour changer ces données quand bien même la Constitution accorde au président de la République des pouvoirs exorbitants, sachant qu’il demeure sous le seul contrôle de la Direction de l’Armée qui constitue son bailleur de pouvoir. Souhaiteriez-vous donc devenir inutilement un autre ¾ président ?

Stratocratie, gérontocratie et oligarchie

Messieurs, deuxième série de questions. Il ne vous échappe pas, ayant été soit dans le sérail soit de simples relais du système, qu’existe en Algérie un déficit chronique en matière d’équilibre des pouvoirs dans la mesure où on est en présence d’un présidentialisme adoubé par la gérontocratie au pouvoir dont les traits caractéristiques sont une rhétorique démesurée et une attitude arrogante dont le populisme est le moindre mal. Vous ne pouvez ignorer que la caractéristique essentielle du système politique algérien repose sur un déséquilibre institutionnel établi au profit du président de la République soumis à ses bailleurs de pouvoir (« décideurs », « cabinet noir »), sans contrepoids réel, à savoir : un Parlement qui reflète un pluralisme politique authentique, une Magistrature indépendante, une Presse libre et une Société civile structurée. Oseriez-vous dire le contraire, d’autant que le pays vit au rythme d’une déviation et une dégénérescence du régime présidentiel avec des risques certains d’autoritarisme et d’arbitraire en l’absence de contre-pouvoir ?

Ce qui corrobore cette situation à laquelle vous ne sauriez déroger ? Toutes les Constitutions algériennes consacrent le président de la République comme chef réel du Gouvernement (le premier ministre étant souvent un homme-lige), chef suprême des Armées (comme titre sans réel pouvoir sur l’institution et encore moins sur sa Direction l’ayant coopté) et de l’Administration (devenue une bureaucratie au service du chef, notamment lors justement des élections consacrant la fraude au service de celui-ci). Et la pratique politique depuis octobre 88 n’a pas modifié cette donnée, cette situation ayant perduré sous forme d’aménagement du monopartisme en système de parti dominant avec à sa tête une gérontocratie (chefs du parti du FLN, de la Direction de l’Armée, du Conseil de la Nation…). Et sous couvert de collégialité, le même édifice s’est régulièrement reconstruit, le pluripartisme de façade n’ayant permis que des coalitions à base d’intérêts politiques révélées par l’affairisme d’Etat à travers la corruption à son sommet et en son sein. Que de responsables politiques impliqués dont certains continuent de bénéficier de l’impunité ! Qu’espéreriez-vous y changer ?

Et que dire de la stratocratie qu’il est possible de définir comme étant un système politique dominé par l’Armée et, dans une moindre mesure, comme une oligarchie ploutocrate dès lors qu’on a affaire à un pouvoir politique fondé sur la prééminence de quelques individus (la « Issaba ») ? Ayant été au pouvoir, qu’avez-vous pu faire pour stopper la double hémorragie subie de plein fouet par notre pays : la douloureuse perte en vies humaines (200.000 ?) et en infrastructures économiques durant la « décennie noire », ainsi que près de mille milliards de dollars durant le règne de vingt ans du président déchu ? Vous avez finalement joué le rôle de simples figurants. Et quels que soient les tenants et aboutissants du Hirak, ce mouvement démontre que le « chahut de gamins » n’a pas cessé. Il a même redoublé pacifiquement d’intensité pour signifier la fin de la ruse pour le maintien au pouvoir du régime et de ses affidés dont les oligarques. Pensez-vous pouvoir assurer la continuité de l’Etat avec un personnel politique renouvelé, dans le cadre de l’alternance au pouvoir ? Rien n’est certain. Or, le Hirak, peuple des jeunes, le réclame pacifiquement chaque vendredi dans la rue (la rue comme seule espace de communication au demeurant). 

L’élection présidentielle, solution idoine ?

Messieurs, nous voilà à la solution imposée par le pouvoir de fait à laquelle vous avez adhéré sans réserve notable. En effet, vous êtes devenus les candidats putatifs du Système à cette élection. Et qui donnerait tort à ceux et celles qui vous rappellent que vous avez figuré dans l’ancien système dont le changement est justement demandé. Ainsi, parmi vous des candidats chapeautant de micro-partis comme émanations du vieux système qui, de parti unique avec langue de bois et pensée unique, s’est métamorphosé en parti dominant sous forme d’« alliance présidentielle ». Parmi vous également, ceux qui ont plus que collaboré au système en leurs anciennes qualités de ministres (voire de premiers ministres) car considérés comme « personnalités nationales ».

Cette expression galvaudée ici et là me semble inappropriée car pouvant encore rappeler celle d’ « hommes providentiels ». « Harkis du système » (sic) serait sans doute l’expression la plus adéquate. Ainsi, si nous avons fait le deuil des « chefs historiques », pourquoi devrions-nous adopter des « hommes providentiels », « sauveurs de la nation » et… autres « personnalités nationales » ? Gageons qu’en Algérie, nous sommes plus de quarante millions de personnalités nationales qui ne veulent plus de la personnalisation du pouvoir. Foin donc des pseudos « personnalités nationales » ayant été souvent dans le système qu’ils prétendent combattre aujourd’hui ! 

Le peuple des jeunes peut désormais constituer, sans intermédiaire, une force politique autonome en dehors même des partis politiques, des syndicats classiques, des éventuelles ONG préfabriquées et des associations sans canaux de communication avec les citoyens. A cet égard, il est dommageable que la télévision algérienne demeure plus que jamais le dernier bastion de la pensée unique (retransmission de discours officiels du pouvoir de fait, hors contradiction).

Qu’espéreriez-vous en faire ? Cette télé a-t-elle vocation à devenir un véritable service public ouvert à tous et à toute forme de communication, y compris celle parfois impertinente ? Force est de constater qu’à ce jour, nous sommes au degré zéro de la communication. N’en éprouvez-vous aucune honte et remords ? Ce, à un moment où le système politique doit être réaménagé en profondeur si l’on veut éviter que le Hirak ne devienne définitivement une autre explosion populaire comme seul mode d’expression. Car à force d’étouffer les révolutions pacifiques, la violence risque de s’installer durablement comme elle l’a été dans un passé récent de notre pays. Qui y a intérêt si ce n’est ceux là mêmes qui, par tous moyens, veulent perpétuer le pouvoir personnel et l’ancien régime qui leur a procuré, à travers l’économie rentière, des privilèges financiers, immobiliers et fonciers ? En êtes-vous conscients et que pourriez-vous y changer pour éviter une autre « décennie noire » ?

Pour vous, l’élection présidentielle, cheval de bataille de l’actuel pouvoir agissant hors constitution et sans légitimité, serait-elle la solution idoine ? L’interrogation est d’autant plus légitime que les Constitutions de 1989, de 1995 et de 2008 n’ont pas modifié de façon notable les données de la problématique du présidentialisme algérien, l’illégitimité en étant le principal caractère. Ma conviction est qu’en participant à cette élection, le risque majeur est de perpétuer un état de démocratie résiduelle. A ce jour, hormis la déchéance du président aux quatre mandats successifs et de l’opération contre les corrompus présumés (quid des corrupteurs ?), peu de résultats tangibles ont été enregistrés d’autant que les jeunes (et moins jeunes) payent leurs convictions de leurs personnes en prison.

Que feront désormais les magistrats devenus les agents instrumentalisés du pouvoir politique ? Quant à l’opposition actuelle toutes tendances confondues (dont vous vous réclameriez), elle a montré qu’elle n’est pas suffisamment structurée pour servir de réel contrepoids politique pour rendre crédible, effective et irréversible l’alternance au pouvoir comme élément substantiel et structurant de la pratique du pouvoir. Et l’économie du pays, se délabrant de jour en jour, que pourra le président de l’après 12 décembre (l’un de vous) qui continuera, nonobstant l’élection contestée, d’être frappé du sceau infamant de l’illégitimité, sachant que l’Algérie recèle de potentialités lui permettant d’assumer un statut de sous-continent et de pays émergent à vocation de puissance régionale dans le concert des nations.

Autre question : la technocratie actuelle -ou technostructure- illégitimement au pouvoir (hors Constitution) et au service exclusif de la direction militaire (principale structure gouvernante qui se sert de l’Armée) peut-elle procurer des résultats sérieux, y compris en matière d’élection ? Croyez-vous que du personnel administratif (en l’espèce, de hauts fonctionnaires délégués à des fonctions politiques) pourrait gérer dans l’intérêt du pays des décisions prises en dehors des sphères classiques du pouvoir ? Cette attitude politique a été néfaste car favorisant les « oligarques » enrichis notamment par la généralisation abusive du «gré à gré ». Et que dire de la privatisation de l’Etat qui a conduit à la généralisation de la corruption comme vecteur important de la gouvernance ?

Le big bang politique tant attendu depuis l’indépendance de l’Algérie tarde encore et mon sentiment est que vous n’y pourrez rien. La question qui vaille est : le Hirak réussira t-il enfin cet exploit pour instaurer un nouveau système politique en achevant définitivement l’ancien régime, en s’émancipant de toute tentative de manipulation et de récupération ? C’est essentiellement au peuple des jeunes (Ahl El Hirak) de répondre à son destin et à celui d’El Djazaïr. 

Et, afin de permettre l’émergence d’un nouveau système politique, force est de chercher à résoudre l’équation fondamentale de la légitimité, à travers une sérieuse révision constitutionnelle par un pouvoir constituant élu dans le cadre d’une transition : comment espéreriez-vous réconcilier les Algériens avec les impératifs de développement politique (la démocratie), le développement économique (impulser une politique efficace de l’investissement et rentabiliser le parc industriel existant, dans le cadre d’une économie forte), le développement social (l’émancipation des travailleurs avec la mise en place d’une nouvelle législation sociale), le développement culturel (renouveau linguistique et remise à flots des créateurs dans l’ensemble des domaines artistiques) et la justice sociale conçue comme pierre d’angle de tout projet cohérent dont la légitimité doit reposer sur la capacité du gouvernement à régler les problèmes des citoyens et à tolérer l’esprit critique -voire simplement caustique- de la presse ?

Une solution possible : élections par la base et états-généraux du Hirak 

Messieurs, parmi les solutions qui peuvent être préconisées, je propose pour ma part, en ma qualité de simple citoyen, celle pour le Hirak de constituer des Etats-généraux au niveau de chaque wilaya (voire de chaque commune) à même de permettre l’émergence de représentants élus parmi les plus jeunes et les plus aptes à prendre les rênes du pouvoir. Et de proposer des élections à partir de la base pour rajeunir le personnel politique de l’échelon local à l’échelle nationale, en recommandant de nouvelles règles d’organisation et de fonctionnement des instances politiques et économiques. Ainsi, nous aurons une nouvelle élite jeune, de nouveaux dirigeants non impliqués dans les affaires sordides de corruption. Cette même nouvelle élite sera issue non seulement d’universitaires avérés et de praticiens de l’économie, du droit, du médical…, mais également du peuple d’en bas : paysan, ouvrier, fonctionnaires, instituteurs, infirmiers… Tous peuvent participer aux gouvernements locaux et au Parlement futur comme contre-pouvoir à la technostructure, par une règle d’alternance au pouvoir et par l’élaboration d’une Constitution réglant enfin la question de la légitimité.   

Cette solution a été historiquement éprouvée et a permis, à tout le moins, de voir l’émergence sur la scène mondiale d’Etats structurés et d’économies compétitives par leur production et par l’esprit scientifique et culturel le plus proche possible des citoyens (scène mondiale dont nous sommes de plus en plus écartés par les attitudes serviles de l’actuel pouvoir de fait et inconstitutionnel -exemple à Sotchi- qui désormais va vendre l’une des principales richesses de la patrie -sinon la principale- jusqu’alors garante de la souveraineté de la Nation). Ainsi, une nouvelle Constitution à respecter comme loi fondamentale davantage que comme un fait du prince déchu que vous avez servi lors de vos carrières politiques…

Pour rappel, c’est avec Athènes que naquit la démocratie directe, un système où le pouvoir (notamment celui de légiférer) était exercé par les citoyens. Et les magistrats, dont les plus importants étaient élus, étaient sous leur surveillance. De cela, il y a quelques siècles déjà… Ainsi, dans « Politique », Aristote explique : « Le principe fondamental du régime démocratique, c’est la liberté ; une des marques de la liberté, c’est d’être tour à tour gouverné et gouvernant ». Tout était organisé de sorte qu’il n’y ait pas de pouvoir personnel. Et, nous dit-on, « les Athéniens n’avaient aucune envie de combattre sous les ordres d’un général tiré dans un chapeau » (Hansen).  

Plus de deux mille ans après l’expérience démocratique grecque, l’idée de la démocratie a resurgi en Amérique et en France. Les idées en sont simples, le pouvoir ne vient plus d’en haut, mais d’en bas. Et le pouvoir vient du peuple. Le peuple choisit ses gouvernants au moyen d’élections. En Amérique, la démocratie a fait suite à la libération de l’emprise du pouvoir colonial exercé par la monarchie anglaise (l’Algérie se devait d’instaurer une démocratie après sa libération du joug colonial. Il n’en fut rien). En France, le peuple succède aux rois de France qui ont incarné l’Etat (Louis XIV disait « L’Etat c’est moi » !). Le président algérien déchu pouvait dire à loisir qu’il ne voulait pas être 3/4 président, souhaitant sans doute être l’Etat à lui seul, faisant fi du peuple. Souhaiteriez-vous adopter cette attitude ? Et ces deux révolutions, en Amérique et en France, ont introduit et affirmé le principe de la souveraineté du peuple. A titre illustratif, en Amérique : « tout pouvoir vient de l’investiture populaire et, par conséquent, émane du peuple » (Déclaration de l’Etat de Virginie, 1776). En France, selon la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (1789) : « La souveraineté est une, indivisible, nationale et imprescriptible. Elle appartient à la nation ; aucune section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice »… 

Et pourtant… Pourtant, vous participez à une élection imposée. Or, « Les hommes étant par nature tous libres, égaux et indépendants, nul ne peut être tiré de cet état et soumis au pouvoir politique d’un autre sans son propre consentement » (Locke, 1690). Avez-vous requis, d’une façon ou d’une autre, le consentement du peuple ? Le Hirak consentirait-il à brader sa souveraineté ? Il est permis d’en douter dès lors que les citoyens sont descendus dans la rue (y compris hors du pays) par centaines de milliers (la presse évoque même des millions) pour dire à « la poignée » de gouvernants illégitimes de « dégager ». Voudriez-vous en faire partie ?

Ignorez-vous que l’actuel pouvoir de fait, érigé en structure gouvernante et s’appuyant sur une technocratie honnie par le Hirak en sa qualité de fraction importante du peuple, ne peut d’évidence se substituer à la souveraineté populaire en imposant une élection ? Car enfin, l’expérience a montré que l’élection en Algérie est souvent entachée par la fraude et l’indignité des candidats retenus (aujourd’hui vous êtes au nombre de cinq) par une instance crée ex nihilo, prétendument indépendante, après un faux débat, non contradictoire et non médiatisé par ce qui devrait être le service public radiophonique et télévisuel). Ne craignez-vous pas le risque d’avoir une nouvelle « Issaba » et d’en faire partie, voire la reconduction d’une oligarchie renouvelée avec tentative de bradage des ressources du pays tant minières (hydrocarbures notamment) qu’humaines (plus de dix mille médecins Algériens exerceraient en France) ? 

Vous feignez d’ignorer que l’Algérie vit à ce jour un vide constitutionnel, les instances vous ayant adoubé étant illégitimes. Or, la Constitution a pour principale vertu de limiter l’autoritarisme et l’arbitraire dès lors que la séparation des pouvoirs est appliquée (celle-ci  signifiant essentiellement que tous les pouvoirs ne doivent pas être réunis entre les mêmes mains). L’antidote à la concentration du pouvoir (particulièrement de coercition) et l’instrumentalisation des autres pouvoirs : Présidence, Gouvernement, Justice, Médias ? Le référendum comme moyen de donner la parole aux citoyens car expression du peuple comme pouvoir constituant. Le pouvoir de fait actuel (dont vous souhaitez, en définitive, faire partie) devrait avoir l’audace de permettre un référendum demandant au peuple s’il consent à l’élection présidentielle à laquelle vous adhérez. Oseriez-vous le lui demander ? Vous aurez alors le peuple entier, et Ahl El Hirak en particulier, derrière vous pour permettre à notre patrie de se réapproprier ses droits politiques pour être les acteurs du destin de l’Algérie (et non plus figurants comme dans un récent passé), notamment en se dotant de représentants à l’occasion d’élections à partir de la base. 

Ainsi, des Maires et des Députés (jeunes, pour éviter la reconstitution à la fois de la gérontocratie gouvernante et la renaissance de toute oligarchie) pourront s’organiser en Etats-généraux. Ce, en vue de devenir un pouvoir constituant et libérer le pays de toutes les « Issabas », organiser le pouvoir et le distribuer selon le principe de la séparation des pouvoirs pour que nulle institution ne s’érige à elle seule en pouvoir qui s’apparenterait à une quasi-dictature. Que naisse enfin le peuple-Etat ! Ya Ahl El Hirak, yes you can. 

Ammar Koroghli est Dr en droit (constitutionnaliste) – Avocat (Paris) – auteur algérien (koroghli.online.fr)

 

Auteur
Ammar Koroghli (*)

 




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