Jeudi 16 avril 2020
Lettre ouverte à Aziz Chouaki par-delà le dernier sommeil
«— Tu sais pourquoi nous, les musulmans, on n’a jamais évolué dans l’industrie?
— Ehh, non ?
— Parce que les chrétiens, ils nous ont volé les pages techniques du Coran. »
Aziz Chouaki, Les Oranges
Cher Aziz Chouaki, mon ami,
Quand Mohamed Kacimi m’a appelé le mardi 16 avril 2019 de Tunisie pour m’annoncer ton décès, j’ai eu du mal à y croire.
Comment était-ce possible, il y avait une erreur… Mohamed s’était trompé, forcément. Ou il avait mal compris.
C’était tellement violent.
J’ai éprouvé immédiatement le besoin de te revoir, une dernière fois, encore une fois, au moins une nouvelle fois… Trinquer ensemble à nous et à nos amis, partager une bière…
J’ai revu tes photos sur certains sites, je suis resté pétrifié à te regarder dans les yeux et à essayer de reconstituer ta voix.
Aziz, mon cher ami Aziz.
J’ai pris tes livres pour les relire et ainsi passer de longs moments à te redécouvrir et à me rapprocher de toi.
Je me suis de nouveau promené à travers tes mots et ton chemin de vie. À te relire, à t’écouter, à sillonner Paris avec toi.
Que de souffrances, que de blessures… À travers tes combats. Et quels combats !
Quelle force, quel courage et quelle rage !
Tu étais tellement là, tellement présent, tellement rayonnant, tellement vivant…
Il devait y avoir une erreur sur ton départ, il n’était pas possible que tu sois parti si brutalement. Sans même nous avoir dit au revoir. Je t’avais vu quelque temps seulement avant ta sortie si brutale, nous avions pris une bière ensemble du côté de Barbès au Lavoir Moderne Parisien où l’ami Hovnatan Avedikian présentait ta pièce Esperanza et je t’avais ri au nez parce que tu portais un chapeau trop petit pour ta tête. En nous quittant, tu m’as pris dans tes bras et tu m’as embrassé, comme d’habitude, en me priant de prendre soin de ma personne.
Je t’ai écrit quelque temps plus tard pour te demander si tu pouvais participer au livre collectif « La révolution du sourire » qui allait être publié aux éditions Frantz Fanon et tu m’as répondu, avec simplicité, que « c’est chaud question temps mais je m’y colle. »
Puis une semaine avant ton départ, tu es revenu vers moi pour m’envoyer un courriel qui disait, in extenso : « Mon cher Kamel, tu vas m’en vouloir beaucoup et tu as raison car je ne suis pas en mesure d’assumer ma mission : écrire le texte et ceci pour des raisons multiples (professionnelles et de santé, sérieux problème à l’œil). Bref, je suis triste et j’espère que tu ne m’en voudras pas trop.
Je reste à ton entière disposition, t’embrasse et souhaite bon vent à notre formidable pays.
Bien des bises,
Aziz »
Un dernier rendez-vous était pris au cimetière intercommunal des Joncherolles à Villetaneuse le mardi 23 avril 2019 dans l’après-midi. Nous étions si tristes, nous tes amis. Il y avait Ahmed Halli, Lounès Tagrawla, Hocine Salah, d’autres encore…
J’allais te revoir une dernière fois. Tu étais dans ton costume d’artiste, toi le guitariste, amoureux du jazz et de bien d’autres musiques. Je t’ai salué une dernière fois, les yeux complètement noyés dans mes larmes.
Et puis les hommes en costumes noirs sont venus te prendre, ils t’ont emmené, je t’ai suivi, je voulais t’accompagner encore et encore. Le temps était à la fraîcheur, j’aurais tellement aimé qu’un rayon de soleil te réchauffe un peu, un tout petit peu…
Chacun a pris une poignée de boutons de jasmin à t’offrir.
Ce jasmin était si beau, si odorant.
Je l’ai porté sur mon cœur, porté à mes lèvres…
Et je t’ai offert ces quelques boutons en cadeau,
Et j’ai passé mon chemin.
Avant la sortie de « La révolution du sourire », l’ami Amar Ingrachen m’a demandé de penser à mettre une citation de toi en exergue au début du livre. Je t’ai écrit cette dédicace que tous les contributeurs de l’ouvrage auraient pu signer : « Pour toi Aziz Chouaki, toi qui devais participer à ce recueil collectif par amour pour ta terre natale, pour apporter ta pierre de touche à cette Révolution du sourire, à nos chemins communs, à nos étreintes fraternelles, aux rendez-vous passés, à ceux à venir, toi qui avais l’art de voir, à partir du cœur, les blessures qui ne s’apaisent pas. »
Repose en paix, l’ami !