Site icon Le Matin d'Algérie

Lettre ouverte à l’écrivain Yasmina Khadra

Hacène Hirèche.

Hacène Hirèche.

Monsieur Yasmina Khadra, vous êtes un écrivain algérien francophone de talent et votre renommée est, à l’évidence, mondiale. Du coup, vous n’avez même plus besoin de le souligner à chaque fois que vous avez un micro entre les mains, nous vous avons toujours reconnu cette stature et vous l’avez mérité.

Aujourd’hui, vous vous retrouvez au cœur d’une vive polémique et les critiques viennent, pour l’essentiel, des Kabyles qui ne vous apostrophent pas pour chercher le buzz comme vous l’affirmez dans votre réplique, ils vous interpellent parce que vous avez tenu des propos malveillants à leur encontre et ils réclament réparation ou, tout au moins, un revirement responsable.

Vous avez affirmé, en effet, lors d’une interview publique que « si un de vos lecteurs-trices venait à se présenter comme kabyle pour une dédicace, vous refuseriez de la lui signer » « ma nsenyi-ha lekc (je ne te la signe pas) », disiez-vous ! Une affirmation, sans équivoque, répétée à plusieurs reprises avec véhémence et un zeste de mépris !

Cette prise de position choquante et discriminatoire a indigné vos nombreux admirateurs kabyles mais pas seulement. Elle signe un ostracisme assumé insupportable et offense tous-tes les défenseurs de la diversité culturelle et des droits humains en Algérie comme ailleurs. Selon vos propos, les Kabyles seraient condamnables non pour ce qu’ils font mais pour ce qu’ils sont !

On attendait de vous, M. Yasmina Khadra, qui êtes connu pour des œuvres littéraires traduites en plusieurs langues, un esprit d’ouverture et un élan de fraternité. Ce n’est visiblement pas le cas. Vos propos discriminatoires à l’égard de vos compatriotes kabyles, le déni maladif de votre propre identité amazighe vont à l’encontre des valeurs de respect et de cohérence que prône la littérature digne de ce nom.

Cette attitude anti-Kabyles, vise peut-être à flatter les instincts ignominieux des tenants de l’arabisme hégémoniste mais, en leur prêtant allégeance, vous blessez des millions de vos concitoyens. Une telle posture suscite la division dans les rangs d’une Algérie déjà meurtrie et fragilisée.

Une Algérie où les fractures identitaires restent toujours vives et dangereuses depuis le mémorandum de Messali Hadj de 1948 envoyé à l’ONU décrétant sans nuances que l’Algérie est exclusivement arabe et islamique.

Cet acte irréfléchi a provoqué, mécaniquement, l’assassinat de plusieurs militants amazighs pourtant fervents nationalistes et premiers partisans de l’indépendance du pays mais qui avaient pour tort de proclamer « une Algérie algérienne ».

Tout en reniant éhontément une Histoire algérienne millénaire, ce genre d’affirmation qui tient lieu de programme idéologique a été repris avec arrogance par Ahmed Ben Bella dès l’indépendance en déclarant en Tunisie trois fois « nous sommes arabes, nous sommes arabes… » comme pour se convaincre lui-même et pour plaire à son mentor Gamal Abdel-Nasser alors champion du panarabisme.

Vous savez parfaitement M. Yasmina Khadra, mais sans jamais l’admettre, que toutes ces proclamations officielles tonitruantes, toute cette idéologie discriminatoire ont un seul nom et visent un seul objectif : l’ethnocide.

Il s’agit de minorer jusqu’à rayer progressivement de la mémoire algérienne tout ce qui se rapporte à l’amazighité. Tel est le but final si l’on ne veut pas « cacher le soleil avec un tamis » comme on dit chez nous.

Sans doute, vous avez, M. Yasmina Khadra, suivi comme nous sur de longs mois, les déclarations nauséabondes de Noureddine Khetal, de Naïma Salhi, d’Abdelkader Bengrina et de tant d’autres contre les Kabyles.

Sans doute aussi, vous avez entendu les propos infamants proférés par le groupe ouvertement raciste nommé « zéro-Kabyles » qui a agi de façon impunie à partir de Mostaganem.

Tous se sont ligués contre la région kabyle qui a donné des centaines de milliers de ses meilleurs enfants pour l’indépendance de l’Algérie. Une réprobation voire une condamnation de ces stigmatisations de votre part aurait conforté l’Algérien en général et le Kabyle en particulier.

Au lieu de cela, vous banalisez cette haine lors d’une interview qui ne pouvait pas indéfiniment passer inaperçue !

Avons-nous besoin, M. Yasmina Khadra, de vous rappeler la responsabilité qui vous incombe en tant que figure publique et emblématique ?

En tant qu’écrivain internationalement reconnu et, de surcroît ancien officier supérieur de l’armée algérienne, vos paroles ont un poids considérable et peuvent influencer vos lecteurs et au-delà de manière radicale.

Adopter une posture discriminatoire est non seulement inacceptable, mais également dangereux, parce qu’un tel acte alimente des tensions inutiles porteuses de dissensions hasardeuses.

La diversité régionale de l’Algérie, le plus vaste pays d’Afrique, est une richesse inestimable. La reconnaissance et le respect de toutes les composantes de la nation, y compris les Kabyles qui ont tant sacrifié pour qu’advienne la liberté dans notre pays, sont essentiels pour construire un avenir démocratique et inclusif.

Il est impératif, M. Yasmina Khadra, que vous reveniez clairement sur vos propos en présentant des excuses sincères à la Kabylie dont l’élite vous aime tant. Ça serait un acte pédagogique de grande portée.

En vous montrant capable de contrition, ouvert envers tous vos concitoyens, sans distinction et respectueux de leur identité telle qu’ils la défendent, vous regagnerez vite la confiance et l’admiration de votre public. Vous contribuerez, en même temps, à l’apaisement global dont l’Algérie a grandement besoin.

Cela dit, cette situation doit servir de rappel à nous tous sans exception : la discrimination, sous toutes ses formes, ne doit pas avoir sa place dans notre pays. Les intellectuels ont un rôle qui les y oblige. Ils doivent promouvoir, dans leurs discours et leurs actes, la concorde et l’unité dans la diversité.

Espérons que vous-même, M. Yasmina Khadra, et nous tous aussi, saurons tirer les leçons utiles de cette controverse malheureuse et contribuer avec respect à la cohésion nationale.

Fraternellement

Hacène Hirèche, essayiste

Universitaire et consultant

Quitter la version mobile