Partir ou rester ? Rester ou partir ? Rester pour ne plus partir. Partir pour ne plus rester. C’est l’éternelle ritournelle du migrant, du déraciné.
Le plus drôle et le plus dramatique à la fois, c’est lorsqu’on ne part ni on ne reste. La valise est quelque part dans la tête, mais le cœur n’y est plus. On se cherche dans la brume; la brume des incertitudes; les embruns de la nostalgie. Cela devient particulièrement vrai quand, à l’intérieur de nous-mêmes, on ne sait pas ce que l’on veut au juste : partir ou rester, rester ou partir?
La déchirure devient intime, et creuse dans nos tripes une béance qu’il est difficile de combler sans que l’on remue le couteau dans nos blessures. Pleurer sa terre, c’est comme pleurer sa mère, la nuance, si tant est qu’il en existe une, est si ténue qu’elle nous ramène à nos faiblesses d’humains.
Car, si la mère, est l’auteure de nos jours, la terre-mère, c’est l’auteure de nos rêves. Et c’est cette fondamentale alchimie, à nulle autre pareille, qui nous rend « forcément » orphelins, surtout quand on les perd , la mère et la terre-mère s’entend.
Etre orphelin, ce n’est pas finalement une question d’âge, mais de conscience. Etre conscient qu’on a perdu un ami, un être cher, un parent, une mère ou une terre, rend malheureux. C’est autrement plus douloureux que n’importe quelle sensation provoquée par une faillite ou un échec quelconque. Perdre, sans aucune possibilité de récupérer ni de rembourser ce que l’on a perdu n’est pas une sinécure.
Cette perte, outre qu’elle est cruelle, nous plonge dans l’angoisse. L’angoisse de rester seul, face au vide existentiel, face au précipice, face à soi. Plus aucune chance de se revoir, ni de se serrer la main, ni de se croiser ni de se regarder, comme autrefois, au temps bénit de la joie. C’est un adieu non choisi, sans protocoles ni consignes particulières. J’aime quand d’aucuns me parlent de la chance, c’est-à-dire, la chance d’avoir beaucoup de sous, de diplômes, de connaissances, alors qu’il me semble que rien n’égale dans la bourse de la conscience le fait d’avoir cette opportunité d’être chanceux, mais d’une autre manière.
De consommer son temps sans trop porter le fardeau de la vie sur ses épaules, d’être libéré, sans contrepartie, des ondes négatives, d’être dans son élément, tel un poisson qui nage dans la mer, d’être, et c’est là l’essentiel, utile pour sa société. L’osmose, ou plutôt la paix morale, c’est de ne pas se sentir être en trop là où l’on vit, c’est de ne pas avoir de frontières dans sa tête, d’être libre dans son esprit, dans son existence. Partir ou rester, rester ou partir, n’a alors plus aucun sens.
Cela devient d’autant plus une question marginale qu’on se rend compte, peut-être à nos dépens, que la plus grande chance de la vie c’est d’être encore en vie…
Kamal Guerroua