Nous continuons dans ce second article à examiner les impostures de personnages passés à la postérité historique. Bien entendu, tout le monde sait que Nostradamus fut un imposteur par ses prédictions. Tout le monde ? Pas certain.
Il y a toujours eu des originaux et des bonimenteurs dans l’histoire de l’humanité mais lorsque des intellectuels et des historiens éminents se posent la question sur la véracité des prédictions de Nostradamus à travers ses textes, il y a là une anomalie troublante.
Imaginez qu’un personnage sulfureux au seizième siècle déclare prédire l’assassinat du président Kennedy en 1963, quatre siècles plus tard, en précisant la couleur de sa cravate, la marque de la voiture, le nom de la rue et la météo du jour.
L’exemple est de ma part imaginaire et en humour mais ressemble beaucoup aux genres de prédictions du personnage. On s’attend tout de même qu’au vingt et unième siècle, le scepticisme se transforme en certitude d’une élucubration d’un mage multifonctions. Ce n’est pas certain.
S’acharner à démêler le vrai du faux parce qu’on y trouve des indices de rapprochement, on peut toujours en trouver, c’est suggérer que le vrai est une éventualité.
Et lorsque ces élucubrations s’introduisent dans des manuels scolaires ou des documents destinés à la formation des jeunes, c’est révoltant. La crédibilité de la science historique repose sur la confiance et l’adhésion des jeunes apprenants au sérieux de ceux qui la proposent.
Ils peuvent se tromper, c’est d’ailleurs dans la normalité des hypothèses et des conclusions dans toutes les démarches de recherche, mais qu’ils participent à une histoire fantasmée vendue comme une vérité est une lourde faute.
Comme pour l’imposture de Marco Polo développée dans le précédent article, essayons-nous à un résumé assez simplifié de cette histoire rocambolesque
L’origine, le départ du flou
Michel de Nostredame, connu sous le nom de Nostradamus, est né à Saint Rémy-de-Provence le 14 décembre 1503.
Son père, James de Nostradamus, un marchand, a dû subir conjointement à sa famille le sort de ceux qui ne voulaient pas être victimes des persécutions durant le règne du roi Louis XII et s’était converti du judaïsme au christianisme.
Aîné de la fratrie, c’est surtout du côté de sa mère, Reynière de Saint-Rémy, qu’il faudrait peut-être rechercher l’existence d’une influence s’il en ait existé une. On disait d’elle qu’elle avait des connaissances en langues classiques, en astrologie et en occultisme grâce aux enseignements de ses grands-pères. Le lien semble pourtant trop évident pour qu’on soit prudent face à une éventualité d’une reconstitution ultérieure de la légende. Mais c’est tentant.
Au-delà, l’incertitude et le flou commencent réellement. Le romancier américain Henry Miller (1891-1980) déclare à son propos, « l’oracle de Salon demeure comme Rimbaud et comme Gilles de Rais, un mystère ». Les sources qui nous permettent d’en savoir plus sont effectivement très rares et incertaines.
Nous disposons de quelques éléments rédigés par lui-même mais aussi impénétrables que ses écrits prédictionnels. Il ne disposa d’un secrétaire qu’à la fin de sa vie qui nous rapporte que son maître est « joyeux, facétieux, louant et aimant la liberté de langue ». Une description qui nous n’en dit vraiment pas long tant elle est lacunaire et suspecte d’une fascination envers le maître (si ce n’est une crainte post-mortelle du prédicateur).
Quant à son fils César, on s’imagine facilement combien il a voulu, pour son propre intérêt, d’en obtenir des retombées, magnifiant la personne de son père et son œuvre.
Puis, comme à l’image de ce qu’a été Nostradamus, il faut se confronter à de nombreuses contrefaçons, d’apocryphes, de l’apparition de pseudo disciples et des supercheries de toutes natures. C’est d’ailleurs l’une des grandes difficultés des chercheurs en toutes thématiques tant ils sont monnaie courante dans l’histoire de l’humanité.
Nous nous en contenterons car si cela contribue à nous éclairer à peu près suffisamment sur la formation c’est surtout dans la suite de son histoire que se trouve la compréhension d’un des plus grands mystificateurs de l’histoire, au même titre que Marco Polo dont il a été question dans le premier article.
Apothicaire, médecin, astrologue, rédacteur d’almanachs et spécialiste… en maquillages et confitures
Malgré les livres en nombre considérables qui lui ont été consacrés, on ne peut s’en tenir qu’aux points qui semblent faire consensus et encore, avec des incertitudes à chaque étape de la chronologie.
Il fut apothicaire, en quelque sorte le pharmacien de cette époque mais avec une liberté d’exercer la profession sans diplôme. Puis il entama des études de médecine. L’a-t-on renvoyé au cours de la formation ? Certains l’affirment. Le fait est qu’il s’en revendique publiquement.
Au passage, prémices d’un long parcours de charlatanisme, l’étudiant en médecine avait montré un intérêt pour la magie, l’alchimie, l’astrologie et la divination. L’astrologie, le lecteur s’en doute est certainement la plus importante base du délire de l’imposture. Nous y reviendrons.
Son premier fait de gloire est son apport remarqué dans les soins aux victimes de la peste, des remèdes dont il en rédige une publication. Il faut dire que ses élixirs étaient aussi efficaces que ceux d’un certain professeur marseillais dans une période bien ultérieure. La seule supposition est que les ingrédients étaient un petit peu moins farfelus, tout en étant aussi inefficaces que les autres.
Puis, parcours pour le moins surprenant, le voilà concepteur d’almanachs, c’est-à-dire l’équivalent de nos horoscopes actuels prédisant l’avenir. Mais à la différence que l’objectif était, en plus des prédictions du futur, un déchiffrage des évènements présents et passés.
Entre pharmacopée, cosmétique, cosmologie et magie, on trouve tout chez Nostredame, des potions pour se teindre la barbe et les cheveux, avoir meilleure haleine ou effacer des taches du visage, un philtre d’amour (contenant, comme il se doit, de la mandragore et de l’ambre gris de baleine), des recettes de fruits confits (encore considérés comme un médicament), etc. Un mélange de bric et de broc destiné à des clients soucieux d’un bien-être dans l’air du temps de cette époque, au moins parmi l’élite fortunée.
Le plus cocasse dans la diversité de ses recherches et publications se trouvent un « traité sur les confitures » puis un « traité sur les fards » (maquillage du visage) en 1552.
Non, ce n’est pas une blague, c’est l’une des seules vérités dans cette histoire, les livres existent et ne laissent aucun doute sur leur réalité. Ne l’oublions pas, il se déclarait être apothicaire, herboriste et alchimiste.
En 1555 naît l’ultime force de son imposture, celle par laquelle il doit sa fabuleuse notoriété.
L’œuvre majeure, Les Prophéties
La première édition des Prophéties est publiée en 1555. Nostradamus aurait prédit un nombre incalculable d’évènements futurs. Un don prophétique identique dont ce sont vantés tous les charlatans de l’histoire humaine mais lui en sera l’empereur.
Nous verrons la plus célèbres dans le paragraphe suivant car elle est en cohérence avec celui-ci. Une autre des plus connues concerne l’arrestation de Louis XVI lors de sa fuite à Varennes en 1791.
De nuict viendra par la forest de Reines,
Deux pars voltorte Herne la pierre blanche,
Le moyne noir en gris dedans Varennes,
Esleu cap. cause tempête, feu sang, tranche.
Un autre quatrain aurait prédit le règne de Napoléon 1er (1804-1815). En voici la traduction française :
Un Empereur naistra près d’Italie,
Qu’à l’Empire sera vendu bien cher,
Diront avec quels gens il se ralie,
Qu’on trouvera moins prince que boucher.
Et cela n’arrête pas, le premier grand incendie de Londres en 1666, l’indépendance des États-Unis en 1776, les guerres de Vendée et ainsi de suite. Vous en voulez ? Servez-vous !
Puis il y a celles qui concernent des évènements qui nous sont plus contemporains comme l’installation du Gouvernement de Vichy en 1940, la bombe atomique sur Hiroshima en 1945, le procès de Nuremberg dans la même année, la naissance d’Israël en 1948, l’assassinat du président Kennedy en 1963, l’attentat contre Jean-Paul II en 1981 et ainsi de suite.
Mon très grand reproche à Nostradamus est de ne pas avoir prédit mon sujet de mathématiques au baccalauréat.
La veine divinatoire de Nostradamus, toute en charabia et en jeux de mots prétendus érudits, n’est évidemment guère joyeuse : les annonces de catastrophes naturelles, d’épidémies et de morts violentes rejoignent les grands effrois de l’époque.
Comme tout prédicateur, il se nourrissait des peurs et des malheurs d’une société qui croit trouver dans l’irrationnel son refuge, même le plus invraisemblable. La terreur est le terreau des charlatans.
À mystificateur, des crédules
Le succès de Nostradamus passe enfin par une formidable et inespérée rencontre : celle avec la régente Catherine de Médicis, italienne de son origine comme l’indique le nom prestigieux de sa famille. Comme exemple de mystique de sa génération, c’était la championne car angoissée, adepte des sciences occultes et grande gourmande…de confitures et autres confiseries (le lecteur a reconnu l’une des compétences du mage rappelée dans un paragraphe antérieur).
Veuve du roi Henri II, ayant pris connaissance de sa gloire naissante dans les almanachs et autres prédictions, elle le fait venir auprès d’elle. Sur quatre de ses enfants, trois deviendront rois dont Charles IX qui fera du visionnaire son médecin privé.
C’est surtout par ses supposés dons de prédiction que son entrée parmi les grands sera définitivement acquise. Sa plus célèbre prédiction, la mort du roi Henri II (le vieux lion dans le texte de Nostradamus) par une cause accidentelle, une blessure provoquée par les éclats de la lance de Jacques de Montgomery (le jeune lion), capitaine de sa garde écossaise. Il en décédera.
Le lyon jeune le vieux surmontera,
En champ bellique par singulier duelle,
Dans cage d’or les yeux lui crèvera :
Deux classes une, puis mourir, mort cruelle.
Un charabia délirant
Les écrits de la main de Nostradamus sont pléthoriques sur un nombre incalculable de sujets avec un langage incompréhensible que seuls des initiés prétendent comprendre.
La première édition des Prophéties contient 353 quatrains rimés prophétiques partagés en Centuries (100 quatrains). La dernière édition en contenait 942. Les quatrains font l’objet, encore aujourd’hui, d’âpres débats et de suspicions de falsifications.
Les vers permettent les interprétations les plus variées, car ils rassemblent plusieurs langues (un mage a le don d’assimiler tant de langues), énigmes, anagrammes (mot obtenu en inversant les syllabes d’un autre) et épigrammes (mots satiriques).
Avant la parution des Prophéties, vers 1547, Michel Nostradamus avait déjà commencé à faire des prédictions plus ambitieuses que les almanachs de foire. Tenez-vous bien, ses visions apparaissaient principalement la nuit, lorsqu’il fixait le feu ou l’eau. Les archives ne nous permettent pas de savoir si c’est accompagné d’une danse et de paroles de mage chantées en tournant autour du lit.
En plus de prédire l’avenir, il existerait selon certains des preuves que Michel Nostradamus connaissait la loi de la gravité avant Newton et les lois de Kepler avant Kepler. Il semble connaître l’existence des planètes Uranus et Neptune, qu’il appelle par les noms qu’elles recevront lorsqu’elles seront découvertes en 1781 et 1846.
La masse des Centuries que nous a légués le supposé prophète est telle que les nombreux exégètes y ont trouvé au fil des siècles à peu près tout ce qu’ils étaient venus y chercher, notamment l’annonce d’événements toujours révélées après coup et au prix d’analyses souvent habiles mais tirées par les textes anciens comme celui de la Bible.
Mais ce n’est pas tout, toutes les prophéties sont loin d’avoir été déchiffrées et même celles qui l’avaient été sont souvent interprétées autrement à travers le temps.
Un langage énigmatique et une ambiguïté des références qui ont laissé tellement de marge à l’interprétation. C’est tout de même étonnant qu’on leur ait prêté une telle précision prémonitoire.
Les frères Champollion (car ils étaient deux à participer à la recherche) avaient consacré beaucoup de temps, de compétences et d’acharnement pour déchiffrer les hiéroglyphes égyptiens. Le sens du langage Nostradamien est si incompréhensible que cela n’arrivera jamais.
Les coresponsables de la supercherie
Nous ne pouvons entièrement accuser les crédules contemporains de Nostradamus même si, nous l’avons dit, le 16 ème siècle est celui des Lumières, celui d’où surgira les prémices du monde moderne jusqu’à nos jours.
Mais jamais les charlatans ne passent à la postérité s’ils n’ont pas eu une base d’appui d’adhérents qui donnent leur caution d’hommes lettrés ou de régnants. Nostradamus a eu l’oreille de Catherine de Médicis comme Raspoutine a eu celui de la famille tsariste.
Mais il en faut encore plus pour arriver au niveau des empereurs des mages prédicateurs, c’est-à-dire le soutien des gentils adeptes du spiritisme et surtout, des intellectuels dont beaucoup d’historiens.
Comme nous l’avons dit au début de l’article, tous ont une gêne et essaient de nous faire comprendre que c’est une supercherie et qu’ils s’acharnent à la prouver. Qu’y a-t-il à prouver dans les histoires d’un mystificateur qui prédit un évènement qui arrivera dans plusieurs siècles ?
En fait, devant un phénomène si irrationnel, il ne peut y avoir que deux explications possibles. Tout d’abord, ils essaient de nous dire que ce n’est pas le texte en lui-même qui les intéresse car ils sont persuadés de la fausseté du contenu mais l’étude des phénomènes des superstitions de cette époque, de l’état des croyances, du rapport au mythe et ainsi de suite.
Et parmi eux, j’en ai trouvé beaucoup qui prétendent étudier le style, la syntaxe, les paraboles et ainsi de suite. Bref, des sujets qui font un peu plus « recherche universitaire ».
Puis il y a l’objectif de la notoriété par les ventes assurées d’un livre portant le nom de Nostradamus dans son titre. Un pari gagnant sur l’intérêt qu’auront les lecteurs pour se précipiter vers l’explication du mystère par de grands noms qui en donnent caution.
Et même sa mort !
L’artiste ne pouvait sortir de la scène sans un coup d’éclat. Jean-Baptiste Poquelin dit Molière mourra sur celle-ci, lui avait fait beaucoup mieux, il prédira sa mort.
Dans le dernier quatrain des Prophéties de 1568, publié deux ans après sa mort, il est écrit :
CXLI. Novembre.
Du retour d’Ambassade. dô de Roy. mis au lieu
Plus n’en fera: sera allé a DIEV:
Parans plus proches, amis, freres du sang,
Trouué tout mort prés du lict & du banc.
Le mystère se devait être un hommage à la hauteur du maître, il aurait prédit sa mort. Effectivement, il est très rare qu’on meurt et étonnant qu’on meurt dans son lit, que la chambre ancienne ait un banc et le trépassement arrive après une longue maladie.
Mais nous diront ses défenseurs, comment expliquer qu’il ait bien été de retour d’un voyage où il fut l’ambassadeur du roi ?
Les gens de raison répondront que la date ne correspond pas et qu’il y a une autre cause de suspicion car le texte est publié bien longtemps après sa mort. Et on ne peut imaginer que des illuminés de la puissance divinatoire de leur gourou aient inventé le passage. Non, il est impossible d’en douter.
En conclusion de cette seconde supercherie, après celle de Marco Polo, il est une seule certitude dans ses prédictions. Il était certain que l’abracadantesque texte allait susciter des vénérations, des questionnements et des études jusqu’aux historiens réputés pourtant pour leur grand sérieux.
Certains passent leur vie, comme les professeurs, à essayer d’inculquer aux élèves et étudiants la raison, la prise de recul et la connaissance pour finalement lire de la part de gens très érudits des élucubrations dans beaucoup de supports qui leur sont destiné.
Nostradamus doit bien sourire dans sa tombe et se dire, « je les ai tous bernés, si facilement ! ».
Boumediene Sid Lakhdar
