La médecine ou la pharmacologie comme toutes les sciences ne connaissent pas la certitude absolue dans leurs découvertes.
De nombreux médicaments se sont révélé dangereux et même mortels après que les procédures expérimentales les aient validés. Certains se sont manifestés dans leur dangerosité des décennies plus tard.
Il n’y a rien de nouveau dans ces domaines et la science a toujours connu des ratés, on ne peut lui en faire grief. Pourtant il y a des exceptions qui peuvent être blâmées jusqu’à mettre en jeu la responsabilité, civile ou criminel de ceux qui se sont manifestement trompés sans en avoir pris les précautions que les règles de l’art imposaient.
Une étude publiée le 2 janvier par une équipe lyonnaise dans la revue scientifique Biomédecine et pharmacothérapy (y en anglais) fait état d’une estimation de 17 000 morts liés au traitement par l’hydroxychloroquine du professeur marseillais Didier Raoult.
La conclusion se base sur les chiffres analysés dans six pays, Etats-Unis, Belgique, France, Turquie, Italie et Espagne. Les Etats-Unis comptent à eux-seuls dans cette estimation plus de 12 000 morts.
Les rédacteurs de l’étude reconnaissent une double imprécision. La première est due à la limitation de l’échantillon à six pays seulement. La seconde est que l’Inde et le Brésil ne sont pas dans l’étude alors qu’ils ont été de très gros prescripteurs de la molécule.
Cependant ces deux arguments ne peuvent contredire entièrement l’étude pratiquée sur une population aussi vaste que celle qui a été prise en compte. Qu’aurions-nous appris si les pays du Sud avaient été pris en compte ? Nous savons que les chiffres officiels dans la plupart de ces pays sont soit indisponibles soit faussés, volontairement ou non.
J’ai été l’un des plus féroces détracteurs du Professeur Raoult. Sans en avoir les moyens ni les compétences pour trancher scientifiquement on peut tout de même être troublé par de gigantesques indices de la fausseté de la découverte et même du charlatanisme.
Commençons par ce qui n’a qu’une importance marginale mais qui avait fait partie du houleux débat. Il s’agit de l’accusation à notre égard sur notre supposée prise en compte du look original du professeur. Nous réfutons cette grossière accusation car nous avons de la dignité et une instruction sur l’histoire des scientifiques. D’autres grands scientifiques ont eu un look de professeur « foldingue », à commencer par Einstein et ses nombreuses frasques en public.
Bien entendu que cela est toujours amusant car le professeur Raoul en était la caricature, il en jouait avec une délectation non dissimulée. Mais là s’arrête notre sourire, nous ne sommes pas des inconscients pour mettre en avant de si contestables arguments.
Puis en corollaire de ce premier point on nous a reproché de le traiter de charlatan en faisant abstraction de la renommée mondiale de ses études. Là encore, nous ne sommes pas stupides et nous avions fait la part des choses. Mais qui a décrété qu’un grand scientifique n’est pas susceptible de se tromper et même de tomber dans une schizophrénie pour renier toute critique à son égard ?
Les frasques médiatiques du professeur n’étaient certes pas des arguments à remettre en cause ses compétences et la validité de sa molécule. Il nous est cependant permis d’être vigilent envers un comportement des plus délirants jusqu’à l’arrogance envers les journalistes et ses collègues scientifiques.
Enfin, le retraitement d’une molécule déjà existante pour une maladie afin de la diriger vers une autre n’est ni nouveau ni contestable. La proposition du professeur a été de reprendre une vielle molécule qui avait été probante pour lutter contre le paludisme. Je serai incapable de dire si elle avait été modifiée par un retraitement ou juste dupliquée. Cela a d’ailleurs peu d’importance dans le débat.
Après les éléments qui font douter sérieusement mais qui ne peuvent en aucun cas constituer un argument scientifique de notre part, venons-en au plus sérieux de l’affaire.
De l’avis général de la communauté scientifique mondiale les protocoles d’expérimentation n’ont pas été respectés. Certes certaines grandes découvertes ont souvent été le fait d’un bousculement des règles ou du bénéfice d’une erreur scientifique qui s’est avérée créatrice d’une thérapie révolutionnaire (c’est le cas très connu de la pénicilline).
Mais c’est à une condition, une seule, celle de la preuve d’un résultat bénéfique. Or aucune étude au monde n’est venue confirmer le bienfait thérapeutique du médicament du professeur Raoult.
Non seulement la molécule n’a eu aucun effet prouvé, non seulement elle n’a pas respecté les démarches scientifiques de validation mais elle fait face aujourd’hui à une accusation de mortalité par une étude sérieuse.
Alors pourquoi le professeur Raoult a-t-il crée un si vaste mouvement d’espoir dans le monde lors de la terrible pandémie due au Covid ?
Il fallait pourtant très peu de perspicacité pour renifler, si ce n’est le charlatanisme au moins la folie narcissique du personnage. Tout d’abord par le fait que les plus grands défenseurs de cette molécule, alors que dans la plupart des pays le rêve s’était évanoui par la reprise en main de la raison, ont été les populistes les plus caricaturaux comme Bolsonaro ou Trump.
Rien que cela aurait dû éveiller la vigilance de beaucoup. Mais plus étonnant encore, la quasi-totalité des défenseurs du professeur développent des thèses conspirationnistes et négationnistes pour tout, absolument tout, le vaccin du Covid n’est qu’un élément parmi bien d’autres.
« Ils vous mentent », « ils vous manipulent », « ils veulent vous soumettre aux empires financiers des grands laboratoires », « le vaccin est un poison mortel », « ils veulent créer la peur pour vous unir autour des dirigeants politiques » et ainsi de suite.
Tout ce qu’il y a de plus représentatif de ce mouvement a été concentré dans les vociférations en soutien au professeur Raoult. Lui-même, si on ne peut l’accuser d’être allé aussi loin, était aux portes du basculement vers la thèse conspirationniste (presque les deux pieds à l’intérieur).
Mais il y a plus regrettable, le soutien à cette thèse de la quasi-totalité des peuples du Sud. La raison est simple, pour eux tout ce qui s’attaque à l’Occident est gravé du sceau de la vérité. Les Algériens ont voué un culte au professeur de Marseille. Il est devenu l’un des moudjahidines de la vertu et du combat contre les mensonges de l’occident impérialiste.
Heureusement qu’une autre partie du monde a préservé la raison et n’est pas tombé dans une folie conspirationniste. La science a encore fait des miracles et l’humanité lui en est encore une fois reconnaissante d’avoir résisté au charlatanisme.
Certes le virus du Covid ne sera jamais éradiqué comme ne pourront jamais l’être ces organismes vivants, présents sur terre avant l’apparition des êtres humains. Organismes qui sont en partie l’élément créateur de l’humanité.
Très probablement, comme pour tous les virus, ils deviendront saisonniers (ou revenant par vague temporelle plus longue). Le vaccin, comme tous les autres, permettra cependant de sauver un nombre considérable d’êtres humains comme il vient de le faire.
Cette folie qui s’est emparée des conspirationnistes a misé sur l’excentricité du professeur Raoult en rejetant la grande avancée scientifique qu’aura permis Pasteur.
Un jour, peut-être, remettrons-nous en cause le vaccin d’une manière générale. Mais au moins a-t-il sauvé en attendant des dizaines de millions d’individus sur cette planète. La molécule du professeur Raoult avait contribué à les faire rire…jaune.
Même si un jour l’étude devait être contredite on ne peut pas dire que cela remettra en cause la certitude que l’hydroxychloroquine aura eu le même effet sur la maladie que la zlebia en a sur une apoplexie de rire.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité