Pour comprendre les motivations profondes du régime, il faut interroger son inconscient historique. Ce pouvoir est issu d’une guerre de libération fondatrice, mais aussi traumatisante.
Il porte en lui la peur du retour du chaos colonial, la peur de l’ingérence étrangère, mais aussi la peur du peuple. Car le peuple algérien, héroïque dans la guerre, imprévisible dans ses soulèvements, est toujours perçu comme une menace potentielle. Le régime ne gouverne pas par amour du peuple, mais par crainte de sa colère. Il se protège donc en le maintenant dans l’ignorance, la pauvreté relative, et la fragmentation identitaire.
Il y a chez ce régime une culpabilité enfouie, celle d’avoir confisqué l’indépendance, d’avoir trahi les idéaux révolutionnaires, d’avoir détruit les élans modernisateurs des premières décennies. Mais cette culpabilité ne devient jamais conscience, elle est refoulée, compensée par un discours de grandeur, une obsession de la souveraineté, une haine de la critique. Le régime veut se faire aimer, mais il ne sait qu’inspirer la peur. Il veut être reconnu, mais il refuse le miroir.
Vers une impasse civilisationnelle
Nous ne sommes pas seulement face à un régime économique dysfonctionnel, mais à une impasse civilisationnelle. La modernité algérienne n’a pas été construite : elle a été suspendue, ajournée, reléguée. L’État n’est pas un médiateur du progrès, mais un barrage. Toute tentative d’émancipation individuelle (économique, intellectuelle, politique ) est perçue comme un risque pour l’architecture du pouvoir.
Et pourtant, comme le disait Hannah Arendt : « Le pouvoir naît quand les hommes agissent ensemble. » C’est précisément ce que le régime redoute : une société civile unie, instruite, organisée, qui exigerait des comptes, des institutions, des libertés. Il préfère donc gérer les tensions, segmenter les colères, instrumentaliser les oppositions, et maintenir la société dans un état de veille sans réveil.
Conclusion : un système contre lui-même
Le régime algérien est un système contre-productif par essence, il veut durer, mais refuse de se réformer ; il veut attirer les investisseurs, mais bride l’initiative ; il veut la paix sociale, mais propage la frustration ; il veut la souveraineté, mais détruit les conditions de l’autonomie. Sa survie est un cycle de répétitions, de simulacres, et de répressions contenues. Mais aucune rente ne peut éternellement anesthésier un peuple en quête de dignité.
Un jour viendra où la société exigera de sortir de cette logique mortifère. Et alors, peut-être, se vérifiera cette phrase prophétique d’Albert Camus : « Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. » En Algérie, il est temps de substituer à la rente la responsabilité, à l’ombre la clarté, au soupçon la confiance, à la peur l’espérance. Encore faut-il qu’un projet, une voix, une génération s’élèvent avec assez de lucidité pour arracher la nation à l’obsession de sa propre survie.
Hassina Rabiane