22 novembre 2024
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Lounis Aït Menguellet : « Siwel-iyi-d tamacahut ! »

Coup de coeur

Lounis Aït Menguellet : « Siwel-iyi-d tamacahut ! »

Pour beaucoup, les quelques souvenirs de notre enfance sont alimentés, dévorés, ou encore égaillés par une panoplie de sons et de mots : ceux de Lounis Aït Menguellet. L’enfant de toute une nation, de tout un pays qui a su en grandissant, par une magie incroyable de mélodies et de lettres, imprégner toutes les générations de sa poésie devenue culte.

Cinquante ans de chansons, c’est un conte, t tamahacut. En somme une belle histoire. Celle qui écrit ces quelques lignes n’en a que trente-trois certes, mais elle a suivi avec passion ce demi-siècle de chansons. Les parents ont parfaitement rempli leur devoir de transmission. Comme ma voisine française cultivée par ses parents avec du Brassens, les miens fleurissaient mon enfance avec Lounis Ait Menguellet. Bien évidemment que je ne le comprenais que peu, mais une mélodie et une voix suffisaient à l’époque à me transporter là-bas dans les montagnes, à me faire sentir les fragrances des chemins vicinaux qui serpentent les innombrables collines de mon pays. Je distinguais quelques mots parmi d’autres, j’en saisissais le sens mais pas la finalité. Il y avait des images, des odeurs derrière les mots. C’est plus tard, que les mots, les phrases du poète qui continuaient de résonner en moi, prirent tous leurs sens. Et d’un coup me voilà propulsée dans l’univers du poète et du sage.

Grandir avec la chanson de Lounis Ait Menguellet pour nous, enfants nés en France de parents kabyles, c’est créer un lien d’attache avec cette terre de Kabylie que l’on ne connaît que le temps d’un séjour d’été. Pour nous enfants de régions différentes c’est nous permettre d’enrichir notre vocabulaire en synonymes et de réaliser ô combien cette langue est riche. Pour nous enfants parfois crédules, c’est nous permettre d’ouvrir les yeux et de mieux comprendre cette société kabyle, ses mœurs, ses tabous. De mieux en comprendre l’histoire ainsi que celle de l’Algérie à travers un ancien soldat, à travers une mère qui a perdu son fils ou à une femme dont le mari a été fauché par la guerre. C’est nous permettre de réaliser que nous avons une identité, et qu’elle doit être connue, enseignée et perpétuée. C’est comprendre la place primordiale que détient la femme dans cette société bien que patriarcale et de son rôle dans la préservation de cette culture. Gardienne du foyer, elle également gardienne de la langue à travers la diffusion de la poésie et des contes kabyles. Elle est le socle sur lequel repose sa transmission. C’est enfin comprendre et ressentir combien l’amour peut enivrer de bonheur, comme elle peut au contraire avoir le goût amer d’une fleur de laurier…

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Je garde en mémoire ce vieux tourne-disque acheté par mon père à ma mère. Ce tourne-disque qui nous réveillait chaque week-end à la maison. A côté de lui, une grande boite en fer. Cette boîte qui contenait tous les disques amassés par mon père une quinzaine d’années plus tard après sa venue de Kabylie en 1952. Ma mère en était la gardienne.

Dans les années 90, les K7 avaient définitivement supplanté les 33 et 45 tours mais cette boîte était toujours restée là, même après que le tourne-disque eut cessé de fonctionner chez nous. Et c’est à cette époque, alors âgée de six ans, que j’eus entre les mains un 33 et un 45 tours de Lounis Ait-Menguellet que je garde à ce jour précieusement.

A l’adolescence, comme beaucoup certainement, j’allais au collège avec mon walkman puis au lycée avec mon minilecteur Cd. J’écoutais de tout mais beaucoup Aït Menguellet. J’étais dans une période où j’étais décidée à comprendre et à pouvoir traduire ses textes.

De cette période, je garde un souvenir marquant et qui m’a permis de réaliser que notre chanson était bien de dimension internationale. Un après-midi, des voisins de souche française, chez qui je me rendais pour la première fois, m’ouvrirent la porte de leur maison. En me laissant entrer, j’entendis une mélodie… Ils écoutaient de la musique et ça chantait en kabyle… Je ne connaissais pas la chanson en question. Comment était-ce possible ?! La voix était bien celle de Lounis Ait Menguellet, mais je ne reconnaissais pas le titre. Il s’agissait de l’album Inagan qui venait de sortir en 1999. Etonnant ! Et qui plus est, ces derniers, comme s’ils s’étaient sentis obligés de se justifier, et de manière très courtoise, me dirent : «nous n’avons pas mis ce disque pour vous flatter, sachez que nous apprécions beaucoup cet artiste ». Mes yeux s’emplirent d’étoiles. J’en étais pleine de fierté mais également de verte jalousie : «ils ont le dernier album de Lounis et pas moi ». Ma réserve de l’époque m’empêcha sans doute de les questionner davantage mais les jours qui suivirent, je m’empressai de me le procurer. Le hasard avait voulu que je tombe sur une famille qui écoutait Lounis et qui sans doute le connaissait depuis plus longtemps que moi.

Sans le savoir, ces derniers me permirent d’affirmer en moi cette spécificité liée à mes origines. De prendre conscience avant tout de la portée de notre musique au-delà des frontières. C’est en cela que Lounis Ait-Menguellet demeure à mes yeux une icône, un monument, mais avant tout un éclaireur, un visionnaire et bien plus que tout le témoin de plusieurs générations à qui il a su ouvrir les portes de nos origines, de notre histoire et de notre identité.

Cinquante ans de carrière… Merci l’artiste.

Auteur
Nassima Chillaoui

 




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