19 mars 2024
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L’Université algérienne ou la zone de non-droit ?

Université algérienne

Ce titre d’annonce n’est ni exagéré ni provocateur. Il reflète la réalité actuelle telle qu’elle se manifeste dans tous les campus du pays, ou quasi. Ces campus sont devenus depuis bien longtemps le lieu dans lequel l’autorité des pouvoirs publics, et partant la loi commune, n’ont point de droit de cité.

Par Ahmed Rouadjia, professeur des Universités

Les organisations syndicales et estudiantines, toutes étiquettes politiques confondues, qui y sont présentes, font la loi et se comportent comme si elles étaient dans une chasse -gardée. Les recteurs, pourtant nommés par leur tutelle, avec l’aval des hautes instances étatiques et aussi avec l’imprimatur des « rapports d’habilitation » (nihil obstat au sens latin), se font tout petits s’ils ne se montrent pas craintifs et tremblants devant des petits chefs syndicaux, souvent incultes et hargneux, au langage fruste.

Dans ce contexte délétère où le recteur et obligé de ménager la chèvre et le chou, ne saurait avoir les coudées franches pour diriger de manière apaisée et efficace son établissement.

Pour toute action à entreprendre, il éprouve la peur au ventre d’être tancé par la nébuleuse des organisations syndicales qui mettent partout leur nez dans la gestion de l’université, y compris dans la gestion scientifique à laquelle leurs petits chefs n’entendent goûte tant ils sont en majorité soit porteurs de diplômes plagiés, soit porteurs de cartes d’étudiants éternels (certains d’entre eux élisent domicile au sein de l’université en qualité à la fois d’étudiants et de militants).

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Comme nous le verrons sous peu, le militantisme de cette nébuleuse syndicale ressort plus de l’opportunisme pur et simple que du civisme, et donc du souci de servir les intérêts de la communauté universitaire.

L’Etat contre lui-même ?

La question qui se pose est de savoir pourquoi le gouvernement tolère-t-il ces zones de non- droit au sein de l’Université ? En d’autres termes pourquoi et dans quel but se résigne-t-il à autoriser de facto et presque de jure ce pouvoir bicéphale au sein des établissements universitaires ? Pour qui « roulent » ces organisations syndicales (UGTA, CNES…) et estudiantines ?

Peut-on affirmer qu’elles servent l’Etat, et partant les intérêts collectifs, lorsque ces mêmes organisations s’immiscent  dans la gestion de l’université et imposent au recteur de placer leurs « pions » à la tête des postes de responsabilité : vices- recteurs, doyens, chefs de départements, etc. ?

En fermant les yeux sur le comportement incivique de ces organisations, l’Etat ne désiste-t-il pas de certaines parcelles de son pouvoir, de son autorité au profit de ces hors-la-loi ? N’encourage-t-il pas sans le savoir ou le vouloir des pratiques et des comportements qui se retourneraient contre lui-même, tel l’effet de boomerang ?

L’ambiguïté du terme «partenaires sociaux»

Ces organisations syndicales jouent sur les mots et sur les équivoques. Le recteur qui arrive à la tête d’une université quelconque est d’emblée cerné et interpellé en ces termes : « nous sommes vos partenaires sociaux », sous-entendu qu’il devrait leur céder une partie de son pouvoir et de ses prérogatives pour qu’elles puissent avoir leur part de « gâteaux » en plaçant dans la nouvelle équipe quelques-uns de leurs partisans.

Si le nouveau recteur refuse d’accéder à leurs revendications exorbitantes, il essuie  immédiatement dénigrement et insultes sur les réseaux sociaux et sera accusé en même temps d’incompétence, de régionalisme ou de refus du dialogue.

Dans la plupart des nations développées, et y compris dans certains pays « en voie de développement », les militants des organisations syndicales, notamment estudiantines, militent non pas pour des causes individuelles ou pour l’acquisition des faveurs particulières, mais ils militent pour des causes collectives, qui ont pour noms l’hygiène et la sécurité, l’amélioration de l’environnement pédagogique, la qualité de l’encadrement scientifique, et pour la disponibilité des livres et de la documentation requis par les besoins sans cesse croissants des étudiants. C’est tout le contraire, en fait, ce qui se passe dans la plupart de nos campus où nos militants syndicaux, dépourvus de culture politique et civique, bataillent uniquement en vue de l’obtention des menus avantages matériels ou symboliques.

Attkhelate (La subversion)

Inféodées aux syndicats (UGTA, CNES…) et aux partis politiques (MSP, Ennahda, FLN, RND…) dont ils tirent l’inspiration de leur idéologie fumeuse, ces enseignants et étudiants affiliés n’ont, de fait, d’autres buts que d’ imposer leurs points de vue  et d’imprimer certaines orientations idéologiques au premier manager de l’université. Ils courent de manière constante  et  désespéré derrière les  petits et « grands » postes,  derrière les avantages matériels et symbolique, la visibilité et l’ostentation. Ces petits personnages  assoiffés de pouvoir et de prestige sont vraiment lamentables, pathétiques.

Outre ces traits de comportements qui sont l’exact contraire de l’esprit civique et citoyen, s’ajoute la médiocrité scientifique et culturelle qui se reflète de manière éclatante tant dans le langage que dans la conduite de ces individus qui s’autoproclament syndicalistes et « patriotes ». La cravate dont certains sont bien sanglés dissimule à peine le vide vertigineux de leur niveau scientifique et intellectuel.

Enfin, entre ces différentes coteries syndicales et politiques présentes dans les campus, il n’y a point de différences quant au fond. Seule l’étiquette idéologique les différencie. Leurs dénominateurs communs à toutes est : premièrement, la recherche et la réalisation des intérêts de leurs partisans respectifs, deuxièmement, l’agitation (attekhlate) et la propagation des fausses rumeurs.

Je n’ai de cesse depuis des années d’alerter les autorités politiques contre les menées quasi subversives de ces organisations syndicales estudiantines et leurs parrains. Plus d’une dizaine d’articles leur ont été consacrés.[1] En sus de ces articles en forme de sonnette d’alarme, j’ai publié une contribution dans un ouvrage collectif sous le titre « Les formes de violence relevées dans l’enceinte de l’Université de M’sila[2] » et dans laquelle je mets en garde les autorités politiques contre le laxisme dont elles font preuve envers ces boutefeux que sont ces organisations qui ont fait depuis belle lurette une main basse sur l’université et qui continuent encore à en faire une quasi chasse-gardée.

Les exemples qui suivent illustrent de manière éclatante la désinvolture avec laquelle ces organisations et leurs meneurs passés maîtres dans l’art de Attekhlate (التخلاط) défient le droit et l’autorité des représentants légitimes de l’Etat, recteurs et wali, confondus.

L’exécrable accueil réservé au nouveau recteur de l’université de M’sila

Le 5 janvier 2023, le professeur Ammar Boudella est installé à la tête de cet établissement en qualité de recteur. Il est bon de rappeler que les conditions dans lesquelles s’est déroulée  cette passation entre lui et le recteur par intérim, n’ont pas été conformes aux normes protocolaires ni aux règles civiques et de bienséances.

Ces comportements, joints à d’autres attitudes insolentes relevées sur les lieux, de la part d’une certaine personne mal inspirée, auraient mis M. le wali hors de lui, et à juste titre. Est-il normal que des fonctionnaires subalternes s’autorisent à défier les représentants de l’Etat, que sont MM. Le Wali et le recteur, en adoptant à leur égard une posture déplacée ? De telles attitudes sont en effet indécentes et intolérables…

Mais ce n’est pas tout. Car le pire va se produire peu après cette installation mouvementée. Vers le 10 janvier, des conciliabules sont organisées entre les différentes factions syndicales ragaillardies par   plusieurs doyens. Au sortir de ces enclaves dignes des loges maçonniques, ils répandent un gros mensonge disant que le nouveau recteur à mis fin aux missions de six doyens et de deux vices- recteurs ! La nouvelle s’est répandue alors comme une traînée de poudre tant dans les coulisses que dans certains réseaux sociaux. Elle est relayée par le bouche-à-oreille et prise par beaucoup pour argent comptant.

De ce qui précède, il n’est pas difficile de déduire que les meneurs de ces organisations, toutes couleurs politiques par ailleurs confondues, jouent vraiment aux boutefeux, et de ce fait, ils constituent un obstacle majeur à la marche normale de l’université. Ils ne tolèrent que le recteur qui se soumet à leur volonté.

Si ces mêmes trublions n’ont pas pu mettre à genou l’ex-recteur de cette université, à savoir le professeur Baddari, devenu ministre, c’est parce que celui-ci avait fait preuve de compétence, d’efforts persévérants au sens physique, d’écoute et de patience aux fins de hisser cette université vers le haut. Sa magnanimité aura été, par ailleurs, le grand vainqueur du noyau dur de ces trublions de notre université.

Les voici, ces voyous récalcitrants, très minoritaires, certes, mais ressortant de la pire espèce, qui relèvent la tête et se font arrogants. Du 10 au 23 janvier – alors que le nouveau recteur avait-il à peine le temps de reconnaître les lieux et marquer ses repères -, ces élément perturbateurs de l’ordre établi n’ont cessé de pécher en eau trouble.

Le 24 janvier 2023, huit organisations « syndicales » accouchent d’un communiqué commun qualifiant le nouveau recteur de personnage « incapable » de gérer l’université et sollicitent l’intervention urgente du ministre pour redresser la situation avant qu’il ne soit «trop tard». Le communiqué que nous publions ci-dessous atteste, si besoin est, du diktat de ces organisations, qui ne lésinent pas sur les moyens pour défier l’autorité de l’Etat, et pour attenter à la sécurité du campus.

Ahmed Rouadjia, professeur des Universités

Notes

[1] Cf Les articles suivants : Que faire pour endiguer la violence au sein de la société algérienne ? in Le Matin 28 février 2015 ; L’abdication de l’Etat face aux délinquants de tous acabits ? In

 Le Quotidien d’Algérie le 16 juin – 2017 ; « La violence banalisée à l’Université ». In Le temps, 23 mai 2017 ; «Le diktat des organisations estudiantines ». In Liberté le 30 octobre 2018 ; Violences, délinquance et laxisme au sein de l’université.  In Le Quotidien d’Oran, 25 mai 2017.

[2] L’université désacralisée. Recul de l’éthique et explosion de la violence, ouvrage coordonné par Louisa Dris-Ait Hamadouche, Fatma Oussedik, Khaoula Taleb Ibrahimi, Alger, édition Koukou, 2021, p.167-184