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Lyon : la rue du sergent Blandan prendra-t-elle le nom de Taos Amrouche ?

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Les habitants du 1er arrondissement ont été invités à choisir un nouveau nom pour la portion située entre la rue Pareille et la place Saint-Vincent de la rue Sergent-Blandan. Une liste de dix noms a été présentée dont celui de Taos Amrouche.

Malika Haddad GrosJean, adjointe déléguée à la Ville inclusive, à la mairie du 1er arrondissement de Lyon a lu ce discours au conseil municipal pour la débaptisation de la rue Sergent-Blandan pour lui donner le nom de Taos Amrouche.

Madame la maire, chers collègues,

Aujourd’hui, nous sommes en passe de présenter une délibération pour inaugurer une rue au nom de Taos Amrouche. Avec cette proposition,  si elle est approuvée,  nous accomplirons un geste fort. Un acte de justice et de mémoire, mais aussi un geste politique. Car choisir un nom pour une rue, ce n’est pas simplement orner l’espace public : c’est dire qui a compté, qui mérite d’être transmis, et quel récit nous voulons faire vivre collectivement.

Avec Taos Amrouche, nous honorons une femme aux identités multiples, mais aussi une lignée de femmes qui ont lutté pour exister dans un monde qui voulait les taire. 

L’histoire de Taos commence avant elle, dans une Kabylie du XIXe siècle, colonisée et patriarcale, avec sa mère, Fadhma Aït Mansour. Fadhma Aït Mansour est née de père inconnu, marquée par la honte sociale, rejetée dès la naissance par sa propre communauté. 

Dans un moment de désespoir tragique, sa mère – la grand-mère de Taos – tentera, un instant de la noyer dans l’eau glaciale de la fontaine de son village pour se donner ensuite, la mort elle-même. Non par cruauté, non pas par manque d’amour, mais pour épargner sa fille, cet enfant de la faute comme elle l’écrivit dans sa biographie « histoire de ma vie » d’un monde sans pitié, sans empathie à l’égard des femmes. Mais dans un sursaut de l’indéfectible amour, elle renoncera à cet acte, puis se battra telle une guerrière pour garder sa fille et la protéger,  malgré la pauvreté, l’exclusion et l’opprobre.

Plus tard, Fadhma sera placée dans des couvents missionnaires, où elle subira maltraitances et humiliations. Là encore, c’est sa mère qui viendra la sauver, traversant les montagnes kabyles à pied, en plein hiver, pieds nus, pour l’arracher à la violence. Cette grand-mère, dont l’histoire n’a pas de nom dans les manuels, est une figure centrale de ce que Taos a reçu : la mémoire de la douleur, mais aussi celle du courage et de la dignité.

Taos Amrouche portera cet héritage dans son œuvre. En 1947, elle publie Jacinthe noire, le premier roman écrit par une femme algérienne en langue française. C’est un texte bouleversant, d’une grande intensité poétique, qui parle d’identité fracturée, d’exil intérieur, de filiation et de langue perdue. Mais Taos, c’est aussi les chants kabyles, transmis par sa mère, qu’elle recueille, qu’elle enregistre, qu’elle chante, et par lesquels elle redonne une voix aux femmes kabyles, longtemps réduites au silence.

« Les femmes kabyles chantent ce qu’on ne leur permet pas de dire. », écrivit
Taos Amrouche.

Ces chants et ces contes, ont nourri tant de femmes,  moi-même, je fus par la voix de ma grand-mère, bercée par leur rythme et leur tristesse mais et surtout éveillée à leur force. Dans ces voix de femmes qui racontent l’attente, l’exil, la violence, mais aussi l’amour, la fidélité et la liberté, d’aucuns entendront leur propre histoire et celle de tant d’autres femmes issues d’héritages mêlés.

« J’ai connu la douleur d’être écartelée entre deux mondes qui s’ignorent et qui se méprisent». — Taos Amrouche

Nous sommes nombreuses à avoir grandi entre deux rives, entre traditions et aspirations, entre la langue de l’école et celle des grands-parents, entre l’injonction au silence et la nécessité de parler. Ce que Taos Amrouche a exprimé dans ses livres, dans ses chants, nous le portons dans notre chair.

Et que dire de l’injustice qui frappa sa famille ? Rejetée après l’indépendance par l’Algérie officielle, ignorée par la France coloniale, elle incarne ce double exil, ou la double absence, la double absence titre d’un grand ouvrage d’Abdelmalek SAYAD, cette situation de ponts fragiles entre deux mondes. Mais elle n’a jamais renoncé à se dire. Elle n’a jamais cessé d’écrire, de chanter, de transmettre.

Aujourd’hui, dans un contexte marqué par la résurgence  d’un  racisme débridé, porté par des voix institutionnelles, nous devons plus que jamais rappeler que notre République est tissée de diversités, d’histoires entremêlées, de douleurs que seule la reconnaissance peut apaiser.

Et c’est notre rôle, en tant qu’élus, de faire vivre ces récits. Notre mandat est inscrit dans une volonté claire de visibiliser les femmes, celles que l’histoire officielle a oubliées, celles issues des mondes colonisés, des diasporas, des marges, des résistances.

Face à ceux qui, comme notre Ministre de l’intérieur et bien d’autres se réfugient dans une conception fermée de l’universalisme, nous défendons un universalisme vivant, qui se construit dans la reconnaissance des récits pluriels, dans l’égalité concrète et dans le refus de toutes les formes de domination.

Donner son nom à une rue de notre ville, nous reconnaîtrons la place de Taos Amrouche dans notre mémoire collective. Mais nous reconnaîtrons aussi le courage de sa mère, la dignité farouche de sa grand-mère, la voix de toutes les femmes dont l’histoire est à la fois intime et politique. »

Malika Haddad GrosJean

Le sergent Blandan est né à Lyon le 9 février 1819. Il s’engage en 1837 dans l’Armée d’Afrique et il participe à de nombreux combats en Algérie. Ce nom est donc intimement lié à la colonisation et à ses massacres.

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