Mercredi 16 juin 2021
Ma femme est un homme politique (*)
Dans les démocraties occidentales, la bonne éducation voudrait que l’homme cède le passage à la femme et se lève pour lui laisser la place. Dans les fêtes foraines c’est elle qui ouvre le bal.
Dans la tradition musulmane, c’est l’homme qui prend le devant et la femme d’emboiter le pas. Pour les Arabes, la vie est un désert dont la femme est le chameau. Pour les berbères, la femme met le feu au champ et appelle l’homme à son secours.
Dans l’Algérie présente, la femme porte un pantalon sous son hidjab, l’homme s’est débarrassé du bleu de travail colonial pour enfiler la djellaba blanche de l’indépendance. Pour Gandhi « Si la non-violence est la règle de l’humanité, l’avenir appartient aux femmes ». Le pouvoir de la femme réside dans sa capacité à séduire et à convaincre.
« Le pouvoir des femmes c’est le désir des hommes ». Nue, elle leur fait peur, elle dévoile leur impuissance ; habillée, elle les rassure, elle cache leurs défauts. Elle a été le fer de lance de la révolution du sourire. Elle sait ce que les hommes ignorent, c’est que « La virilité ne réside pas dans les muscles mais dans l’esprit ». C’est pourquoi, le système politique tolère les femmes d’exception souvent qualifiées de « viriles ». Elles sont rares et discrètes dans l’histoire et la mémoire nationale mais elles existent. Il est vrai que depuis des siècles, la femme a été soumise à l’homme (le père, le frère, le mari) comme il est également vrai que l’homme a été presque toujours placé sous la domination des envahisseurs étrangers (des vandales aux français en passant par les arabes et les turcs).
Pour les dirigeants nationalistes algériens, une fois l’indépendance acquise, l’islam devait céder la place au socialisme « matérialiste » tout en décrétant l’islam religion de l’Etat et les frais de fonctionnement des mosquées prises en charge par l’Etat. Hier, le colonisateur proposait aux musulmans la citoyenneté française contre le renoncement à l’islam. Aujourd’hui, le pouvoir algérien suggère implicitement aux « islamistes » de participer au gouvernement contre une mise en sourdine de la « charia ». Quant aux dirigeants occidentaux, ils n’inspirent aujourd’hui aucune confiance, aucun respect.
Tout ce qu’ils peuvent susciter, c’est la jalousie de leur vie d’opulence, jalousie de l’aisance avec laquelle ils dupent les dirigeants des pays arabes et musulmans. Dans les sociétés occidentales, la démocratie correspond à leur trajectoire historique, à leur philosophie politique, à leur élite intellectuelle qui place la femme au centre des préoccupations de l’homme.
Une société qui « féminise » les hommes dans leurs émotions, leurs sentiments, leur psychologie et «masculinise» les femmes dans leurs façon de vivre, de s’habiller et de travailler. Une société où l’éducation des filles et des garçons est indifférenciée. Une société où la femme investit l’espace public et l’homme se réfugie dans l’espace privé. Les femmes ont investi massivement le marché du travail où toutes les carrières professionnelles leurs sont ouvertes.
En Algérie, les hommes fuient l’effort physique, l’endurance morale, les métiers manuels et agricoles et se consacrent au commerce de l’alimentaire et du cosmétique. Nous assistons à une « féminisation » rampante de la société. Une société où l’époux n’a plus d’autorité sur son épouse qui vaque librement à ses occupations abandonnant l’éducation de ses enfants les livrant aux démons de la rue.
Une société où la femme fatiguée par un rythme infernal qu’elle s’impose, s’épuise très vite, vieillit mal et meurt prématurément. Une société où les liens de filiation sont rompus ; le frère ne demande plus après son frère et les parents ne cherchent plus après leurs enfants. Des enfants roi qui se transforment en adultes tyran. Est-ce l’individualisme que l’on recherche c’est-à-dire une société dans laquelle nos enfants ne seront plus solidaires de leurs familles mais agissent comme bon leur semble comme s’ils étaient tombés du ciel c’est-à-dire des enfants «x».
Des individus asexués sans identité, sans racine,, sans ancêtre, sans traditions, sans milieu, sans foi ni loi qui n’obéissent qu’ à la force du grand nombre. En investissant massivement le marché du travail, les femmes se sont coupées de leurs enfants pour en faire plus tard des adultes asexués. C’est cela la société démocratique qui nous envoûte, nous absorbe, nous ensorcelle.
Nous adoptons sans état d’âme le mode de vie et de pensée occidental. Nous tournons le dos à nos racines, à notre histoire, à nos traditions, à notre religion. Nous finirons par rester seul face à soi-même, sans lien de filiation, sans honneur, sans dignité dans un dénuement total et un égarement manifeste. Tout cela pour dire que la femme est à la démocratie ce que l’homme est pour la dictature. Le taux de chômage en Algérie est parmi les plus élevés dans le monde arabe et touche particulièrement la jeunesse. Les deux tiers de la population ont moins de trente ans.
Le chômage touche plus de 30 % de la population en âge de travailler. Ce taux résulte de l’absence de stratégie saine de développement et d’une opacité dans la gestion des ressources financières du pays sans oublier un système éducatif inadapté où des diplômés de l’université sont sans emplois. Il s’agit d’un chômage de longue durée qui contribue à la dévalorisation de l’enseignement. Les compétences enseignées ne correspondent pas souvent aux besoins du marché. La politique d’infantilisation a féminisée la société. De l’enfant roi on est passé l’adulte tyran.
Quand l’enfant est roi, ce sont les femmes qui exercent la régence. Devenu adulte, il cherche à se substituer à l’autorité de l’Etat. Les rapports parents-enfants sont de l’ordre de la séduction qui est le contraire de l’éducation. La télévision s’est substituée à la famille. Le père n’est plus capable d’aider ses enfants à rompre le lien fusionnel avec leur mère. Une famille patriarcale où les relations parents-enfants se superposent entre le chef de l’Etat et la société. Le couple n’est plus un espace d’intimité mais une préoccupation de groupe. Il est clair que favoriser l’abstinence et la frustration est le meilleur moyen de conduire l’individu à enfreindre les règles avec toutes les conséquences qui en découlent.
La répression sexuelle est la marque de fabrique de toute dictature qu’elle soit privée ou publique. Si la dictature arabe se voile la face et se cache sous un hidjab, la démocratie occidentale se dénude en se déhanchant et s’offre en spectacle alimentant les fantasmes des uns et frustrations des autres. Le meilleur moyen de garder le pouvoir sur la famille c’est d’empêcher ses enfants d’avoir des relations conjugales. Et pour le chef d’Etat, d’empêcher ses sujets de s’émanciper, de s’opposer à lui, de disposer d’une pensée critique et d’une liberté de mouvement.
La sexualité imbibée de religiosité est un outil de contrôle puissant de la dictature.
Le patriarcat vit ses dernières heures de gloire. Cette frustration sociale et sexuelle des jeunes donne un sentiment de mépris et d’humiliation. La question de la sexualité est un enjeu majeur pour l’émancipation individuelle et collective.
La misère psychique et sexuelle des jeunes entretient les régimes politiques en place. Un Etat autoritaire a besoin de sujets soumis. Pour ce faire, la répression sexuelle est un des vecteurs de la reproduction de l’ordre social dominant. Le refoulement sexuel produit des ressorts émotionnels et mentaux de la soumission à l’autorité sous toutes ses formes ; parentales, sociales ou politiques. Les relations de pouvoir entre le chef d’Etat et son peuple sont reflétées dans les liens entre le chef de famille et ses descendants.
L’Etat autoritaire a un représentant dans chaque famille. Le père devient la ressource la plus importante de la préservation du régime politique. Les femmes sont devenues incontournables pour instaurer une légitimité démocratique dans les pays autoritaires. « Les hommes posent, les femmes s’opposent ». Si l’on veut réaliser la possibilité de l’Algérie de rompre avec le syndrome autoritaire, une analyse en profondeur des rapports entre les élites et le peuple est indispensable.
Rare sont les dirigeants qui disent la vérité parce que faire de la politique c’est mentir. Qui va abandonner la douceur de vie de la vallée pour emprunter les chemins tortueux de la montagne ? Pourtant la sagesse se trouve au sommet de la montagne loin du bruit assourdissant des villes. Entre l’opportunisme des jeunes turcs et le conservatisme des vieux turbans, l’Algérie est tourmentée. Cultivée et tolérante, « la maman » lui a appris à manier le verbe ; ignorant et despotique, « le père » lui a appris à se servir du gourdin. La mère juge en toute équité, le père décide en toute impunité.
L’une l’éduque, l’autre la dresse. « La république » est ballotée entre ses origines gréco-romaines et les traditions arabo-musulmanes. La France la fascine, l’Algérie la répugne. Elle prend parti pour sa mère en s’opposant à son père. Elle navigue entre les deux eaux, entre les deux rives de la Méditerranée. Elle parle en arabe et réfléchit en français. Elle porte un pantalon serré sous son hidjab noir Elle veut être moderne comme sa mère et autoritaire comme son père.
La république islamiste lui promet le paradis céleste en montant au maquis les pieds nus et le ventre vide ; la laïcité lui propose le bonheur sur terre par la traversée à la nage de la Méditerranée.
Elle est vaccinée des deux. Les deux mènent à la mort. Elle veut vivre, vivre pleinement. Elle tente envers et contre tous de se frayer un chemin sans se voiler la face et sans se dénuder. Il s’agit de sa propre destinée. Elle veut choisir librement son futur époux et non subir celui que son père veut lui imposer. Elle n’est plus une enfant, elle est adulte. La « république » a près de soixante ans et son « papa » est centenaire. Le père mourant voudrait que sa fille le raccompagne dans sa dernière demeure. La fille désire vivre, se marier et avoir des enfants. Elle est ménopausée.
L’élu de son cœur d’enfant n’est pas encore né. L’arrivée du Mahdi n’est pas pour demain. « L’œuf ne danse pas avec la pierre ». L’Algérie est devenue comme cette poule au lieu de laisser son œuf donner naissance à un poussin préféra le manger. Le pays s’est dévoré lui-même. Pour les islamistes, l’Algérie se présente comme une « fraise sélectionnée » à consommer sans modération.
Pour les nationalistes, elle est la ceinture du pantalon de l’homme. Ce que l’Algérie a besoin, c’est d’un pouvoir qui la féconde. Or le pouvoir n’a pas quitté son bas ventre (sous-sol saharien) depuis la nuit de noces (l’indépendance) et à ce jour, on ne voit rien venir. Alors, on se demande : qui est stérile l’homme ou la femme ? Le pouvoir ou la société ? C’est une situation pesante.
Le pouvoir a les nerfs à fleur de peau, la folie le guette. La société est au bord de la dépression, la ménopause approche. Elle rêve de voir ses enfants gambader et retrouver la joie de vivre auprès d’un mari jeune et vigoureux et abandonner à son sort son vieux compagnon de route avec qui elle a eu de bons et de mauvais moments. C’est un mariage chrétien qui date du milieu des années cinquante. On se « marie pour le meilleur et pour le pire » jusqu’à la fin de ses jours. Dans la tradition arabo-musulmane, dominer c’est posséder.
Posséder la femme, l’argent, le pouvoir. Etre possédé, c’est le propre de chaque femme. Toutes les femmes sont belles n’est-ce pas ? Cette notion de possession est capitale chez l’homme. L’Algérie m’appartient, je la possède, je la domine, c’est mon territoire. Une fois, la femelle possédée, elle devient notre propriété. Elle ne sera léguée qu’à notre descendance pour perpétuer notre domination. Pouvoir et peuple se tournent le dos. C’est un couple en crise. Un désaccord profond les déchire.
Des deux conjoints, qui doit quitter le lit ? Pour les conservateurs, c’est la femme (la société doit changer) ; pour les démocrates, c’est le mari (le pouvoir doit changer) ; pour les modérés, « loin de toi j’ai froid, près de toi j’ai chaud » (statut quo). La société a mûri et le pouvoir a vieilli. Comme dans tout rapport, il faut montrer qui est le plus fort. « L’homme tue, la femme rend fou ».
(*) Le titre est une citation de Jacques Chirac