Le pouvoir vacille à Antananarivo. Le président Andry Rajoelina, figure emblématique d’un Madagascar tourmenté par la pauvreté et les promesses brisées, s’est réfugié dans un lieu tenu secret.
Après trois semaines de manifestations meurtrières, menées principalement par une jeunesse sans avenir, le régime s’effondre morceau par morceau : les forces de sécurité ont rejoint la rue, jurant de ne plus obéir à leurs supérieurs.
L’image est forte : un président qui avait conquis le pouvoir par un coup d’État en 2009, célébré jadis comme le symbole d’une génération moderniste, désormais traqué par la colère populaire. À 51 ans, Rajoelina se retrouve pris au piège de son propre système — celui d’un pouvoir qui promettait le développement mais a livré la misère, la corruption et les coupures d’eau et d’électricité à répétition.
Dans la capitale, la place du 13-Mai, cœur historique de la contestation, a repris vie. On y chante, on y pleure, on y enterre les morts tombés sous les balles de la répression. Le cercueil d’un jeune manifestant, porté à bout de bras, a traversé la foule dans un silence de dignité. Sur les banderoles, un symbole inattendu : la tête de mort issue de la culture manga, devenue signe de ralliement d’une génération Z qui, de Santiago à Antananarivo, revendique un autre rapport au pouvoir.
Les appels à la démission se multiplient, même dans les rangs militaires. Mais les chefs rebelles se gardent de s’emparer du pouvoir — conscients qu’un nouveau coup d’État isolerait davantage ce pays dépendant de l’aide étrangère. Le Premier ministre, un ancien général, tente d’apaiser la situation, parlant de « fraternité entre soldats ». Mais sur le terrain, la fracture est consommée.
Le paradoxe Rajoelina saute aux yeux : arrivé au pouvoir par la force, il met aujourd’hui en garde contre toute tentative de coup d’État. Il a limogé son gouvernement, tenté un ultime discours télévisé — retardé par la prise du siège de la télévision nationale par des militaires dissidents —, mais plus personne ne semble l’écouter. Le pays, riche en ressources minières, est exsangue ; les jeunes, majoritairement au chômage, ne croient plus à ses promesses.
« Je suis confiante en un avenir meilleur », disait une étudiante lundi sur la place. Ces mots, simples, sonnent comme un verdict : le pouvoir a perdu la rue, et sans doute la légitimité morale.
Madagascar, longtemps marginalisée sur la scène africaine, rejoue un scénario familier : celui d’une démocratie fragile, écartelée entre la soif de changement et les vieux réflexes autoritaires.
La fuite d’Andry Rajoelina marque peut-être la fin d’un cycle politique ouvert il y a seize ans. Mais elle révèle surtout une aspiration plus profonde : celle d’un peuple qui refuse de mourir dans le silence et la résignation.
Synthèse Mourad Benyhia