Mercredi 20 décembre 2017
Malek Boukerchi court les 100 km par moins 45 degrés
Malek Boukerchi est un philo-conteur et ludologue, anthropologue -expert des logiques-valeurs coopératives et adaptatives dans les organisations. Il prépare une traversée Afrique du sud-Algérie.
- Lire ici la 1re partie : Malek Boukerchi court les 100 km par moins de 45 degrés
Le Matin d’Algérie : Comment avez-vous transformé vos rêves en réalité ?
Malek Boukerchi : Il était une « fois/foi »… celle du rêve, des rêves, car les rêves sont ceux par quoi la réalité est magnifiée dans ma manière de percevoir le monde environnant.
Et croire en ses rêves, croire surtout en soi, et savoir s’entourer de personnes qui vont croire et magnifier vos projets, c’est le temps du possible… Comme trop de gens passent leur temps à vivre loin de leurs rêves, s’imaginant que le rêve est chimère, fragile d’éclosion… L’expérience vécue en Antarctique, dans le désert d’Atacama dernièrement, démontrent à mon modeste niveau, qu’avec de la ténacité et de la patience, les rêves sont faits pour féconder la réalité : et entre nous, comme l’enseigne un adage océanique « tout rêve est la moitié d’une réalité », l’autre moitié, à nous de la concrétiser en l’inscrivant dans une intensité et une densité d’être !
Parlez-nous de l’un de vos ouvrages : « Il était une fois en Antarctique » paru en 2015 ?
Avant de partir en Antarctique, et à mon retour, il y a eu beaucoup d’interviews radios, presse et TV ici en France car les médias étaient intrigués de voir un enfant d’immigré, qui plus est un amateur (car je ne vis pas de l’ultra mais l’ultra alimente mes réflexions anthropologiques forcément) et qui plus est, un enfant issu de quartiers compliqués… comment c’est possible de partir aussi loin au bout du monde ?
Et suite au succès du défi car nous n’étions que 5 (4 pros aguerris et l’amateur éclairé que je suis) à avoir fait le doublé, un marathon et enchaîné ensuite 100 km par moins 45 degrés en moyenne… des éditeurs m’ont contacté pour que j’écrive l’histoire de cette aventure, et faire passer un simple message, qu’il est possible à tout à chacun d’explorer son potentiel insoupçonné, d’aller au-delà de ses possibles. Donc c’est l’histoire d’un impossible devenu possibles.
Un livre touchant plus aux dimensions de développement personnel et de philosophie existentielle matinée de quelques éléments techniques d’ultra (mais pas trop comme nous ne sommes que 700 à vibrer dans cette pratique extrême).
Car ce qui fait la beauté d’un rêve, de toute espérance lucide qui se veut aussi bien un voyage intérieur qu’extérieur, c’est notre capacité à se laisser aller à tous les possibles de découverte pour nourrir notre élan, notre allant vital, d’être disponible dans une attente active exquise…. Car je garde au fond de mon cœur et en tête les propos d’Eleanor Roosevelt osant affirmer que « le futur appartient à ceux qui croient en la beauté de leurs rêves »… Croire, c’est de la folie en ces temps de rationalité contrôlée, mais croire en son devenir, en ses projets, c’est aussi le grain de folie libérateur et nous en avons besoin !, tels sont les propos narratifs de mon avant dernier ouvrage.
Vous n’aimiez pas le froid, comment avez-vous dépassé le cap? Autrement comment avez-vous réussi à vous y adapter?
Réussir le pari Antarctique par exemple, réussir la traversée des déserts de tous les continents, d’Asie en Afrique, c’est savoir conduire et orienter ses pieds, sa tête, son corps quel que soit l’orage des imprévus, à l’image du matelot qui sait orienter sa voile quel que soit le vent.
Dans ce genre de défi dans des zones extrêmes, je deviens un « runneriste », à savoir « unner + touriste = runneriste ». Et en étant runneriste, je change de vision sur la manière de courir dans le grand froid polaire. Autant sur marathon en ville, le défi du chrono est là…
Autant dans ces paysages magiques, je dispose toujours de mon appareil photo et caméra miniature… et je prends le temps de m’imprégner par tous les cinq sens des paysages : s’arrêter pour regarder, pour toucher, pour sentir, pour écouter et même pour goûter ! Et seulement après arrive le temps de la prise de photos/caméra… pour capter l’essentiel inaperçu… et oublier la morsure létale du froid pour me laisser porter par la poésie de l’univers. Courir n’est qu’un prétexte pour aller sur les plus beaux paysages du monde, et les plus beaux paysages du monde sont les visages que je rencontre dans ces grandes chevauchées fantastiques !.
Les corps se vident, les cœurs s’assèchent et les esprits sont de plus en plus confus… ceux qui se ressemblent se reconnaissent et se comprennent sans les mots… cas des coureurs de l’extrême, et l’Antarctique à mes yeux, ces montagnes et sentiers de neiges immaculées dans les cimes azurées, j’y vois des histoires…, dépositaires d’une mémoire inscrite à jamais dans la chair de la terre polaire…
Aller courir là-bas, en terres hostiles du Grand froid, ce fut un moyen-pause parenthèse de se retirer du chaos de la férocité sociale, pour me laisser me réaliser en couleur paradoxale dans cet univers de blancheur avec les autres coureurs , être tour à tour jaune, bleu, violet, orange, voguer sur les couleurs ethniques et les intégrer. Etre mélancolique en bleu, fou en rouge, triste en jaune, gai en vert, nostalgique en violet, suave en orange, faire passer mes idées et mon être par une succession chromatique… et ainsi, nous oublions les conditions extrêmes entre autre…
Quel est le secret d’ultra-endurance?
D’une approche solitaire et indépendante lorsque vous pratiquez des courses en mode « safe » comme courir en ville, dans des endroits balisés, l’ultra-marathon vous fait basculer dans une approche solidaire et scientifiquement interdépendante lorsque nous partons dans ces zones désertiques où notre destinée de vie sur un geste, une décision agile qui suscite le tressaillement du destin…
Le solitaire : c’est la course à proprement parler, la traversée du désert où ma condition physique et force mentale sont en mode vigilance permanente.
Le solidaire se trouve en amont du défi et en aval : la rencontre avec tous les experts-techniciens et l’aide financière apporté par ceux/celles croyant en mes défis et en leur force narrative.
Alors qu’est ce qui anime mon élan vital d’ultra-runner de l’extrême, qu’est qui nourrit mon agir et mon être, quel est le secret ? Le courage de la décision lucide et la joie de l’action !
Le courage est source de volonté : elle ouvre l’énergie comme appétit de vivre, déclenche la persévérance, nous pousse à donner le meilleur de nous-mêmes ! La joie est le fruit de l’enthousiasme : elle a le goût de l’espérance qui se conjugue au présent, le désir d’aimer et d’être aimé, la force du débordement de vie et du dépassement de soi !
Quand nous sommes animés par le courage et la joie, l’avenir, la course dans le désert, la vie en fait, ne sont pas des inquiétudes, mais une réelle attente ; les rêves ne sont pas de douces compensations mais de véritables projets engagés de manière inexorable !
Vous vous entraînez dans une chambre froide pour préparer un marathon en Antarctique? Comment s’y adapter?
Je me suis entraîné spécifiquement pendant un an. J’ai couru sur un tapis roulant, dans la chambre froide d’une entreprise de surgelés à moins 25, et à Lille sur un tapis elliptique (car le tapis roulant tombe en panne au-delà de moins 30) dans un grand groupe de distribution de produits sports par moins quarante, avec construction d’un équipement spécifique testé durant plusieurs mois ; à cela, pour adopter et adapter le juste déroulé de la foulée avec des chaussures taille 47 (d’habitude du 43) du fait des multicouches chaussettes, entraînement la nuit dans Paris pour « bénéficier des températures plus froides qu’en journée ».
Il m’a également fallu tout ce temps pour tester la tenue vestimentaire. Sous des climats extrêmes, toute erreur est préjudiciable. En ceci, l’ultra-marathon des extrêmes est une école de l’humilité. Rien n’est acquis, tout peut achopper sur des détails. C’est pourquoi allier un maximum de préparation vigilante avec un maximum de curiosité audacieuse est l’une des clés de la réussite !
Quels sont vos projets?
Ah… bonne question car forcément, il y aura projection dans quelques mois. Mais d’abord, il est essentiel de savoir savourer les moments vécus. Alors je garde en moi encore les sons et couleurs du désert ocre de l’Altiplano car il y a encore 7 mois, j’étais là-bas pour mon dernier défi d’ultra, courir le marathon le plus haut du monde, « juste un 42 km 195 » mais à plus de 5500 mètres d’altitude, une aventure fabuleuse aussi dense et intense que le pôle sud… avec toutes ces énigmes : comment faire face à la dette d’oxygène, moins de 7% d’oxygène… et c’est faisable avec une préparation au couteau durant un an l’année dernière… Donc se projeter trop vite, c’est ne plus prendre le temps de l’introspection de ce que je viens de vivre. Je suis là mais aussi là-bas encore !
Alors il y a des idées, un peu folles.
Allez, je travaille sur un projet fou joyeux : courir au nom de la Fraternité et de la Sororité, un marathon/jour le matin et les après-midis, consacrées à réfléchir et parler de la terre-Patrie et de la Terre-Fratrie en ces temps de migration dramatique alors que nous sommes tous des migrants depuis l’aube des temps. Bref, plus de 15 000 km à parcourir en mode partage solidaire : un Le Cap-Alger dans son intégralité dans ce continent des continents, le continent de notre humaine condition, l’Afrique dans toute sa beauté non touristique… On aura l’occasion d’en reparler, je l’espère ;). Car cette fois-ci, j’espère bien me connecter au monde algérien comme je compte terminer à Alger et être aussi peut-être porté par des partenaires algériens dans cette course à la symbolique fabuleuse mondiale.
Vous êtes peu connu des médias et grand public algériens, pourquoi selon vous ?
Ah, que dire à ce sujet ? Il faudrait leur poser la question, il me semble… non ? Plus sérieusement, je garde en tête les propos d’un Albert Einstein qui lui-même disait :
« N’essayez pas de devenir un Homme qui a du succès et qui soit reconnu partout. Essayez de devenir un Homme qui a de la valeur ». Ou comme aimait le dire un Winston Churchill, déjà à son époque : « le drame de notre humanité, c’est que les Hommes veulent être connus avant d’être utiles »…
L’enjeu est ailleurs, et il y a des gens formidables, des gens de l’ombre qui sont tous des héros ordinaires du quotidien et qui font des actions remarquables. L’essentiel est là, loin de la duplicité et de la cacophonie médiatique exaltant « le confort-futile » au détriment de « l’effort-utile »…
En fait, je vis en France, à La Réunion entre autres… Même si, toujours et encore joyeusement un lien de cœur avec mon pays d’origine car je revendique aussi mon algérianité, hommage à mes parents qui ont désormais pour couverture la terre de leurs ancêtres berbères et le ciel numide pour oreiller dans ce fabuleux pays, où j’y retourne pour aller les saluer et honorer leurs mémoires car ce sont les êtres que j’admire le plus pour tous les sacrifices qu’ils ont fait, pour leurs enfants, pour leur exil…
La vie est faite de connexions, de réseaux, et il se trouve que je n’ai pas (ou pas cherché à dire vrai car n’étant pas in situ) les connexions avec l’univers des médias algériens…et que là-bas, peut-être, l’ultra-marathon, c’est très obscur… Alors que je dois être le premier Algérien à avoir foulé le pôle sud, à avoir couru à plus de 5 500 mètres d’altitudes par exemple… Et les coureurs rencontrés au bout du monde savent désormais positionner – je ne parle pas de la France connu et reconnue, mais de l’île de La Réunion, et de l’Algérie car j’en parle toujours avec joie !
Et l’ultra-marathon, n’oublions pas, ce n’est pas le sport mondial qu’est le foot par exemple… Aucun manne financière à gagner, juste la passion d’explorer les limites du corps et du mental… Un sport rare, un sport très exigeant, très confiné, peu archi peu médiatisé contrairement aux trails ou marathons classiques qui sont un peu tendances…
Maintenant, comme quoi, tout est question de timing, et avec le vécu et l’expérience accumulé de crédibilité, avec mon prochain défi de traversée intégral de l’Afrique en mode solidaire course fraternelle entre Le Cap et Alger, forcément, je vais essayer – un désir fort- de trouver aussi des partenaires algériens pour m’accompagner, ce qui serait chouette. Je profite de cette tribune alors, qui sait ?, pour nouer et faire un appel .
Êtes-vous déjà intervenu à Alger en stratégies relationnelles et agilités situationnelles?
Non. Pas pour l’instant, mais qui sait ? Tout est question d’opportunités, non ?
En fait, mes territoires de jeux sont l’hexagone et les îles d’outre-mer, l’Afrique noire où j’ai l’occasion d’intervenir sur les logiques interculturelles et logiques motivationnelles d’engagements. Et cette année, exploration des terres asiatiques – Chine, et Asie du Sud-est pour comprendre comment les gens savent résonner/raisonner ensemble…
C’est vrai, je n’ai pas l’effort personnel d’aller explorer le territoire algérien comme je suis sollicité par ailleurs dans mes domaines d’expertises et en tant que conférencier narratif, mais si l’opportunité m’est donnée, why not pour apporter modestement ma joie du comprendre et de l’agir ensemble, de venir conter en mode conférence les enjeux de l’ultra-marathon car les gens du quotidien sont des marathoniens qui s’ignorent, et en particulier en Algérie… 😉
C’est quoi un ultra-marathonien ?
L’ultra-marathon dans toutes ses dimensions, avec sa phase préparatoire et sa phase récupération, est l’histoire d’une seule vertu magnifiée, qui vient percoler nos réalités sociales à chaque moment : la confiance ou je dirai désormais l’ultra-confiance lucide. Cette ultra-confiance est le socle de tout ultra-runner, elle devrait être le socle de tout citoyen du monde, mais une confiance lucide et non sur-confiance générant dans l’égo…
A l’image de certains métaux qui sont connus pour être des conducteurs d’énergie, l’ultra-confiance est aussi un conducteur d’énergie positive : pour soi et pour les autres. Car toute confiance est contagieuse dans le bons sens, celui de l’enthousiasme de conviction.
Comme dit un adage de la tradition perse de jadis, « c’est en croyant aux roses qu’on les fait éclore »… : nous avons besoin que d’une chose pour grandir en âge, en sagesse, en sérénité, en épanouissement : CONFIANCE ou ultra-confiance!, la clé de tous les succès et pour tous les défis ! C’est ce que je souhaite à notre humaine condition, pour un vivre-ensemble fraternel et solidaire
Etre un coureur de l’extrême et aller se réaliser dans des endroits hors normes et inaccessibles à priori, c’est aussi considérer les peurs comme des vertus, le découragement comme une élégance, les doutes comme des réponses, le détachement comme un échappatoire, les Hommes et Femmes croisés là-bas comme des romans, la vie comme une berceuse, la souffrance comme un exercice de joies, la blessure comme délivrance vers un nouvel horizon… des thématiques de transposition à l’univers vie en dehors de la course…
Gardons finalement en mémoire-promesse les propos d’Alfred de Musset : « pour réussir dans le monde, retenez bien ces trois maximes : voir, c’est savoir ; vouloir, c’est pouvoir ; oser, c’est avoir ».
Voir, vouloir, oser… = Attention, Volonté, Audace comme devise, comme mot d’ordre de l’engagement de tout ultra-marathonien,… de tout acteur de sa vie… Et c’est ce que je souhaite à tous vos lecteurs et lectrices !