Cette histoire n’est pas une fiction. La Seconde Guerre mondiale venait d’éclater. L’Algérie est paisible pour l’instant. Rien ne présageait de quelconques bourrasques ou tourments.
Les colons étaient bien installés dans la quiétude et la sérénité de leurs palais, profitant du ciel bleu, du soleil et des joies de la mer, pendant que les indigènes souffraient en silence. Tout est calme dans ce pays conquit depuis plus d’un siècle.
La majorité des garnisons est rappelée dans l’Hexagone. La résistance contre Hitler et ses soldats, désignés par le terme péjoratif de boches, s’organise partout en France.
Pour renforcer leurs rangs, les Allemands recrutent, à tout va, tout étranger à la tête blonde qui croit en la suprématie aryenne.
Ouelhous est Kabyle, il a vingt ans, des yeux luisants, couleur bleu azur, impressionnants par leur éclat étincelant. Son teint est si clair qu’il se confond rapidement dans la masse de cette race qui décide d’en découdre avec ce qu’elle considère comme les déchets de l’humanité.
Ouelhous ne sait pas ce qu’étaient vraiment ces Aryens qui voulaient assujettir le monde, mais qu’importe. Ce qui le motive, c’est le pain. Et, après tout, l’ennemi de mon ennemi n’est-il pas mon ami, devait-il se dire quand un lieutenant du Führer repère sa posture droite et élancée, et lui propose de le recruter pour combattre son ennemi.
Ce Français qui occupe sa terre depuis près d’un siècle maintenant, au nom d’une pacification barbare qui le relègue au rang d’indigène de tous les désespoirs. Il se laisse séduire sans trop réfléchir. La faim aussi justifie les moyens. C’est le ventre vide qu’il avait débarqué à Marseille deux mois plus tôt.
En Allemagne aussi, il survit grâce à de petits larcins. Il faut dire qu’en Kabylie, il avait acquis une certaine notoriété dans sa façon de marauder les villages voisins. Il procédait la nuit et, au petit matin, revenait chez lui à dos d’âne, lequel est harnaché d’une selle sur laquelle repose un achouari (sorte de couffin double attaché par des sangles qui lui permettent de tenir en équilibre sur la selle) des plus travaillé.
Fier et élégant, Ouelhous débarquait avec toutes sortes de légumes et de fruits de saison ; raisins, figues fraîches, carottes, pommes de terre, haricots verts, oignons etc., rien ne manquait à sa récolte nocturne.
De quoi nourrir la famille pour une semaine, au grand bonheur de sa femme Fadhmouch et de ses deux enfants, encore endormis quand les victuailles sont débarquées et stockées dans un endroit frais de la maisonnette. Un logis constitué d’une simple pièce dans laquelle s’entassait toute la famille à même le sol, et une petite courette.
Souvent, il lui arrivait même de débarquer avec une poule à laquelle il avait tordu le coup. Il ne s’encombrait jamais du rituel musulman qui consiste à égorger la bête pour que la viande soit hallal. Ouelhous n’est pas du genre à se laisser impressionner par toutes ces sornettes venues de contrées lointaines… (à suivre).
Kacem Madani