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Maraudeur en Kabylie, SS en Rhénanie (8)

Pour survivre pendant les dernières années qui avaient précédé le cessez-le-feu, sa femme et ses enfants lui rendaient visite quasi-quotidiennement, au nez et à la barbe des soldats français qui patrouillaient régulièrement dans nos maisons pour le débusquer, mais en même temps, au vu et au su de tous les gens du village (hommes, femmes, vieux, et jeunes, tout le monde savait où se trouvait sa cachette).

Nous regardions le fait de pouvoir vivre dans une grotte comme un exploit surhumain et un fait d’armes hors du commun, à l’image des prouesses des héros des contes que l’on nous racontait le soir pour nous endormir.

Maraudeur en Kabylie, SS en Rhénanie (7)

Il faut noter que pendant toutes ces années de guerre, notre Ouelhous n’avait jamais pensé rejoindre les rangs des combattants contre l’occupant, ni essayé de se frotter à un pouvoir quelconque après l’indépendance. Pourtant, avec son passé de combattant et son expérience des rangs militaires, il aurait fait le bonheur de l’armée algérienne ou de tout autre corps de métier qui exige discipline et sévérité.

Je me souviens de sa joie immense et communicative quand l’armée française avait quitté notre village quelques jours avant l’indépendance. Il était pratiquement le grand meneur de toutes les festivités et des marches organisées dans mon village avec les fameux « Tahia Eldjazaïr » (Vive l’Algérie), au point que quand une animation était organisée, nous attendions tous (surtout nous les enfants) avec impatience son arrivée, sachant que sans lui, cela manquerait à n’en point douter d’un certain tonus dont nous nous délections des journées et des soirées entières avec la joie et l’ivresse qui ont suivi l’indépendance. Et du Tonus, il en avait, ce sacré Ouelhous. À tel point qu’il représentait pour nous un exemple de bonheur, d’allégresse, d’exubérance, et nous avions beaucoup de mal à nous imaginer qu’il fût mêlé à des actes de barbarisme aussi inhumains que ceux dont il se vantait.

Les blagues qu’on lui attribuait étaient nombreuses et variées. Un jour d’exubérance autour du drapeau algérien, il se fendit d’une expression inoubliable. Avec un arabe approximatif mélangé à du kabyle, il débite : – « Hada la3llam el-djazaïr, yourefrifou fi el-haoua, l’océan Atlantique ou tiqet3ara » (Cet étendard flotte au gré du vent, pour traverser mers et océans), déclenchant en nous rires et jubilations.

Il est important d’insister sur le fait que ce Ouelhous n’avait certainement pas commis ses crimes au nom de l’idéologie antisémite d’Hitler. Le bougre ne devait même pas savoir ce que c’était. Il n’avait sûrement rien compris à l’affaire. Il ne devait même pas savoir ce que signifiait être nazi, ni avoir jamais entendu parler des juifs auparavant. Il s’était juste laissé embrigader, au même titre que de jeunes Algérois se sont laissé embrigader par le FIS à Alger jusqu’à se laisser convaincre d’abattre un certain Tahar Djaout et des dizaines de milliers d’innocents, intellectuels ou simples citoyens.

À cette différence – elle est de taille – que notre Ouelhous, en se rangeant du côté des Allemands, était une façon de combattre l’occupant français sans se poser trop de questions. Je suppose, j’en suis presque sûr, qu’on a fait de lui un criminel, comme l’Islamisme a fait de certains de nos jeunes des assassins aussi durant la décennie noire des années 1990.

Un homme inculte est condamné à devenir ce que ses supérieurs en font. Si la France n’avait pas massacré ses aïeux, il aurait certainement combattu contre les Allemands. C’est aussi simple que cela. (A suivre)

Kacem Madani

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