Vendredi 5 avril 2019
Marche du 5 avril (acte VII) : de Charybde en Scylla
La procession de ce vendredi 5 avril est moins dense qu’à l’accoutumée. La circulation y est plus fluide. Sur les réseaux sociaux on publie le blocage de véhicules de toutes sortes à la lisière de la capitale.
La marche devient plus silencieuse. Elle parait plus solennelle. Le sentiment de bonheur qui planait durant les vendredis précédents s’est quelque peu estompé. Les visages des marcheurs n’arborent pas aussi souvent qu’auparavant ces beaux sourires qui ont étonné le monde. Leurs traits sont plutôt tirés.
La panoplie de slogans n’est pas très variée. Six refrains reviennent le plus fréquemment le long du cortège : Yetnehew ga3 (ils seront tous écartés), dzair dialna oundirou raina (l’Algérie est notre et nous y ferons ce que bon nous semble), Djazaïr houra democratia (Algérie libre et démocratique), ennahiw el 3isaba ounkounou labas (on écartera le gang et on se sentira mieux), Houkouma madania ou machi re3askaria (gouvernement civile et pas militaire), FLN dégage RND dégage.
Sur le plan graphique et iconographique la créativité n’est pas à son apogée. On voit des photos des 3B (Bensalah, Belaiz, Bedoui) barrés de rouge ; une pancarte représentant Bensalah dans les bras de morphée, des écouteurs accrochés à ses oreilles, en pleine séance du sénat avec la légende «et on veut que ce monsieur dirige la transition ». Sur une grande banderole on peut lire Bladna habina nebnouk… mahamlouhach likhetfouk…. (Cher pays, nous voulons te construire… ceux qui t’ont kidnappé ont du mal à l’avaler….).
Deux jeunes de la trentaine auxquels on pose la question « pourquoi êtes-vous sorti aujourd’hui » répondent : nous terminons notre travail, il faut qu’ils partent tous ; la décision est encore aux mains de l’armée, nous voulons décider de la période transitoire ; rien n’est clair pour le moment ; nous avons une grande responsabilité dans le Maghreb et le monde arabe. Si on réussit tout le monde suivra.
Un groupe de jeunes filles accompagnés de leur mère que l’on interroge de la même façon rétorquent : qu’on les enlève tous, il faut enlever la gangrène ; l’armée doit nous protéger et rester neutre ; le chef d’état-major de l’armée suisse a démissionné hier, suite à un mal au pied, alors qu’il n’a que 58 ans lancent-elles à titre d’exemple ; la transition on veut la confier à des personnes intègres et connus surtout pas Bedoui et les restes de Bouteflika ; que notre armée continue de nous prêter main-forte pour en finir avec ces gens-là et qu’elle se mette à l’écart de la politique.
A Chikh Ferhat, jadis monsieur météo, toujours présent les vendredis, on demande comment trouvez-vous le climat politique ? Après s’être renseigné sur le média dans lequel on collaborait il rétorque : « J’aime beaucoup Monsieur Benchicou, C’est le premier à avoir défié Bouteflika ; je souhaite le voir revenir, l’Algérie est libéré ; j’ai fait une interview au matin au temps de Said Mekbel ; on a gagné la bataille mais pas la guerre ; nous étions dans une tempête mais il y a aujourd’hui des éclaircies ; après le mauvais temps c’est le beau temps qui revient inchallah ».
Les manifestants savent qu’ils ont atteint leur première cible qui, somme toute était facile à déterminer. Mais la deuxième, le dégagement du système, reste une revendication dont la faisabilité sur le plan pratique est complexe. Ils sont suspicieux. Ils ressentent que la partie n’est pas jouée. L’intervention chevaleresque et tardive de l’état-major, cautionné par certains partis politiques de l’alliance et de l’opposition, a semé le doute chez nos marcheurs. Les propositions, quelques fois irréalistes, et les appuis de certaines personnalités politiques ont un peu freiné l’élan de nos jeunes, les ont fait douter et réfléchir. Ils ont la hantise du retour en arrière, de l’échec. Ils ne veulent pas tomber de Charybde en Scylla.
La protesta cherche son second souffle. Il lui faut reprendre sa vitesse de croisière afin de réaliser ses desseins. Les influenceurs du net, journalistes et personnalités publiques ont été pris de cours ce vendredi.
Leurs messages n’ont pas été assez explicites et homogènes. Les différents protagonistes dans l’échiquier politique sclérosé, sont décalés par rapport aux réalités. Leurs discours et leurs réflexes sont ceux d’un autre temps. Telle une dame découvrant ses charmes, afin de séduire sa proie, ils ont été très prompts à proposer leurs services aux militaires. Ils ne réalisent pas que le temps où l’armée « plaçait » les présidents est révolu. Il est définitivement enterré. Il est sûr que dans le futur l’institution militaire pèsera toujours sur les grands choix de la nation, qu’elle aura toujours son mot à dire. Mais étant donné la nature des nouveaux liens qui se sont créés et consolidés entre l’armée et son peuple, cette dernière agira uniquement comme un facteur d’émancipation et d’épanouissement. Elle ne pourra, ni ne voudra être la cause d’une quelconque régression. Elle a plus intérêt à se positionner comme une source d’influence, un lobby, que demeurer une faiseuse de princes.
A travers ses différents réseaux, et avec ses divers moyens elle pèsera sûrement sur les choix du peuple mais ne se substituera à lui en aucune manière.
Alors messieurs les politiciens, il est plus judicieux pour vous d’aller chercher des voix, de convaincre l’électorat de votre bonne foi, de la pertinence de vos idées et de vos programmes. Le pouvoir politique, l’unique, se trouve dorénavant principalement dans l’urne et nulle part ailleurs. Employez-vous à l’y trouver. Construisez vos réseaux.
Ceux du FLN et du RND ne sont plus viables. Recrutez et formez vos militants. Faites le travail pour lequel vous êtes rémunérés : ralliez les électeurs à votre cause. En d’autre termes « mouillez-vous la chemise ».