Marine le Pen, présidente du Rassemblement National vient d’être condamnée par le tribunal correctionnel à quatre ans de prison dont deux fermes, cinq ans d’inéligibilité et une amende de cent mille euros.

Dans cet article qui vous est proposé nous laisserons de côté l’angle de l’actualité pour un regard décalé, celui de l’histoire de ce parti politique qui est aujourd’hui plus que jamais aux portes de l’Elysée et de la majorité aux prochaines législatives. Que ce soit avec Marine Le Pen ou une autre personne.

Nous laissons également aux historiens, spécialistes de l’extrême droite, le soin de contribuer à une publication plus étoffée. L’objectif est de rappeler d’une manière pédagogique, donc simple mais sérieuse, les points historiques essentiels à la compréhension de l’origine de ce parti fasciste.

Il est impossible de comprendre son ADN comme celui de tous les partis d’extrême droite sans remonter très loin dans le passé. Même si des différences apparaissent en fonction de chaque pays où l’extrême droite existe, les fondamentaux sont identiques.

Une habitude, rien de plus

Dans extrême droite, il y a droite. L’affaire est simple, cela remonte à la Révolution française qui a vu la royauté décapitée, ce n’est vraiment pas une image. Ce qui est souvent méconnu ou oublié, est que le roi n’a pas été déchu lors des premiers temps du régime révolutionnaire, il était encore resté la figure tutélaire sacrée du peuple et on n’avait pas osé le régicide sur le moment.

Il y eu donc naturellement des loyalistes, défenseurs de l’institution monarchique et les abolitionnistes. Habitude avait été prise, les loyalistes siégeaient à droite et les abolitionnistes à gauche dans l’assemblée. Et voilà deux termes ancrés à jamais dans l’histoire politique, une histoire de sièges, par humour on dira ceux qui étaient devant la buvette et les autres, côté fenêtre.

Tout débute à ce moment révolutionnaire et la bataille de position idéologique va marquer la rupture entre les deux camps. Le Front National, ancienne appellation du RN, puise sa position dans ce long parcours idéologique.

Et voilà Charles Maurras et Maurice Barrès

Les siècles se succèdent avec le même clivage, entre d’autres. Á toute résurgence du débat houleux, souvent guerrier, il faut des hommes qui posent les bases doctrinales adaptées au moment contemporain. Pour l’extrême droite française, se furent Charles Maurras et Maurice Barrès. Les deux ayant été pêle-mêle des écrivains, des journalistes et des hommes politiques.

Qu’importe leurs différences, ils étaient tous les deux de profonds nationalistes d’extrême droite avec tous les attributs que cela suppose et que nous évoquerons par la suite. C’est par leurs écrits et discours que naît la référence doctrinaire contemporaine du Front National même si l’éloignement de la date de référence ferait croire le contraire.

Mais cette doctrine d’extrême droite, c’est quoi ?

L’extrême droite, le siège encore plus à droite

Dans cette idéologie, revenons à nos sièges de départ. L’extrême droite est à la droite de la droite nous expliquerait monsieur de La Palice. Elle se définit par un certain nombre de points identifiants, tous concourant au même résultat.

L’extrême droite française est fasciste et donc populiste. L’extrême gauche repose également sur une base populiste au résultat aussi violent mais avec des arguments  totalement différents.

L’extrême droite, c’est le parti de l’ordre et de la suprématie. Tout d’abord par la nécessité de l’existence un chef, viril et assez puissant derrière lequel la population est protégée. Cela ne vous rappelle rien ? Mais bien sûr, le roi.

L’ordre est sécuritaire et doctrinaire. Les deux ayant pour objectif de surveiller et de combattre l’ennemi intérieur et ses idées subversives, comme la liberté ou la démocratie, et/ou l’ennemi extérieur qui menacerait l’intégrité et la souveraineté de la nation.

L’ordre est aussi le fait d’une recherche de la pureté de la nation et de son histoire. Il faut ainsi retrouver les racines nobles de la nation qu’on dit être contaminées par le mélange nocif des étrangers et des idées. Il faut même promouvoir le radicalisme en adoptant des lois répressives d’exclusion jusqu’à la tentative de générer une vraie race pure comme a voulu le faire l’eugénisme d’Hitler.

Pour cela l’extrême droite veut créer un passé fantasmé, celui de la grandeur supposée de l’origine de la France. On s’arrange donc avec l’histoire et on la magnifie, depuis les propagandes politiques jusque dans l’éducation scolaire.

Et enfin, il faut reconstruire la nation catholique séculaire et remettre la population sous un ordre divin. Et nous revoilà encore avec ce bon roi du début, il associait l’ordre séculier (le pouvoir sur terre) et l’ordre spirituel (la mission divine qui lui a été transmise).

Une fois fait le rappel des attributs de la doctrine de l’extrême droite, revenons au berceau de ce charmant garçon Le Pen, nourri au biberon de celle-ci.

Nous voilà, maréchal !

Les années trente ont été celles qui ont forgé tous les fascismes et mené vers la guerre mondiale. Bien que Jean-Marie Le Pen en soit l’héritier c’est véritablement par le régime d’extrême droite du maréchal Pétain, au début des années quarante, que naîtront les bases historiques du mouvement dont Marine Le Pen est héritière.

Nous savons ce qu’a été la fin du pétainisme mais ses nostalgiques n’ont pas disparu pour autant. Ils réapparaissent à chaque fois que les évènements sont propices à leur propagande. Et nous voilà au moment de la décolonisation, un événement dont on se doute que ce n’est vraiment pas leur tasse de thé mais l’aiguillon qui les fait revivre.

Lors de ce mouvement général de décolonisation vient le plus difficile et sanglant, celui de l’Algérie. Dans ce petit monde de l’extrême droite apparait un parachutiste français, notre gros bébé de tout à l’heure, d’une brutalité extrême. Un des fils du maréchal, un nostalgique du temps où on faisait déporter les juifs vers les camps et les fours. Pour ce grand bourrin au langage peu élégant et dont la puissance des muscles détrônait la faiblesse des neurones, c’était le plaisir de torturer et d’assassiner des autochtones algériens. On fait avec ce qu’on a !

Son engagement volontaire de seulement de trois mois dans l’armée française lui avait permis pourtant, ce qu’il assumera plus tard à demi-mots, de s’adonner à la torture.   

Encore un échec, un pas de plus vers la rage

Voyant l’Algérie perdue avec les accords d’Évian, la terreur de l’OAS a permis un recrutement des nostalgiques de Pétain. Il leur fallait bien reprendre du service car sans violence, leur crédit était quasiment nul dans la classe politique française depuis 1940. Revenus en France, ils ont voulu faire payer l’abandon de l’Algérie par le « traitre de la nation française » avec l’attentat au Petit-Clamart.

Le lieutenant-colonel Jean Bastien-Thiry rata son coup, De Gaulle ayant survécu, voilà que la malédiction du camp de l’extrême droite continuait. Jean-Marie Le Pen est encore une fois orphelin (il avait réellement été pupille de la nation dans son enfance), va trouver des parents adoptifs, un ramassis d’anciens pétainistes et de l’OAS (les pétainistes ne se sont pas tous enrôlés dans l’OAS) qui s’étaient regroupés dans des mouvements aux effectifs très marginaux.

Et comme tous les mouvements radicaux mais réduits à la plus petite expression, presque invisible, ils paraissaient insignifiants pour certains et folkloriques pour d’autres.

Naissance du Front National

Avant de sévir en Algérie, JM Le Pen avait précédemment participé à la guerre d’Indochine, une autre expérience de l’échec. Après plusieurs errements dans les mouvements d’extrême droite, le voilà député du parti poujadiste de 1956 à 1962. Pierre Poujade Celui-ci s’était fait connaitre par le syndicalisme et la défense des petits commerçants avant de se transformer en parti politique.  

Même si cela est loin de pouvoir se généraliser, la défense des « petits » est parfois le chemin qui mène vers le populisme et donc aux idées fascistes. Il devient député la Seine et participe à la campagne électorale de Louis-Tixier Vignancourt à la présidentielle de 1965, lui aussi une figure engendrée par le souvenir des ligues fascistes et du pétainisme.

Il rejoint ensuite un autre sympathique mouvement d’extrême droite, Ordre nouveau, qui aboutira à la création du Front National dont il est le co-fondateur et le président.

C’est un parcours très résumé mais conforme à la traversée en eau trouble du fondateur du Front National. Rappelons-le, dans l’idéologie de l’extrême droite un des identifiants est le ralliement au mythe de l’Homme fort. C’est la raison pour laquelle évoquer la naissance et la vie du Front National c’est évoquer essentiellement le personnage charismatique de Jean Marie Le Pen.

Les fourberies de François Mitterrand

Á cette période de ma jeunesse nous connaissions la figure de Jean-Marie Le Pen si reconnaissable avec son bandeau noir qui couvrait un de ses yeux après sa perte. Puis ce sont par ses interventions avec ses gesticulations et son discours véhément et provocateur qu’il nous était reconnaissable.

Même si les points centraux qu’il défendait étaient de longue date connus avec la longue histoire de l’extrême droite, c’est par lui qu’avait commencé le discours contemporain contre l’immigration et la déchéance des partis du « système ».

Le basculement de la confidentialité des résultats vers une rapide ascension fut paradoxalement le fait d’un homme de gauche, François Mitterrand. Après la baisse de sa notoriété acquise précédemment lors de sa prise de pouvoir présidentiel, l’homme reconnu pour sa grande expérience politique machiavélique de « vieux briscard », allait provoquer l’événement, encore aujourd’hui dans les mémoires.

Il avait  reçu une lettre de Jean-Marie Le Pen s’insurgeant contre l’ostracisme des chaînes publiques qui lui était réservé. Mitterrand y trouva une opportunité de contrer la droite qui le menaçait de plus en plus en lui mettant sur son chemin le troublion de l’extrémisme. Comme d’ailleurs il avait utilisé une arme encore plus lourde, l’instauration de la proportionnelle.

Il avait accédé à cette demande et pria les chaînes publiques de mettre fin à la situation. A cette époque la mainmise du gouvernement était très forte vis-à-vis des médias. Jean-Marie Le Pen fut invité à l’émission « L’heure de vérité » qui comptait des millions de téléacteurs, par sa notoriété mais aussi par le monopole des émissions politiques. Ce fut le grand départ.

Jusqu’à nos jours le président François Mitterrand est considéré comme celui qui a transformé l’existence confidentielle de l’extrême droite pour lui donner l’échelle qui la conduira à la puissance actuelle. C’ n’est bien entendu pas la seule raison de l’ascension mais ce fut un acte fondamental dans le début de la visibilité puis de l’explosion politique.

La dynastie Le Pen et la politique de la cravate

Avec la doctrine de l’ordre, il n’était pas concevable que le passage de flambeau ne se fasse pas par hérédité comme le fut l’ordre dynastique royal. C’est donc sa fille qui reprend le flambeau par ce qui s’assimilerait à un coup d’état filial au sein du parti. 

Le chef historique se faisait vieux et ses bourdes racistes commençaient à être lourdes de conséquences pour un parti qui voulait incruster ses idées dans la vie politique française. Par ses outrances, l’homme politique de la quatrième république ne semblait pas avoir pour objectif le pouvoir mais celui de « renverser la table » pour le projet fasciste tant souhaité.

Sa fille prend un autre chemin et veut « dédiaboliser » un parti qui faisait encore peur et qui semblait avoir atteint un plafond de verre. Elle voulait donner une respectabilité au parti et s’est présentée trois fois aux présidentielles mais ce plafond de verre semblait malgré tout  perpétuer la malédiction qui s’était toujours abattu sur l’extrême droite.

Pour cet objectif de dédiabolisation il fallait renommer le nom du parti, trop associé au père, ce fut alors celui de Rassemblement National.

La dédiabolisation s’est poursuivie avec d’autres actions comme la normalisation des intervenants qui prendront une posture plus digne, choisis parmi un monde instruit, aux postures et langage qui brisent l’image de JM Le Pen. Nous l’avons notamment avec la politique de la « cravate » des nouveaux députés qui se voulaient dignes et échapper à l’image soixante-huitard de la gauche qu’ils estimaient débraillée et au langage vulgaire.

Mais surtout, le parti savait que l’histoire de l’extrême droite exigeait de surfer sur les peurs des populations. Marine Le Pen avait compris que la dédiabolisation ne pouvait pas se découpler avec la base du populisme, celle de profiter des crises et des peurs.

Pour conclure, la condamnation de Marine Le Pen semble la continuation du long parcours de fatalité qui enchaîne toujours le mouvement d’extrême droite. Elle qui avait fustigé le « système » et ses compromissions, la voilà condamnée pour un gigantesque détournement de fonds.

« Mains propres, tête haute » disait le slogan de son père, « tous pourris » et « combat contre le système corrompu», dit le slogan du populisme. Ce n’est vraiment pas avec l’acte de grande délinquance de Marine Le Pen (c’est ainsi qu’on appelle les condamnés du tribunal correctionnel) qu’on donne des leçons de l’ordre moral.

L’arroseur est arrosé.

Boumediene Sid Lakhdar

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