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samedi 12 juillet 2025
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Markunda Aurès, une voix chaouie contre l’oubli

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Elle s’appelle Markunda Aurès, un nom d’artiste choisi comme un manifeste, un ancrage, une fidélité. De son vrai nom Meriem Mebarki, elle est née en 1948, dans la tribu des Aït Soltane, au cœur du massif du Belezma, dans les Aurès, terre de résistances, de femmes fortes et de cultures entremêlées.

Psychologue de formation, chanteuse d’expression chaouie, aujourd’hui également écrivaine, elle a fait de sa vie un long chant contre l’oubli.

En novembre 1971, elle quitte l’Algérie pour s’installer à Paris, poursuivant des études de psychologie. Mais très vite, c’est la voix de l’exil et de la mémoire qui la saisit : Markunda commence à composer, à collecter, à restaurer des chants oubliés du patrimoine chaoui. Une entreprise patiente et engagée qui donnera naissance à quatre albums, près d’une centaine de titres, dont certains, comme Anzar, Aghenja ou Si melmi ntough, deviennent emblématiques.

En 1986, elle publie son premier disque, et deux ans plus tard, se produit sur la scène mythique de l’Olympia à Paris — un moment rare pour une chanteuse de langue berbère.

Mais Markunda ne chante pas seulement pour faire revivre une tradition. Elle résiste, à sa manière : contre l’effacement, contre l’invisibilisation des femmes, contre l’oubli des langues minorées. Car elle le sait — et le dit avec force — :

« Si on te nie, la mort t’oubliera. »

Cette phrase donne son titre à son premier roman, publié aux Éditions Thélès. Un récit autobiographique dense et pudique, où l’auteure revient sur sa propre histoire, celle d’un départ, d’un déracinement, d’un silence intérieur devenu chant et écriture.

Installée aujourd’hui entre Paris et une maison dans le Luberon, Markunda Aurès a trouvé dans la pierre et la nature un écho à ses montagnes d’enfance. C’est là, dans cette retraite où plane le souvenir de sa mère, Yemma, qu’elle entame l’écriture de ce livre. Si on te nie, la mort t’oubliera est un hommage à sa lignée, à ces femmes chaouies, belles et rebelles, que l’histoire n’a pas toujours su retenir.

À travers quatre générations, l’auteure tisse une mémoire familiale entremêlée à l’histoire nationale — guerre d’indépendance, fractures culturelles, modernisation brutale, exils successifs.

Dans une langue sobre, poétique, jamais plaintive, elle évoque les fêtes agraires, les mariages d’amour, les Azriates, ces femmes gardiennes des danses anciennes, et surtout la cohabitation des langues et des générations, dans un monde où berbère, arabe et français se parlaient sans s’exclure. Le récit est traversé par des figures puissantes : Dihya, Massika, les femmes de son clan, les femmes de son peuple.

Écrire ce livre, pour Markunda, c’est retourner à soi. Mais c’est aussi parler aux autres, à celles et ceux qui cherchent dans l’écriture ou la chanson une forme de vérité, un moyen de renouer avec ce qui semblait perdu. À travers ses influences — de Kundera à Faulkner —, elle ancre son geste dans une littérature du temps, de la mémoire, de l’identité fragmentée.

Aujourd’hui, Markunda Aurès poursuit son chemin discret mais essentiel. Elle chante toujours, écrit désormais, transmet inlassablement. Elle n’a jamais cessé d’incarner cette parole rare, celle des femmes des Aurès, à la fois fragiles et indomptables. Elle le fait sans bruit, sans posture, mais avec une justesse poignante.

Et elle nous rappelle, simplement, que se souvenir est déjà une forme de résistance.

Djamal Guettala

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