C’était à Marseille, en 2022, lors d’une demi-finale haletante de l’Africa Rugby Cup. L’Algérie affrontait le Kenya. Score final : 36-33. Une défaite cruelle, un rêve de Coupe du monde qui s’échappe dans les dernières minutes. Ce jour-là, j’ai croisé Marvyn Youcef pour la première fois : troisième ligne puissant, regard franc, verbe posé. Malgré l’amertume, il portait déjà en lui l’idée d’un rebond.
Trois ans plus tard, je le recontacte. La sélection algérienne, qu’il n’a jamais quittée, est allée jusqu’en finale de la Coupe d’Afrique des Nations 2024. Vice-championne d’Afrique. Un pas de plus vers l’histoire. Je lui propose un entretien pour Le Matin d’Algérie. Il accepte sans détour, comme on répond à une convocation sur le terrain.
Car Marvyn Youcef ne joue pas seulement pour marquer des essais. Il joue pour une idée. Une fierté. Un rêve partagé : voir un jour l’Algérie s’inviter à la table des grandes nations du rugby mondial. Entretien avec un homme qui plaque les défaites et relève les défis.
Le Matin d’Algérie : Tu évolues aujourd’hui à Berre (sud de la France) après un passage par plusieurs clubs de Fédérale 1. Peux-tu revenir sur les moments clés de ton parcours de joueur ?
Marvyn Youcef : J’ai commencé à 6 ans, à 18 ans j’ai intégré l’équipe première de Martigues en fédérale 3, ne faisant que 83 kilos et étant un peu technique. Le coach m’a demandé de jouer derrière.
Deux ans plus tard, je suis redevenu 3e ligne. J’ai fini ma saison par une montée en fédérale 2, j’ai rejoint Châteaurenard, nous sommes montés en fédérale 1, la vraie ! Avec Nice, Bourg-en-Bresse, Narbonne et j’en passe. Puis Covid, mutation, je suis monté dans le nord à l’OMR, nous avons subi les créations de Nationale et Nationale 2. Là-haut j’ai participé à la montée de fédérale 1 à Nationale 2. Puis j’ai pu redescendre dans le sud pour mon boulot alors j’ai rejoint Berre et je vais entamer ma troisième saison.
Le Matin d’Algérie : Qu’est-ce qui t’a motivé à représenter l’Algérie sur la scène internationale ? Et que représente ce choix pour toi, personnellement et sportivement ?
Marvyn Youcef : La fierté de représenter la terre de mes origines. Puis de jouer pour une cause plus grande qu’un championnat ou des copains.
C’est une immense fierté et c’est le plus gros challenge de ma vie, je donnerai tout ce que j’ai, tout ce que je peux pour atteindre l’objectif de faire participer l’Algérie à une Coupe du monde de rugby.
Le Matin d’Algérie : Tu as été capitaine lors de la CAN 2024. Comment as-tu vécu ce rôle et cette responsabilité avec les « Zinzin » ?
Marvyn Youcef : Ça a été un grand honneur pour moi. J’ai pris ce rôle très à cœur et j’ai essayé d’amener mon sang-froid et ma lucidité au cœur de l’équipe.
Car nous le savons, les Algériens ont le sang chaud et il était nécessaire de canaliser toute cette énergie pour atteindre nos objectifs.
Ça n’a pas été simple mais j’ai fait ce que j’ai pu.
Le Matin d’Algérie : Quels sont, selon toi, les atouts et les défis actuels du rugby algérien ?
Marvyn Youcef : La fédération est en train de travailler pour promouvoir le rugby sur le sol algérien, c’est très bien !
Nous avons un énorme vivier de joueurs et pouvons compter sur l’investissement de chacun en tant qu’Algérien pour tout donner !
Notre plus grand défi est d’amener tout le peuple algérien dans notre quête de Coupe du monde. Faire découvrir le rugby au grand public et faire vibrer l’Algérie avec des résultats.
Le Matin d’Algérie : Y a-t-il un match en sélection qui t’a particulièrement marqué, par son intensité ou par l’émotion qu’il a suscité ?
Marvyn Youcef : Chaque match de rugby en Afrique est particulièrement intense. Les Africains sont rugueux et rapides, donc les impacts sont durs.
Mais effectivement, si je dois en retenir un, c’est la défaite contre le Kenya à Marseille. La déception et les rêves de Coupe du monde qui s’envolaient à la fin ont été vraiment glaçants.
La défaite a été dure, mais elle est aujourd’hui notre plus grande source de motivation !
Le Matin d’Algérie : Tu es né en France, tu as grandi et été formé dans le système français, mais tu portes le maillot algérien. Comment vis-tu cette double culture ?
Marvyn Youcef : Comme une immense fierté. J’apprends à chaque rassemblement un peu plus sur la culture algérienne.
Le Matin d’Algérie : Est-ce important pour toi d’inspirer des jeunes issus de la diaspora à s’engager dans le projet sportif algérien ?
Marvyn Youcef : Bien sûr, je reçois énormément de messages de jeunes joueurs algériens qui veulent porter le maillot et qui sont fiers d’être Algériens ! Leur rêve est de représenter la nation. C’est magnifique de susciter un tel engouement.
Le drapeau a une valeur fondamentale pour tout Algérien. Et si nous pouvons par nos résultats motiver les jeunes générations c’est super.
Ce sera bénéfique pour le développement du rugby et le niveau de l’équipe à long terme.
Le Matin d’Algérie : Quelle image aimerais-tu que les jeunes Algériens et Algériennes aient de vous, les internationaux qui défendez les couleurs du pays à l’étranger ?
Marvyn Youcef : Celle de guerriers qui font tout pour atteindre leurs objectifs, qui ne lâchent rien et qui n’ont peur de rien.
C’est ce qu’on essaie de faire depuis toujours je pense. C’est l’image qu’on veut véhiculer en tout cas.
Le Matin d’Algérie : Quels sont tes objectifs pour la saison prochaine, en club comme en sélection ? Vois-tu plus loin, vers la Pro D2 ou un autre projet ?
Marvyn Youcef:À titre personnel, mon plus grand rêve est celui de jouer une Coupe du monde avec l’Algérie.
Pour ce qui est de la carrière club, je pense que le train est passé, les clubs se servent dans le vivier de la formation et n’ont pas besoin d’aller chercher un gars d’en bas.
Je ne ferme la porte à rien mais reste lucide sur ce que devient le rugby d’aujourd’hui.
Par contre, je passe mon diplôme d’entraîneur dans le but de transmettre à long terme et accompagner au maximum les joueurs pour leur permettre à eux d’atteindre leur rêve.
Le Matin d’Algérie : Si tu devais envoyer un message à la fédération ou aux instances sportives en Algérie, quel serait-il pour aider le rugby à grandir ?
Marvyn Youcef : Donnez-nous les moyens de réussir, aidez-nous. Nous sommes sur un moment charnière où nous pouvons faire basculer le rugby algérien dans la cour des grands. Pour cela, nous avons besoin de moyens, et ces moyens seront rendus au centuple lors d’une éventuelle qualification !
Entretien réalisé par Djamal Guettala