« Cette terre est la mienne entre deux futaies fastes
Deux charniers, deux désirs, deux songes de béton,
Et le chant d’une flûte en mes veines surprend
Le mal de Boabdil sous les murs de grenade.
Mienne hors de la raison, mienne hors de vos saisons.
Vous pouvez mordre et mordre
Sur une science si tendre, une joie si têtue,
Le chaos n’aura pas de prise. »
Ordalie de novembre, Jean Sénac
Commencer un papier par présenter le plus grand poète algérien est déjà un affront que l’on fait à sa mémoire. Né à Béni Saf dans l’Oranie près d’un siècle après le début de la colonisation, Jean Sénac est issu d’un famille pauvre.
Poète de grande envergure, il a poussé les utopistes de ma génération à aller de l’avant en publiant une première anthologie restée célèbre et en projetant d’en publier une deuxième qu’il n’a pas eu le temps de mettre en place. Jean Sénac a porté toutes les casquettes possibles et imaginables : militant socialiste, fondateur de l’Union des écrivains algériens, catholique averti, homosexuel, partisan de l’indépendance de l’Algérie… à laquelle, des années après cette même indépendance, on lui a refusé jusqu’à la nationalité.
Il a fini par être assassiné le 30 août 1973 à Alger, cette ville qu’il chérissait tellement et qu’il ne voulait pas quitter. Il habitait une cave située rue Elysée Reclus, du nom de ce militant anarchiste dont Jean avait certainement hérité de certains traits. Jean Sénac a payé chèrement le fait qu’il était éloigné des thèses des colonels qui avaient pris le pouvoir en 1965 à la suite d’un coup d’État. Il a tout perdu : l’appartement décent qu’il occupait, son statut de responsable de l’Union des écrivains, son poste d’animateur d’émissions de radio dont la très suivie Poésie sur tous les fronts et jusqu’à sa vie. La tombe qui l’a reçu et qui se trouve dans le cimetière marin d’Aïn Benian a vu deux fois sa stèle vandalisée.
Jean Sénac a vécu dans deux pays dont il était follement amoureux : l’Algérie était son pays de cœur et de ses convictions, la France était son pays de langue. Pour l’Algérie, Jean Sénac n’a pas hésité à se brouiller définitivement avec son ami Albert Camus alors que tout les réunissait : tous les deux étaient nés en Algérie, tous les deux étaient animés par cet amour inconditionnel des Lettres, tous les deux étaient nés dans des familles misérables, tous les deux étaient nés sans avoir connu le père… Mais la guerre de libération les a séparés définitivement. Pendant que Camus publie son Appel à une trêve civile, Sénac compose un poème pour Camus où il lui dit : « Entre les hommes et vous le sang coule / et vous ne voyez pas ».
À Stockholm, répondant à un journaliste qui lui posait des questions sur les attentats d’Alger, Camus lui a répondu « Je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice ». Sénac l’a paraphrasé en lui adressant la réponse suivante : « Camus a été mon père. Ayant à choisir entre mon père et la justice, j’ai choisi la justice ». Tout ceci pour dire combien Jean Sénac, entier, s’est donné complètement à ce pays qu’il s’est choisi.
Cinquante ans après son assassinat, il était grand temps de remettre Jean Sénac au cœur de l’actualité algérienne et littéraire en lui rendant tous les hommages qu’il méritait. Hamid Nacer-Khodja, en grand passionné de la poésie de Jean Sénac a publié un certain nombre de livres sur lui. Guy Dugas, autre passionné de l’œuvre de Sénac, vient de publier Jean Sénac, Un cri que le soleil dévore,1942-1973. Il était également temps d’initier des réunions et des soirées autour de cette œuvre iconoclaste si mal connue. Ça devait commencer par des manifestations à Alger, ville chérie par Sénac, dans le cadre du Salon International du Livre. Et dès le début, patatras !
Ayant déposé une demande de visa pour un déplacement à Alger du 1er au 5 novembre pour animer ces rencontres et présenter l’édition algérienne du journal du poète publié par les Editions El Kalima, Guy Dugas a été averti par un coup de fil inélégant du Consulat d’Algérie à Montpellier de l’impossibilité pour lui de se transporter à Alger. Et cela, la veille justement du déplacement prévu. Non content d’avoir refusé le visa à Guy Dugas, les autorités algériennes ont empêché que se tienne la manifestation autour de Jean Sénac malgré la présence du public.
Assassiné il y a cinquante ans, Jean Sénac, qui dort dans la terre algérienne sous un soleil fraternel, n’a pas fini de déranger les tenants du pouvoir. Il aura, de ce point de vue, tenu à sa promesse d’éternel troubadour qui ne cessera jamais de se poser ces questions auxquelles aucune réponse ne lui sera donnée : « Si l’espoir pour vous / n’est pas aussi dru que le soleil / pourquoi sommes-nous venus, mes frères ? / pourquoi nos chants contre la nuit ? / pourquoi cette secrète confiance qui certifie au plus abrupt / que nos rêves n’étaient pas un songe ? »
Kamel Bencheikh, écrivain
Bel Hommage. et, rappel des balaffres que subit ce pays de la part d’incultes sans personnalite’, nif ou dignite’… encore moins identite’ sinon celle qu’auront abandonne’s les tyrans de ce monde. Ils leur faut bien quelque chose comme torchon a secouer pour se faire voir, car sinon ils sont innexistants, ils sont neants. Ils est temps de les effacer ! les abrutis.