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Mémoire d’un Oranais (18) : Tu es arabe, musulman, épicitou !

Saida

Après neuf mois d’attente de ce qu’on avait dit être mon pays alors que je n’avais rien demandé à personne, voilà que l’heure arrive et que la lumière jaillit.

À Saida, à trois heures de l’après-midi d’un mois de septembre, sous un soleil écrasant. C’est dire si tout allait bien en ce début, un accueil des plus « chaleureux ».

Mas rapidement je me suis aperçu que ce soleil était étouffant en tous aspects. La seule bêtise qu’avait dite Camus était qu’il n’y pouvait y avoir de misère dans un pays de soleil.

Lui, le grand intellectuel, n’avait pas vu que la misère pouvait être celle de l’esprit.

Puis à peine arrivé j’ai eu droit au défilé des regards qui se sont abattus sur mon berceau et des doigts pointés sur moi avec la sentence qui ne pouvais être discutée « Tu t’appelles Boumédiene, tu es arabe, musulman, épicitou ! ».

Ce « épicitou ! » que j’entendrai si souvent de cette société qui voulait me convaincre que cela n’était pas négociable au nom de la naissance, des ancêtres, des traditions et de la barbe de l’imam.

Je leur ai immédiatement dit « vous vous trompez, pour le simple d’esprit, c’est le berceau d’à côté ».

Le souci est qu’il n’y avait pas d’autres berceaux, j’étais né à la maison, sous une fenêtre. Probablement ce qui m’a toujours incité à sortir par cette fenêtre et respirer l’air de la liberté.

Et la blague, celle qu’on m’annoncera plus tard était que j’étais né dans la rue Jeanne d’Arc. Je me suis dit que c’est ce qui expliquerait peut-être toutes ces voix que j’entendais. Et je me suis dit aussi que la fin sera certainement le fait de ce soleil qui me dira au-revoir de ses lumières sur le bûcher.

Sauf que pour moi, le bûcher a démarré dès ma naissance et semble ne jamais s’épuiser du feu de ce compagnon qu’on dit être éclairant. Je n’ai jamais pu comprendre ce qu’il éclairait.

Plus tard on me dira dans la constitution « tu es arabe, musulman et épicitou ! ». Décidément, je suis tombé sur des têtus.

Ces fous furieux me couperont le zizi et me diront de faire le jeune pendant un mois. Et ce n’est pas fini, ils me diront à un âge plus avancé d’écrire de gauche à droite dans la langue de mes ancêtres, disaient-ils, et que les voyelles ne s’écrivaient pas, elles se devinaient.

Ah bon, ceux qui m’ont hurlé aux oreilles sur le berceau, c’était une famille d’adoption ? J’avais d’autres ancêtres qui voulaient récupérer leur fiston ?

Ils se sont manifestés bien tard ! Jamais eu confiance en eux et envers cette langue qu’ils me disaient eux aussi être celle de mes racines.

Et ce cirque a continué. Toute ma vie j’ai essayé de leur dire qu’ils ne se fatiguent pas à m’apprendre qui j’étais, je le savais. Et ce que j’étais n’était absolument pas la traduction de ce qu’ils voulaient que je sois.

D’ailleurs j’avais bien vu qu’ils ne savaient pas eux-mêmes qui ils étaient. Chacun parlait à l’autre avec une langue différente. Ce qu’il y avait d’étrange est qu’ils intervertissaient les langues, de l’un à l’autre.

Par bonheur je suis tombé sur des parents qui ont laissé cours à mon libre arbitre. Le souci dans ce pays est que l’éducation semblait être le droit d’une société, pas des individus quels que soient leur niveau d’instruction et la liberté de leur pensée.

Mémoire d’un Oranais (17) : Les époques changent, les mentalités avec

Comment voulez-vous que dans une pareille adversité l’être humain ne puisse puiser au fond de lui l’énergie de tenir ?

Cette énergie, le soleil me l’avait donnée car malgré cela mon enfance a été merveilleuse dans une ville où j’ai eu affection et été gâté de tout, de l’essentiel et du superflu.

Les parents comme l’école m’ont permis de développer un clapet dans le cerveau. Dès que ces abrutis essayaient de me raconter des salades pour m’abrutir et me dominer, ce clapet se fermait aussitôt.

J’ai été heureux, dans ce pays de fous furieux. Peut-être en suis-je un, voilà la raison qui expliquerait mon adaptation.

Alors au « Tu es arabe, musulman épicitou ! », je devais avec force et conviction leur dire « Je suis moi ! ».

Sid Lakhdar Boumediene

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