Le 30 août 2021, Messaoud Nedjahi s’éteignait à Paris, touché par la Covid-19. Né le 24 janvier 1954 à Thimsunin (M’Chounèche), dans la wilaya de Biskra, il laisse derrière lui un héritage artistique et culturel immense, qui continue de résonner dans les montagnes chaouies et au-delà.
Écrivain, poète, romancier, auteur-compositeur-interprète, psychologue et plasticien, il fut avant tout un artisan de la mémoire et de la culture, un militant infatigable et un mentor pour les générations qui ont suivi.
Des Aurès à Batna : une jeunesse marquée par l’histoire
Messaoud grandit à Batna, où sa famille se réfugie après l’expulsion de son village natal et les violences de la guerre d’indépendance. Très tôt, il compose des vers en chaoui et se passionne pour la musique et le théâtre. Ces premières expériences façonnent l’homme et l’artiste : de la douleur naît la création, et de l’injustice, un engagement durable pour la culture et l’identité chaouie.
Entre 1970 et 1974, il fonde les groupes de chant et de théâtre Abliwen et Achun, en langue chaoui dès le début des années 1970. Sa pièce Jugurta est interdite, mais elle témoigne de sa volonté de donner vie à une culture souvent réprimée. Parallèlement, il traduit des poèmes en chaoui, affirmant dès ses premières années l’importance de la langue et de l’oralité dans la mémoire collective aurésienne.
Psychologie, poésie et musique : l’artiste aux multiples talents
En 1972, il entreprend des études de psychologie à l’Université de Constantine, tout en s’imprégnant du milieu artistique et en poursuivant sa passion pour la poésie et la musique. En 1979, il rencontre sa femme, la chanteuse Dihya, pour laquelle il compose plusieurs titres emblématiques de la chanson chaouie, tels que Akkerd akkerd a yelli, Yougherthen, Asghar ou Aela d’amezyan. Ensemble, ils donnent vie à une nouvelle chanson chaouie, enracinée dans la culture et l’histoire des Aurès, mais portée par un souffle de modernité et d’espoir.
Dans les années 1980, il participe activement aux événements du Printemps berbère à Alger et à Tizi Ouzou. Menacé pour ses engagements culturels et politiques, il est contraint de s’exiler en France, où il devient une figure emblématique de la scène amazighe à Paris. Parallèlement à sa carrière musicale, il publie plusieurs ouvrages littéraires et écrit des pièces de théâtre, continuant d’affirmer son identité et celle de son peuple.
Une œuvre littéraire au service des Aurès et de l’identité chaouie
Messaoud Nedjahi est l’auteur de nombreux livres marquants : Ug Zelmad l’insoumis, Les anges naissent en Aurès, Autopsie d’une identité, Jugurtha, l’héritier du coquelicot, et bien d’autres. Parmi eux, Autopsie d’une identité se distingue particulièrement. Entre coup de cœur et cri du cœur, entre les larmes et les armes, entre l’espoir et l’espérance, entre la dénonciation et la renonciation, il y livre un portrait
fidèle et sensible de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui. Recueillant des témoignages et les sublimant par sa plume, il nous offre un pays en pleine mutation, un peuple bouleversé et bouleversant, vu à travers le regard de ses femmes. Celles-ci, fragiles ou fortes, belles ou indomptées, souffrent, mais leur sourire illumine toujours le visage. Le fantastique et la poésie s’invitent dans le quotidien d’Algériens anonymes pour mettre en avant leurs destins, leurs privations et leurs déceptions. C’est l’image d’un peuple qui apprend à se connaître, blessé mais qui s’endurcit, abattu mais jamais défait. Une belle leçon de vie, de courage et d’espoir écrite avec une sensibilité indéniable.

Le coquelicot : symbole et héritage
Son engagement culturel s’exprime aussi dans la production plastique et dans ses initiatives intellectuelles. Il est à l’origine de la graphie Tifinagh et fonde les éditions du Coquelicot, à but non lucratif, tout en présidant le groupe de recherche Tarwa n Tanit.
Ses conférences abordent l’histoire, les sciences, les mythes, la géométrie, l’astronomie, l’identité et la civilisation amazighe, rappelant que l’art et la connaissance sont indissociables de la liberté et de la mémoire. Le coquelicot, qu’il choisit comme symbole pour sa fille et pour sa vie, demeure l’emblème d’une mémoire vivante, indomptable et lumineuse.
Un héritage vivant
Messaoud Nedjahi fut un mentor pour de nombreux jeunes artistes, poètes et militants. Il transforma sa vie en un acte de résistance culturelle, faisant de chaque chanson, de chaque livre et de chaque conférence un témoignage de fidélité aux Aurès et à la langue chaouie. Après sa disparition, il a été inhumé au cimetière de Tkout, laissant une empreinte indélébile dans la mémoire de son peuple.
Aujourd’hui, ses chants continuent de résonner, ses mots d’enflammer les cœurs, et ses œuvres rappellent que les Aurès vivent tant qu’il y a des voix pour les raconter. Messaoud Nedjahi n’était pas seulement un artiste ou un écrivain : il était une voix, un feu, un souffle. Son héritage culturel et spirituel demeure un phare pour tous ceux qui refusent l’oubli et choisissent la création comme acte de liberté et de résistance.
Djamal Guettala
Reprise de la Chanson Tistuti de Messaoud Nedjahi par Lycia Nabeth