Rien n’est noirci par hasard sur les pages du dernier recueil de poèmes de Mohand Said Bensekhria. L’auteur nous fait vibrer dès les premiers vers lancés à la face de ses lecteurs dans l’incipit.
Espoir manié avec doigté et délicatesse au gré des vagues de mots, charriés par le flot voluptueux des sons et des voix. Regards à la fois doux et croisés entre divers horizons qui ont pour point de convergence beaucoup de vides, de silences bavards!
Ces silences qui se parlent comme autant d’astres dans les immensités galactiques de l’univers des mots. « Dans un petit poème, déclame l’auteur, il y a des mots éternels, il y a de l’absurde il y a du génie et aussi de l’amour ».
L’amour chez Bensekhria se vit et doit se vivre dans la communion, le partage et la fraternité. Il est la plus grande maladie généreuse dont on ne guérit plus jamais. L’amour est cette bouteille d’espoir qu’on jette dans une rivière et que les eaux charrient tout au long des oueds comme une perle précieuse perdue dans un amas d’alluvions.
Le poète magnifie dans son délire onirique la beauté de ses racines, la beauté de sa terre et de ses paysages. « Montagne majestueuse aux sommets sentinelles/Effleure les cieux d’un baiser amoureux/ A son soc s’écrit l’histoire à l’éternel ».
En toile de fond, la Kabylie chante a capella son hymne de la joie, à travers ses magnifiques paysages, le ruissellement heureux de ses fleuves, l’étincelante beauté de ses neiges, ses printemps qui n’en finissent pas de refleurir, ses femmes et ses hommes au courage légendaire, etc.
Et puis, il y a cette douleur, ce point noir qui décante du verre de la joie : ces regrets qu’on ne peut enterrer, ces déceptions qui remontent à la surface chaque fois qu’on pense au passé, l’odeur entêtante de la terre de ses origines noyée dans des nostalgies éthérées, cette torture de la compassion avec les éprouvés de la grande douleur de l’humain, de l’universel.
« Je cherche, disait un jour l’écrivain français André Malraux, la région cruciale de l’âme où le mal absolu s’oppose à la fraternité. » Cette citation, Bensekhria l’a fait sienne et semble même en forcer la note par endroits.
Ainsi a-t-il fait un clin d’oeil ici à la douleur des siens pendant la décennie noire qu’il compare à celle de Sabra et Chatila au Liban. »La Madone de Bentelha, écrit-il, un jour peut-être nous dira/ Ces instants des ténèbres aux relents de l’Enfer/ Lugubres desseins rappelant Sabra et Shatila ». Le parallèle est ainsi dressé entre toutes ces douleurs humaines qui habitent l’inconscient collectif.
« La poésie seule peut exprimer l’impossible » dixit le poète-journaliste du village de Biziou, en Kabylie (Béjaia) dans son avant-propos. Comme dans « Paradis des âmes perdues » (Edilivre 2016), « Au clair de la lune » (son recueil de poèmes publié chez L’Harmattan en 2019) et « Murmures d’automne » (Imtidad 2023), la langue du texte « Meurtrissures du silence » est suavement tissée, avec un verbe tantôt doux, tantôt tranchant. Elle nous invite à replonger dans tout ce qui fait l’humain, avec toute sa complexité, toutes ses souffrances, toutes ses peines, tous ses silences.
Ces silences que l’on trouve dans le recueil, bien mis en évidence.
Silences de nuits éclairées par l’étoile de la solitude. Silences des jours où l’on se retrouve, malgré la cohue du commun des mortels, replié sur soi-même, à la lisière d’un monde que l’on ne reconnaît plus.
Silences éloquents qui montrent que, par-delà tous les obstacles et toutes les distances, l’écho du cri de nos âmes parvient partout au monde des grands vivants : ceux qui savent ce que signifie le mot « humanité ». « Lorsque le silence se fait vide/Et que les maux se rient des rides/ Les mots se lassent et se taisent/ Quant aux peines, elles sont impavides ». Bref,
« Meutrissures du silence » est un texte truculent, plein de douceur et touchant à l’humain dans ce qu’il a du plus valeureux, du plus essentiel : le coeur. Un vrai bijou poétique à découvrir !
Kamal Guerroua
Mohand Said Bensekhria, Meurtrissures du silence, préface de Djawad Rostom Touati, Talsa éditions, Tizi Ouzou, 2024, prix public : 600 D.