Dans un communiqué, le Cercle d’action et de réflexion pour de l’entreprise porte son analyse sur la dernière décision du chef de l’Etat d’autoriser l’importation avec les cabas.
- Présentation du décret sur la micro-importation
Un nouveau cadre légal vient encadrer une activité jusqu’ici largement informelle : la micro-importation. Le décret exécutif n° 25-170, publié le 29 juin 2025 au Journal Officiel, fixe les règles du jeu pour les Algériens souhaitant importer eux-mêmes des biens depuis l’étranger pour les revendre en l’état.
- Qui peut faire de la micro-importation ?
Cette activité est réservée aux auto-entrepreneurs. Pour y accéder, il faut :
- Être algérien, résider en Algérie, et avoir l’âge légal pour travailler
- Ne pas avoir d’autre emploi ou activité professionnelle
- Être affilié à la CASNOS (Caisse des non-salariés)
- Avoir un compte devises à la Banque extérieure d’Algérie (BEA)
- Disposer d’une carte d’auto-entrepreneur portant la mention « micro-importation »
- Obtenir une autorisation générale délivrée par le ministère du Commerce extérieur.
- Quelles sont les limites ?
Le micro-importateur peut :
- Réaliser deux déplacements par mois maximum, à l’étranger
- Importer à chaque fois pour 1,8 million de dinars de marchandises maximum (hors allocation touristique)
- Revendre les produits en l’état sur le marché national
Mais il doit financer ses achats avec ses propres devises, déclarer les marchandises à l’avance via une plateforme numérique, et étiqueter correctement les produits (nom, origine, quantité…).
- Produits exclus du dispositif :
- Médicaments, produits sensibles ou dangereux
- Produits nécessitant des autorisations spéciales
- Tout ce qui porte atteinte à la sécurité ou à l’ordre public.
- Quels avantages ?
Le micro-importateur bénéficie :
- D’une comptabilité simplifiée
- D’une dispense de registre de commerce
- D’une dispense d’autorisations d’importation
- D’un droit de douane réduit à 5 %.
- En résumé. L’État ouvre une voie légale à l’importation individuelle, en l’encadrant strictement. Une opportunité pour créer de la micro-activité tout en respectant des règles du jeu claires et simples.
- Les Commentaires et Interrogations de CARE sur ce nouveau dispositif
- Reconnaissance bienvenue d’une activité utile
Le principal mérite de ce décret est de reconnaître officiellement une pratique déjà répandue dans la société depuis de longues années : l’importation à petite échelle par des particuliers. Le cadre instauré permet désormais de formaliser cette activité dans un environnement légal sécurisé, tout en favorisant l’emploi autonome et la satisfaction du marché.
- Pourquoi imposer le déplacement physique à l’étranger ?
Le montant maximal de chiffre d’affaires autorisé mensuellement est de l’ordre de 3,6 Millions de DA, soit pour l’ensemble d’un exercice annuel, quelques 43,2 Millions de DA. Ce montant parait tout à fait raisonnable et suffisant pour rendre l’activité en question économiquement viable.
Il est toutefois difficile de comprendre les motivations derrière cette obligation de 24 déplacements à l’étranger pour importer un bien quelconque. Le coût de 24 déplacements à l’étranger est en soi exorbitant, il est tout à fait inutile et représente un handicap majeur pour l’exercice d’une activité quelconque, Il est vrai que l’idée première était celle de normaliser une activité à la limite de la légalité et qui était exercée principalement en marge de déplacements à l’étranger : mais dans la mesure où l’Etat s’engage dans un processus de régularisation organisée et transparente, il n’y a plus lieu de paramétrer cette même activité à l’aune de la seule frange de population qui l’exerçait jusque-là.
La loi étant par principe générale et impersonnelle, pourquoi ne pas simplement autoriser comme pour toute marchandise importée, la commande à distance, plus efficace et plus inclusive ? Les portes seraient grandes ouvertes à tous les citoyens intéressés sans discrimination d’accès et sans que ces derniers soient à la merci des restrictions de visas que de nombreux pays leur imposent.
- L’accès aux devises : une contradiction majeure
Le décret impose de financer les achats en devises propres, sans accès au marché officiel. Cela poussera les micro-importateurs vers le marché noir. Pourquoi ne pas autoriser un quota de change officiel et contrôlé, dès lors qu’il s’agit d’une activité qui est reconnue par la loi et dont les conditions de fonctionnement sont strictement encadrées par un texte réglementaire ?
L’effort d’adaptation qui est la substance même de cette nouvelle réglementation risque d’être totalement érodé aux yeux de la population algérienne par une situation de fait qui voudrait que l’Etat lui-même invite les auto-entrepreneurs à s’adresser à un marché noir des devises qu’il s’efforce par ailleurs de contenir et de réprimer.
- Et quid des autres PME et TPE locales légalement installées ?
Le décret exclut les entreprises formelles qui pourraient utiliser ce même canal pour importer des intrants essentiels à leur activité. Nul n’ignore qu’un grand nombre d’entre elles peinent à s’approvisionner à l’étranger pour l’accès à des matières premières essentielles pour leur fonctionnement au quotidien. Pourquoi ne pas leur permettre de créer en leur sein un département de micro-importation qui leur permette de bénéficier elles aussi des avantages de ce nouveau cadre réglementaire ?
Certaines d’entre elles sont quelquefois contraintes de suspendre tout un processus de production parce qu’il leur manque une pièce de rechange, un petit équipement quelconque, un matériau indispensable, un réactif chimique ou tout autre intrant spécifique, etc. Très souvent, les coûts de tels achats sont totalement insignifiants au regard des retards encourus et des surcoûts générés pour un nombre incalculable d’activités de production essentielles.
Et en tout état de cause, s’il n’y a rien à redire concernant l’objectif légitime de simplifier l’approvisionnement de quelques « supérettes » en produits d’appel importés pour leur clientèle, il est difficile d’expliquer en quoi celui-ci est plus important que l’approvisionnement de centaines de milliers de PME et TPE productrices de biens et de services essentiels pour le bon fonctionnement de l’économie nationale dans son ensemble.
- Fiscalité : un régime intéressant, mais pourquoi aussi exclusif ?
Le régime fiscal avantageux (droit de douane réduit, simplifications administratives ; imposition favorable à 0,5% du chiffre d’affaires annuel) est tout à fait pertinent. Mais alors, pourquoi ne pourrait-on pas l’élargir à d’autres structures économiques utiles au pays : coopératives, jeunes entreprises, producteurs ? Pourquoi ne pas l’élargir également à toutes les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 43,2 MDA ?
- Le chiffre d’affaires annuel plafonné légalement à 5 MDA pour les auto-entrepreneurs
Il s’agit là d’un problème formel touchant au plafonnement légal (loi des finances pour 2023) du chiffre d’affaires des auto-entrepreneurs à un montant de 5 MDA. Ce seuil légal est pourtant largement dépassé pour le cas des micro-importateurs, avec un montant maximal affiché dans le décret à 43,2 MDA. Aussi, sur un strict plan légal et par souci du respect de la hiérarchie des normes juridiques (un décret ne peut pas changer une disposition légale), cette disposition du décret n’est pas acceptable, elle requiert au préalable un changement de la disposition pertinente de la loi des finances (article 51 de la LF 2023).
- Quel est la finalité précise de cette « autorisation générale » à délivrer par l’administration du commerce extérieur ?
Dans la mesure où le texte de ce décret sur la micro-importation affiche de manière claire, transparente et non ambigüe les règles et le cadre d’organisation de cette activité et qu’il pose à la base le principe de l’autorisation de son exercice par des auto-entrepreneurs parfaitement déclarés et identifiés, pourquoi serait-il nécessaire que l’administration du commerce extérieur doive elle-même la réautoriser de son côté ?
De même, comme la liste des marchandises interdites ou non concernées par l’activité de micro-importation est clairement affichée, pourquoi les auto-entrepreneurs doivent-ils déclarer à l’avance les marchandises à importer sur une plate-forme numérique dédiée ? N’y a-t-il un risque réel de voir l’administration interférer indûment dans la gestion des auto-entrepreneurs concernés ?
S’il existe un motif quelconque qui justifie ce contrôle préalable dévolu à l’administration du commerce extérieur (ou à toute autre administration) il serait nécessaire de le préciser d’une manière ou d’une autre. S’il ne s’agit que de suivi et de contrôle à postériori, la base de données publiques des douanes algériennes est largement suffisante.
- Eléments de conclusion
Ce décret constitue, dans son esprit et si l’on s’en tient aux orientations initiales du Président de la République, une avancée incontestable et un pas dans la bonne direction. Mais, à l’évidence, il a besoin de faire l’objet d’une maturation un peu plus poussée.
Par-dessus tout, il a besoin de s’inscrire dans le cadre d’une vision d’avenir et non d’être enfermé dans une niche étroite qui reproduit à l’infini les errances d’une bureaucratie administrative de plus en plus épuisante, que les pouvoirs publics s’acharnent par ailleurs à combattre.
Fondamentalement, il n’est pas acceptable que, dans l’Algérie de 2025, ce soient toujours les clients algériens, pourtant tout à fait solvables, qui s’acharnent à courir derrière leurs fournisseurs, là où dans le monde entier, ce sont ces derniers qui viennent proposer sur place leurs produits et leurs services.
Pourquoi ces mêmes clients algériens devraient-ils continuer d’aller changer leurs dinars durement gagnés, comme des voleurs, au détour de ruelles sombres et non dans aux guichets de banques officiellement établies ?
A l’ère de la finance mondiale totalement digitalisée, la seule permanence du marché du Square Port-Saïd, illégal mais toléré par la force des choses, est un chancre humiliant qui illustre à lui seul l’étendue des retards de notre système financier et monétaire.
Il est temps, plus que jamais, de tourner la page et, une fois pour toutes, de le faire rentrer dans la modernité.
A lire sur www.care.dz
- “Au-delà du cabas : pour une refondation lucide de notre économie”, Note de CARE du 23 mai 2025. https://care.dz/fr/espace-presse/au-dela-du-cabas-pour-une-refondation-lucide-de-notre-economie-art715