Pour les autorités algériennes, il y a plus subversif qu’une opinion politique, c’est le courage. Rien ne les fait autant peur. Mira Moknache est pour eux une grande subversive, elle est arrêtée et mise en garde à vue pour délit de courage.
À notre arrivée en Algérie et notre naïve croyance d’élargir la brèche ouverte par les manifestations populaires, beaucoup de juges et de policiers nous avaient parlé.
Ils auraient été muselés et dans l’obligation de suivre les instructions du régime politique. Ils nous avaient affirmé que ce n’était pas leur opinion profonde et qu’ils regrettaient leurs actions. Il fallait nourrir la famille, impossible de se mettre en danger en prenant une liberté de juger et agir policièrement dans le cadre d’un droit républicain et démocratique.
Nous n’étions pas dupes d’une manière générale mais il était impossible dans un massif projet de démocratie de mettre la population dans un état de honte et de repentance. Il fallait aller de l’avant et profiter de l’expérience de chacun.
Car au-delà de la lâcheté de leurs actes, ils avaient tout de même une certaine compétence que nous trouvions indispensable si elle était mise au service du droit et de la légitime force de sécurité et judiciaire.
Dès le retour de la répression tous azimuts, ces individus sont retournés à leur besogne indigne. Chassez le naturel, il reviendra au galop, dit l’expression populaire. Et nous avions constaté qu’ils pouvaient retourner leur veste aussi rapidement qu’ils l’avaient retourné auparavant.
Leur ADN n’est pas tant la jouissance de faire du mal, quoique pour beaucoup trop il est certain que ce soit le cas, mais de préserver leurs intérêts personnels. La démocratie ne peut leur garantir le niveau de privilèges qu’ils ont en suivant les ordres. Ou du moins, faudrait-il qu’elle les persuade de sa prise certaine de pouvoir. Ils n’ont jamais pris le moindre risque. Ces gens n’ont d’intérêt qu’avec le pouvoir en tant que contrôle de la stabilité, garante de leur corruption, que pour ses vertus
Les dictateurs ont l’habitude de réprimer le clandestin et l’occulte et même l’inventer pour susciter la crainte de la population et les amener à son adhésion par la certitude de leur protection.
Ils ont l’habitude du regard de terreur, du repli frileux, de la flagornerie et de la compromission. Ce qui leur fait le plus peur est le regard en face, celui du courage. Ils sont alors obligés de sortir la grosse artillerie dont la police et les juges sont les vecteurs.
Mira Moknache est de ceux qui les perturbent et les fait sortir de leur certitude de maîtriser et accroître la crainte citoyenne.
Je fais toujours référence à ce que nous disent les spécialistes scientifiques des animaux sauvages. Ne jamais montrer sa crainte et fuir devant un groupe de lions. Ils y voient la réaction habituelle des proies.
Avancer vers eux, le regard et le pas, assurés les fait souvent fuir, en tout cas reculer un instant car ils n’ont pas l’habitude de voir ce comportement, ils n’ont pas de prédateurs naturels.
Mira est de ces courageuses. et courageux. Elle affronte une meute de loup, droit dans les yeux, sans crainte ni fuite. Ils se sentent menacés par ce comportement. J’ai assez écrit dans la presse combien une opération comme le Hirak n’avait au contraire aucune chance de les déstabiliser car nous étions beaucoup proche d’un spectacle bruyant que d’une menace réelle.
Le délit de courage, voilà l’ennemi des dictateurs. Mira est dans cette veine des grands militants de la liberté.
Boumédiene Sid Lakhdar, enseignant retraité