1 juillet 2024
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« Misère de la littérature » de Djawad Rostom Touati

En apparence, Misère de la littérature, c’est un essai romancé où l’auteur Djawad Rostom Touati donne libre cours à son « refoulé intérieur ». Au fond, c’est un « roman pédagogique » qui nous réconcilie avec l’idée de l’engagement et du sens de l’existence même. 

C’est pratiquement, le troisième roman de Djawad Rostom Touati. Il clôt une trilogie philosophico-prospectrice, si l’on ose le mot ici. Après Empereur nommé désir (Anep en 2016), une sorte de contre-roman, ou si l’on veut une pièce de théâtre de vaudeville, où Nadir le personnage principal, hédoniste avéré dont le seul avantage tiré de l’existence (selon lui), ce sont les femmes (la seule jouissance terrestre qui le retenait au monde face au reste, tout le reste contingent), nous plonge dans son délire de Don Juan, séducteur des belles dames et amoureux je m’en-foutiste.

Aux quelques scènes d’amour chaudes s’agrègent comme dans une mélodie harmonieuse des poèmes et des énoncés philosophiques, aux contenus explicatifs. La civilisation de l’ersatz (Apic, 2019), un roman où il est notamment question de raconter le monde moderne de l’intérieur, mais aussi, on le ressent bien, cette Algérie d’aujourd’hui déréglée, avec tous ses méfaits et ses ratages ; ses résignations et ses fatalismes ; ses dominants et ses dominés ; ses menteurs et ses marchands de rêves.

Entre Malika, la petite bourgeoise « révolutionnaire »,  Farid, le «violeur» dans le harem  à la recherche effrénée du repentir, Adib, l’essayiste volontaire mais sans véritable génie qui, voulant vainement mobiliser la jeunesse, se retrouve à quitter le navire de l’engagement pour s’essayer à l’écriture d’un roman toujours en chantier, Rami, le commercial qui connaît tout autour des sous ainsi que de l’univers des affaires, sauf paraît-il le sexe des femmes  et Nadir, le Boris Vian de son temps qui refusait tout embrigadement, c’est toute une histoire d’un monde sans boussole, anarchique, à l’envers qui refuse de se mettre à l’endroit. 

 Misère de la littérature (Apic 2023)  vient, donc, terminer  la trilogie programmée : « Le culte du ça ». On y retrouve, cette fois-ci, Nadir le poète dilettante, lequel pour extirper les origines  du mythe néocolonial, s’engage aux côtés de Lina, une jeune universitaire et romancière, à manier la rime envers et contre tous les idéologues du défaitisme et du dénigrement.

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C’est un roman d’espoir sur fond du pessimisme ambiant. Le décor donquichottesque est déjà installé dès le départ. Nadir, tel Omar Gatlatou de Merzak Allouache, se cherche dans un monde fou et de fous qui lui tourne le dos et il est prêt comme Don Quichotte de Miguel de Cervantès à défier les rotations des moulins à vent pour épater sa Dulcinée.

Les deux protagonistes principaux, Nadir et Lina -autour desquels gravitent bien entendu tas d’autres personnages secondaires- sont en quête des sentiers lumineux qui les mènent vers la vérité et le bonheur. Vague idéal d’artistes dans un monde en plein naufrage ou simple idée-fixe de révolutionnaires dans l’âme en rupture de ban avec l’immobilisme-défaitisme existentiel.

Avec un français doux, allusif et chantant, Djawad Rostom Touati a tressé son récit de façon tentaculaire, en le remplissant de références aux auteurs, philosophes et penseurs contemporains tels que Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Mammeri, etc. On y apprend beaucoup, tout en se délectant d’une très belle langue aux sonorités « voltairiennes ». Comme on sent également la forte érudition du romancier qui avait réussi la gageure de nous émerveiller par le beau phrasé et aussi par une imprégnation dans l’univers de la littérature.

De même y a-t-il comme un procès critique du rapport des écrivains algériens avec la langue de Molière. Djawad interroge le rôle de l’élite dans la société et fustige au passage cette littérature commerciale-marchande, sans aucune plus-value morale, qui ne fait que courir derrière le prestige et l’argent. Cette littérature « mercenaire » qui tue l’art et le rend servile aux intérêts mercantilistes.

Après tout, le succès commercial d’un livre signifie-t-il son succès moral, social, civilisationnel? Peut-on parler encore, de nos jours, d’auteurs engagés pour qui les « blessures du monde » ne sont pas choses légères? Telles semblent être les questions tacites de Misère de la littérature auxquelles Djawad Rostom Touati apporte des réponses pour le moins incisives.

Pour ce dernier, « c’est la lutte pour la vérité qui donne du talent »  (p.108), la lutte bien sûr contre « l’aboyeur enragé » (p.161), comprendre par là ce « capitaliste » fasciné par la « culture du spectacle » pour emprunter le mot de Guy Debord.  Et plus loin, il assène une autre amère vérité: « si le rêve n’est pas le frère de l’action, il devient le père de la schizophrénie » (p.124).

L’auteur-journaliste ne fait plus dans la dentelle, en pointant du doigt certains écrivains qui se complaisent à produire des livres selon une recette prêt-à-porter : la soif du succès commercial.

Ici, il a dressé un portrait sans concession d’un écrivain, un des « nôtres » sans doute, « aigri de n’être pas reconnu en son pays (…), « génie incompris », non reconnu comme « le premier écrivain de son temps ». Dans ce roman pamphlétaire, poétique et en prose, il y a comme une colère intérieure, un cri de cœur pour un monde meilleur, un appel à la justice surfant sur une voltige de mots, une acrobatie, sinon une gymnastique stylistique qui s’étire, ou plutôt tire dans tous les sens.

Un véritable tissage « optimiste » de phrases qui fait noyer le lecteur dans la magie de littérature. Tout juste le contraire du titre du roman et aussi, on le devine bien, de l’essai, pareillement intitulé, du père du pessimisme Arthur Schopenhauer »! 

Kamal Guerroua.

 Djawad Rostom Touati,  Misère de la littérature,  Roman, Apic Editions, Alger, 2023, 208 pages, prix public : 8.00 dinars. 

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