Mardi 5 janvier 2021
Mohamed Allaoua ou la Kabylie dans l’âme
Voix enchanteresse, défenseur de la culture et de l’identité kabyle, Mohamed Allaoua chante pour la jeunesse algérienne et pour les exilés. Sa poésie évoque l’amour, mais aussi les problèmes sociaux et la culture tamazight. Son nouvel album Mi Amor est maintenant disponible sur toutes les plateformes de téléchargement.
Chanter en kabyle. Mohamed Allaoua, 40 ans, n’a jamais songé à faire autre chose de sa vie pour exprimer ses tourments, faire part des désillusions de la jeunesse algérienne ou relever les inextricables problèmes socioéconomiques et politiques qui agitent l’Algérie.
Ce rêve de chanteur, il le porte au plus profond de lui depuis sa plus tendre enfance, passée dans le quartier Ruisseau, à Alger. Il a dix ans quand il fréquente l’école El-Maoussilia où il étudie la musique andalouse, base du chaâbi, genre musical populaire algérien.
Premier album à 16 ans
Durant l’adolescence, il se dirige vers le classique, avec la guitare comme principal instrument. Pourtant, le cadet ne fait pas partie d’une famille de mélomanes. « Je suis né avec la musique dans la peau. On écoutait beaucoup de chansons kabyles à la maison, je chantais tout le temps », se souvient-il, café à la main, cigarette au bec, sourire en coin.
À 16 ans, encore étudiant, Mohamed Allaoua sort un premier album. Fiasco total. Peu importe, il récidive quand même, alors que certains veulent le dissuader de chanter en kabyle. Même sa mère lui met des bâtons dans les roues, arguant que « ce n’est pas un métier ». Lui insiste, comme un coureur de fond lâché par le peloton de tête.
« Pourquoi tu ne fais pas du raï ? » lui demande alors son entourage. Par conviction : « Je ne me suis jamais imaginé chanter en arabe. On m’en a dissuadé, mais je n’ai rien voulu entendre. Je voulais défendre mon identité. »
Supporter de la Jeunesse sportive de Kabylie
Avec patience et obstination, Mohamed Allaoua finit par relever le défi. Fan de ballon rond, supporter de la Jeunesse sportive de Kabylie, il écrit Baba Chikh. C’est un carton. « Cette chanson m’a permis d’honorer des contrats. Elle m’a lancée. Chez nous, on était tous JSK. La JSK joue un grand rôle en Kabylie. C’est plus qu’un club de foot ! », raconte le fils spirituel d’Idir et d’Aït Menguellet, deux figures de la chanson kabyle.
Avec eux, il a eu la chance de partager l’affiche lors d’un concert à l’AccorHotels Arena à Paris en janvier 2019 pour fêter le Nouvel An berbère. « C’était inimaginable pour moi qui ne parlais pas très bien kabyle avant ».
Depuis, Idir a tiré sa révérence, un triste mois de mai 2020, époque où le muguet est en fleur.
À la maison, celui qui a vécu principalement avec sa mère algéroise ne parlait pas souvent berbère, alors que son père passait la plupart de son temps dans cette terre kabyle, cœur de la résistance au colonialisme français, aux hivers rigoureux et aux étés arides.
« Par amour, j’ai fait des pieds et des mains pour apprendre correctement le kabyle. J’apprenais même par cœur les chansons d’Aït Menguellet », avoue cet héritier, qui comme Idir, exporte et modernise la chanson kabyle. « J’ai envie d’apporter un nouveau style pour coller à mon époque », dit-il emmitouflé dans sa doudonne grise qui lui donne cet air décontracté.
Chanter le désœuvrement de la jeunesse algérienne
Parmi les sujets abordés dans son nouvel album, figure aussi le mouvement populaire du Hirak, évoqué à travers la chanson L3issaba, qui fait allusion entre autres à la morosité du quotidien, au chômage de masse et au désœuvrement de la jeunesse algérienne.
Si les chansons de Mohamed Allaoua traitent souvent d’amour, de liberté, de la culture tamazight, le quadragénaire a connu les affres de la censure.
Bien avant le début des manifestations qui ont secoué l’Algérie en 2019 et 2020, Mohamed Allaoua s’inspire du berbériste Slimane Azem et chante Khalouta, un hommage à la jeunesse algérienne qui n’a ni travail, ni loisir. Conséquence : il n’est plus programmé sur la télévision d’État, ne peut plus jouer dans les salles gérées par le ministère de la Culture algérien.
« Il n’y a jamais eu de liberté en Algérie et en Kabylie », dit-il sans animosité. Et d’ajouter : « C’est Matoub Lounès (auteur-compositeur-interprète et poète algérien d’expression kabyle assassiné le 25 juin 1998, ndlr) qui nous a rendus fiers de notre identité. Il s’est battu pour la reconnaissance de la culture berbère. C’était un vrai rebelle. »
Après une lutte de plus d’un demi-siècle, la population berbère d’Algérie a enfin obtenu que sa langue, le tamazight, soit reconnue comme langue officielle en 2016 par le Parlement algérien.
La Kabylie, son « paradis sur terre »
La Kabylie est pour Mohamed Allaoua un « paradis sur terre ». « J’adore que l’on me demande d’où je viens. Je peux répondre avec fierté : ‘Je suis Kabyle' », lâche-t-il dans un grand éclat de rires. Là-bas, entre mer et montagne, Allaoua se ressource au côté de son ami acteur, humoriste et écrivain Fellag et d’autres artistes berbères, à la recherche d’inspiration, sans se bercer d’illusions.
« J’ai un public très exigeant, avance-t-il. La chanson kabyle se base beaucoup sur le texte. S’il est fidèle, le public n’accepte pas n’importe quoi. Je suis fier des gens qui me suivent. » Sans lui demander, on se doute bien que Mohamed Allaoua, enfant d’Alger, ne fera rien d’autre que chanter pour le reste de sa vie. De toute évidence, en kabyle.