Huit ans après sa disparition, Mohamed Demagh, surnommé « le loup blanc des Aurès », reste une figure incontournable de l’art algérien. Sculpteur, témoin de la guerre et rebelle dans l’âme, il a façonné la mémoire des Aurès et la mémoire de l’Algérie dans chaque éclat de bois brûlé et chaque morceau de métal. Cet hommage est une plongée dans la vie d’un homme entier, fidèle à ses combats et à son art.
Un atelier, une forteresse de mémoire
Né le 4 juillet 1930 à Batna, Mohamed Demagh a grandi au cœur des Aurès, là où la terre et les hommes forgent la résistance. La guerre de Libération l’a marqué profondément : le 24 juin 1956, il survit à un bombardement français dans le maquis où 35 compagnons périssent. Il refuse plus tard de partir combattre en Indochine. Ces blessures et ces choix font de lui un artiste engagé, fidèle à ses valeurs et à sa mémoire.
Son atelier à Batna n’était pas seulement un lieu de travail. C’était une forteresse où chaque débris, chaque morceau de bois brûlé par le napalm français prenait vie sous ses mains. « Ce bois a souffert, me disait-il, je veux lui redonner vie », et c’est exactement ce qu’il faisait, transformant la matière calcinée en œuvres chargées de mémoire et de révolte.
Un homme, des gestes et des souvenirs
Je me souviens du quartier du Stand, au 35 rue des Frères Guelil. Il préférait m’appeler « fils de… », suivi du nom de ma mère. Chez lui, l’atelier débordait de sculptures et de souvenirs, mais aussi d’odeurs de cuisine : sa marmite d’escargots, qu’il préparait à merveille, était un art en soi.
Mohamed Demagh refusait les titres et les honneurs. Un jour, alors que je tentais de récupérer ses archives pour en faire des copies, il me montre une photo avec Ben Bella :
— « Tu le connais, toi, Ben Bella ? »
Puis, presque en chuchotant : « Moi, je suis un combattant, pas un moudjahid. »
Une autre photo le montre avec Issiakhem et Kateb Yacine, ses compagnons d’âme et de révolte, tous trois inséparables dans leur refus de l’oubli et de la compromission.
Le geste qui en dit long
Une anecdote résume son audace : lors d’un exposé à Alger, le président Chadli Bendjedid lui tend la main. Lui, couvert de poussière de fer, lui tend sa manche à la place : « Mes mains sont sales. »
Simple geste, mais symbole de sa dignité et de sa fidélité à son art. Il ne trahissait ni ses valeurs ni son métier.
Tahar Djaout avait parfaitement saisi son talent : « Dans son atelier de Batna, Mohammed Demagh maintient le bois en éveil… Le corps de l’objet sculpté devient un champ de cris et de signes où chaque observateur peut loger ses propres visions et sa propre lecture. »
Héritage et mémoire
Mohamed Demagh n’était pas seulement un sculpteur : il était un témoin. Ses œuvres racontent la guerre, l’exil, la colère, mais aussi la beauté d’un peuple. Chaque sculpture est un cri muet, une trace vivante de l’histoire. Huit ans après sa disparition, Batna et l’Algérie continuent de ressentir sa présence dans chaque pièce, dans chaque geste de résistance artistique.
Bio express :
Nom : Mohamed Demagh
Surnom : Le loup blanc des Aurès
Naissance : 4 juillet 1930, Batna
Décès : 16 août 2018, Batna
Profession : Sculpteur
Faits marquants : Survivant d’un bombardement dans les Aurès en 1956, ami de Kateb Yacine et Issiakhem, créateur d’œuvres avec bois calciné et fer recyclé, prix au Festival panafricain d’Alger en 1969.
Style : Sculpture engagée, mémoire de la guerre et des Aurès, audace des formes et liberté plastique.