Mercredi 9 décembre 2020
Mohamed Djouhri, dors parmi tes joyaux comme un pharaon
Ah, si la culture algérienne savait combien de génies se sont dilués dans l’indifférence comme des volutes de fumée, la bouche emplie de cendre, combien de musiciens se sont pendus avec la corde de leur guitare, combien de poèmes se sont noyés dans leurs larmes, combien d’humoristes ont succombé à leur chagrin, combien de champions se sont décomposés au pied des piédestaux sans gloire, combien de mains tendues se sont perdues dans l’indifférence, combien d’idoles, combien de faiseurs de bonheur, combien de tisserands de rêves, combien d’immenses générosités se sont évanouis dans la vallée des ténèbres, une main devant, une main derrière alors qu’il aurait suffi d’une présence d’esprit pour que la nuit remballe sa noirceur afin que l’esprit s’illumine de mille soleils… Mais, notre culture ignore jusqu’à sa peine et personne n’en a cure.
Où sont passés les Boulmerka, les Morsli, les Soltani, les Kouiret, les Rahal Zoubir, les Guerrouabi, les Yasmina, les Rahou Boualem, les Krikèche, les Chafia Boudraa, enfin toutes ces femmes et tous ces hommes dont le talent inspirait tant de vocations et qui ne voient plus grand-chose venir malgré les promesses et les serments.
Je suis triste, effondré. Je viens d’apprendre que Mohamed Djouhri n’est plus, que ce comédien qui crevait l’écran pour nous saisir dans sa poigne et nous secouer, cette personne magnifique qui savait si bien s’effacer devant les personnages qu’elle interprétait avec brio, eh bien, cet ami aussi intime qu’inconnu s’en est allé à tire-d’aile comme si de rien n’était. Et dire qu’il avait encore mille rôles à jouer, et dire qu’il aurait pu en jouer mille autres si notre cinéma n’avait pas rendu le tablier et les accessoires qui vont avec, et dire que sa virtuosité n’a jamais eu une scène à sa mesure, lui dont l’envergure débordait les planches, lui dont l’ardeur « réchauffait » les feux de la rampe.
Je suis triste de constater combien de bonheurs nous filent entre les doigts parce que nous n’avons pas su les mériter, ou parce que nous n’avons pas su les saisir au vol comme toutes les chances qui se sont offertes à nous et auxquelles nous avons tourné le dos.
Je ne crois pas avoir croisé « Joe » sur mon chemin un jour ou un soir, et je le déplore. Comme je déplore toutes les belles rencontres que je ne ferai jamais. Hélas, si tous les chemins mènent à Rome, les chemins de mon folklore ne savent où donner de la tête…
Ah, si la culture de mon pays savait, mais que devrait-elle savoir au juste ? Notre talent, notre chagrin, nos voeux les plus chers ou bien seulement la portée de leurs complaintes ?
J’ose espérer que nos peines d’aujourd’hui rendront nos joies de demain plus grandes que tous les rêves que l’ignorance et l’ingratitude nous ont confisqués.
Dors bien, Mohamed Djouhri, dors parmi tes joyaux comme un pharaon, dors comme si l’éternité était tes lauriers, dors et sache ton souvenir veille et veillera toujours sur ceux qui ont compris que, sans une culture saine et forte, aucun sacrifice ne mérite sa peine.