« Je crois que l’un des principaux titres de gloire de la France, c’est qu’elle est venue de ce côté-ci de la mer pour réveiller un monde assoupi et lui montrer les vertigineuses perspectives des temps modernes. Elle a ainsi permis au Maghreb de prendre conscience de ses possibilités », nous enseigne le cheikh Mohamed-Said Zahiri (1899-1956) sur les colonnes de La Dépêche quotidienne d’Algérie du 3 juillet 1954.
Il est l’un des plus tortueux cheikh zaytounien algérien que l’on considère aujourd’hui comme l’une des références de l’islam d’État. Élevé au «33ᵉ grade » de la littérature religieuse du pays, il n’est autre que celui qui a été exécuté par un fedayin du FLN-ALN le 21 mai 1956, devant son domicile de la rue de la Lyre (Alger). La sentence est approuvée par Abane Ramdane en personne, le condamnant pour collaboration avec la police politique de la colonisation. Sa réhabilitation en Algérie d’après 1982, s’est faite en toute discrétion à un moment où les leaders de l’opposition ne pouvaient s’exprimer librement.
C’est Hocine Aït-Ahmed, chef historique de l’OS qui avait le premier relevé dans son Mémoire d’un combattant que « cet homme d’âge mûr (il avait passé la cinquantaine) j’ignorais tout, sauf qu’il avait fait ses études dans deux prestigieuses universités islamiques (…) En compagnie de Rihani et Sid-Ali, il rendait souvent visite à Messali, qui nous parla un jour en terme des plus flatteurs (…) Il faudrait des années avant que découvrant des preuves flagrantes, le FLN apprenne que le cheikh Zahiri était l’homme du colonel Schoen, le chef des Services des Liaisons Nord-Africaines, autrement dit, du renseignement » (p. 108).
De son côté, Sadek Hadjerès dans sa contribution août 1949 : au-delà de Ferhat Ali (2006), écrivait : « Dans tous les cas, objectivement, les services français n’ignoraient pas ce qui bouillonnait dans les milieux d’Alger, de Kabylie et d’autres régions du pays ainsi que dans la Fédération MTLD de Paris. Ces services avaient déjà mené leurs opérations de dévoiement d’ « Al-Maghreb Al-Arabi» qui fut un moment l’organe de presse officieux du MTLD, dirigé par leur agent, le cheikh Zahiri. La mission de ce dernier était de propager nombre de confusions très nocives pour la vocation d’un nationalisme libérateur » (p. 2).
Un Sadek Hadjerès qui s’interrogeait sur le démantèlement aussi rapide des organismes de l’OS, notait avec justesse : « Les archives de la police coloniale, si elles ne sont pas escamotées, nous renseigneront sur les secrets de ses arrestations, opérées étrangement à un pareil « bon moment ». Les deux figures patriotiques aux horizons politiques bien divergeant, avançant un même témoignage sur cet énigmatique personnage, aujourd’hui, objet « d’études» et de rencontres par les milieux de l’islamisme universitaire. Totalement réhabilité et entièrement « blanchi » de son intelligence avec la colonisation, nous interroge sur tout l’intérêt d’une demande de repentance de la part de l’ancienne puissance coloniale.
Le cheikh Zahiri est une partie intégrante de la famille des oulémas certificateurs de l’unicité séculaire et de l’invariable histoire culturelle algérienne ! C’est un turban rouge qui entra, un jour, en rivalité avec son homologue El-Ibrahimi, afin de l’accuser d’être un membre d’une Loge maçonnique de Sétif… Fielleux et dogmatiques face aux idées de progrès, les cavernicoles de la réaction islamo-fasciste s’alignent en légions de volontaires serviteurs derrière celui qui, dans un éditorial de son Al-Maghreb Al-Arabi, qualifia Ferhat Abbas de « Monsieur le respectable mulet ».
L’injurieux homme du saint Livre de l’islam, croyait répondre aux propos du Dr. Abbas où il aurait dit, lors d’une de ses rencontres électorales, que « les gens du PPA veulent aller vite, à l’allure d’un cheval, mais un cheval risque de buter et de s’effondrer. Nous préférons l’allure d’un mulet qui est plus lent, mais plus sûr ». C’est par ce verbe que M. S. Zahiri menait sa campagne politique. Un rudiment de l’éveil spirituel, le cheikh de la DST coloniale est aujourd’hui un dévot du nouvel ordre de pensée. De la publication de sa biographie dès 1982 au tout récent numéro spécial Politis-El-Moudjahid de novembre 2021, c’est toute une linéarité idéologique qui verse dans un même delta : celui de l’onction de la momie. Blanchi plus que le blanc de toute incrimination, le cheikh Zahiri est devenue une icône de la « quincaillerie » islamiste en Algérie.
Son itinéraire politique est riche en détours entre la section des Oulémas de Tlemcen aux rejetons du MTLD-MNA de Messali, en passant par le Bloc ouvrier des musulmans de l’Oranais (BOMO) du Front populaire. Encouragé par l’émir Druze Chekib Arslan lorsqu’il trifouillent quelques nouvelles “littéraires”, il accédera au porte-voix de la haine de tout ce qui représente l’Occident, et ce, en apparence. Le cheikh Zahiri, ex-candidat de l’Union populaire, au 2ᵉ collège durant les municipales d’avril 1953, considère que l’Association des Oulémas qu’il quitta en 1938, avait pour mission « de créer des medersas, de les entretenir et de leur choisir des éducateurs… » et non de faire différentes alliances avec les partis politiques. Des propos qui ont fait l’objet d’une longue interview, méconnue de nos jours, qu’il donna au journaliste Jean Brune (1912-1973) de La Dépêche quotidienne d’Algérie entre le 30 juin et le 3 juillet 1954 et qui sera reprise par L’Echo du Soir d’Oran, du 2 au 30 novembre de la même année.
Une rencontre qui dresserait bien les poils du sanglier, mais que les adeptes des « loges messianiques » de l’Arabisme, ne sont pas prêts à lire. Tout comme ses écrits d’animateur de la page islamique du quotidien Oran-républicain, avant de renier son appartenance au marxisme ouvriériste, il ne manquera pas d’assister, en janvier 1939, au vin d’honneur à l’occasion de la tournée de Maurice Thorez en Algérie. Quelques années après, on ne dira mot sur son rôle durant le règne de l’Administration vichyste en Algérie, une sorte d’hibernation obligatoire pour se ressourcer. MTLD, UDMA et Oulémas, tous victimes des communistes Habilement menée par le journaliste Jean Brune, l’interview fleuve du cheikh est une page d’histoire de cet entrisme islamiste au sein de ce mouvement national. Et avec dissimulation, l’enfant de Aïn-Bessam et ami d’Albert Camus, notait qu’à une époque où « les violences politiques ne respectent plus rien, et où la fourberie des propagandes tire l’essentiel de sa force de la confusion, l’Association des Oulémas ne pouvait pas être entraînée à se mêler aux luttes politiques ».
Sage pensée de quelqu’un qui trouva en cheikh Zahiri, le rétrograde artilleur qui, par son tir croisé, n’épargnera personne à quelques mois du « séisme armée » de la “Toussant” indépendantiste. Pour le cheikh Zahiri, la masse musulmane en Algérie, souhaitait que ces Oulémas restent dans les limites du rôle d’éducateurs religieux. Mais, certains d’entre eux « n’ont pas su résister aux tentations de la politique ». Parmi eux, selon M. S. Zahiri, le cheikh El-Ibrahimi qui se trouvait au moment de cette interview, au Caire et aux côtés de Sayed Kotb, le leader des Frères Musulmans d’Egypte.
El-Ibrahimi « est sorti de son rôle de guide neutre pour prendre parti pour l’UDMA », estime Zahiri. Il aurait même écrit un article dans un quotidien communiste algérien, sous le titre de « Pourquoi je suis pour l’UDMA ? ». Suite à cette « dérive du cheikh », le quotidien en question avait tiré, selon Zahiri, quelque 100 000 exemplaires de l’article et publié sous la forme d’un tract bilingue.
Les adhérents de l’Association avaient compris que leur structure risquait de devenir un parti politique, par cette « machination communiste » (Zahiri) ; selon ce dernier, seul le cheikh Tayeb El-Okbi « représentait la résistance à cette évolution ». Il avait compris que « l’Association des Oulémas ne jouerait son rôle de gardienne de la tradition musulmane que si elle savait éviter les compromissions de la politique ». Mais que représente réellement l’Association des Oulémas en cette année 1954 ?
Selon Zahiri, elle voulait « être à la fois un parti politique et un arbitre de la fois au-dessus des Partis, (elle) n’est naturellement ni l’un ni l’autre ». Zahiri visera plus loin dans son interview, le cheikh Larbi Tébessi qui, tout en étant le président de l’Association est aussi président du Front Algérien une coordination politique des trois Partis algériens ce qui laisse à Zahiri de dire, « qu’au lieu de faire un appel en faveur des medersas, et les masses musulmanes eurent compris la portée d’un tel geste !.. » Il a préféré de participer à un appel de fonds en faveur d’un quotidien communiste (Alger-républicain).
C’est pour cette raison, dira le cheikh Zahiri, qu’il avait quitté l’Association pour « être libre de participer aux controverses politiques sans y entraîner les Oulémas qui n’ont rien à y faire ! ». Que pensait le chantre du réformisme religieux douteux, des marabouts ? La question de Jean Brune est d’autant plus d’actualité à cette époque, puisque M. S. Zahiri s’est rapproché de l’Association des Zaouïas déjà dès 1938, comme valeur d’un réformisme traditionaliste sûre et l’impacte des marabouts sur la masse musulmane « Est énorme ! Les marabouts représentent, noteront Zahiri, la plus grande force algérienne. Mais leur influence politique reste restreinte. C’est un parti en puissance à qui il ne manque qu’un chef. Avant la guerre, les marabouts collaboraient étroitement avec l’Administration. Ils ont été l’objet de telles attaques qu’ils se sont repliés sur eux-mêmes. Si demain, ils trouvaient un chef, ils seraient susceptibles de peser efficacement sur les masses pour jouer un rôle politique capital ! ».
Pour M. S. Zahiri, le malheur des marabouts est l’absence du leader qui mettrait fin à leurs interminables et graves « rivalités personnelles ». Une manière de se proposer comme candidat à la chefferie de la mouvance la plus réactionnaire et des plus dangereuses politiquement. L’auteur de la nouvelle François et Rachid, 1925 en arabe, a été longtemps salué comme une des plus marquantes référence de la littérature d’écriture arabe en Algérie.
Avant de se « racheter » dans cette interview, il fut l’un des premiers auteurs oulémistes à évoquer cette origine arabe des Berbères. À la question sur la différence capitale entre Kabyles et Arabes, le cheikh Zahiri et après quelques secondes de méditations, il répondra en français en affirmant que « les Berbères sont dynamiques et volontiers portés vers l’aspect concret des choses. Ils bougent beaucoup et ne méditent pas. Les Arabes sont nonchalants et se laissent séduire par les fascinations abstraites de l’absolu. Ils ne remuent pas… Mais ils méditent beaucoup ! ».
Craignant que ses propos ne soient interprétés comme une forme d’hostilité envers les Berbères, il précisera que « Attention ! Je ne suis pas anti-berbères, loin de là… et il faut se souvenir que le PPA a chassé les berbéristes qui voulaient dissocier les Berbères des Arabes ! ».
Cheikh Zahiri un virulent du macarthisme !
Si Messali Hadj, selon M. S. Zahiri, est surtout « un homme habile et réfléchi » avec un cœur qui a toujours détesté le communisme, la création du PPA est bien passé par la consultation de l’émir Chekib Arslan bek qui l’a encouragé dans la voie de « soustraire les masses musulmanes à l’influence néfaste du marxisme ». Le PPA était donc l’instrument arabiste permettant « d’arracher la jeunesse et les travailleurs musulmans du communisme ».
Le cheikh natif de Liana (Biskra) interrogera à cet effet, sur l’existence d’un Parti communiste en Algérie, alors que dans le reste du Monde arabe, ils n’existent nullement. L’auteur du pamphlet salafiste intitulé, L’islam a besoin d’être prêché et prosélytisé ( 1929, en arabe ) considère la situation politique de l’Algérie de juin 1954 est désespérée, puisque « la controverse, dit-il, qui sépare les deux communautés humaines qui s’affrontent en Afrique du Nord au lieu d’essayer d’apprendre à vivre ensemble, est arrivée à un tel degré de tension qu’il est presque impossible d’on aborder la discussion ».
Dès qu’il s’agit de parler de réformes, précise Zahiri, « les Français imaginent que l’on rêve de les chasser par la violence..» et si l’on tente d’expliquer aux Musulmans « les raisons de la conduite française, ils se demandent dans quel piège on veut les faire tomber…». Face à ce dilemme, il y a toujours ce communisme comme source de tous les malheurs politiques des musulmans algériens. C’est cette « menace rouge » qui exploite les impatiences et aggrave la tension, selon le cheikh Zahiri, et les communistes qui soufflent « sur toute les flammes de la rancœur… et ils poussent les exaltés à accomplir des gestes irréparables !..».
En conclusion, le cheikh de la religion de la soumission à l’ignorance, s’est exclamait de son vivant, qu’il fallait faire « quelque chose avant qu’il ne soit trop tard ! ». Mais son employeur de l’époque, François Mitterrand ministre de l’Intérieur de l’époque, n’avait d’écoutes que ses seules sirènes pétainistes.
Mohamed-Karim Assouane, universitaire.

