Mohammed Dib, un des fondateurs de la littérature algérienne d’expression française, a trempé sa plume dans le quotidien du peuple algérien colonisé pour affirmer l’identité nationale en l’introduisant dans le champ littéraire et lui donner une « existence » dans sa première trilogie publiée avant et pendant la Guerre de libération.
L’auteur de « La grande maison », roman majeur paru en 1952, a œuvré pour affirmer une « existence » algérienne, marginalisée par l’ordre colonial qui l’a réduite à une « population autochtone colonisée et dépourvue de toute civilisation ».
Auteur prolifique, il a fait son entrée dans l’écriture littéraire en publiant successivement « La grande maison », « L’incendie » en 1954, et « Le métier à tisser » en 1957, une trilogie qui suffira à brosser le tableau de la vie de l’Algérien marginalisé et éprouvé par la misère et les affres du colonialisme.
Mohammed Dib avait déclaré, à ce sujet, que les écrits de romanciers français avaient une vision particulière de l’Algérie, une vision qui, pour les Algériens comme lui, « n’avait aucun sens et ne correspondait pas à la réalité ». « En tant qu’écrivain algérien, j’ai ressenti le besoin et le devoir de décrire, de dire cette réalité », avait-il dit dans une interview à une revue littéraire.
Comme les écrivains de sa génération dont Mouloud Mammeri, Mouloud Feraoun et, plus tard, Kateb Yacine, Mohammed Dib décrit et dénonce l’hégémonie du système colonial et sa négation à l’encontre du colonisé, marginalisé et meurtri par la faim, la misère, l’analphabétisme et la spoliation. Conscient du rôle que peut jouer la littérature comme arme de revendication, il affirme qu’il « suffisait à l’époque de décrire un paysage algérien pour faire acte de foi et amener l’Algérie à l’existence littéraire ».
L’universitaire Nadjet Khedda, spécialiste de la littérature algérienne, considère que Mohammed Dib compte parmi les auteurs qui ont œuvré, par la littérature, à la « la construction d’une identité » algérienne.
Né le 21 juillet 1920 à Tlemcen, Mohamed Dib, qui avait déjà exercé plusieurs métiers, notamment enseignant, comptable, dessinateur ou encore fabricant de tapis, a publié son poème « Eté » en 1946, dans la revue suisse « Lettres », suivi en 1947 de « Véga » dans la revue « Forge » dirigée à Alger par l’écrivain français Emmanuel Roblès.
En 1948, lors d’une rencontre organisée par le mouvement de jeunesse et d’éducation populaire à Blida, il fait la connaissance d’Albert Camus, Jean Sénac et de Jean Cayrol, qui publiera ses premiers romans en France.
A la sortie de son roman « La Grande Maison » en 1952, Dib travaille en tant que journaliste à « Alger républicain » et a pour collègue celui qui deviendra le célèbre auteur de « Nedjma », Kateb Yacine.
Après le recueil de nouvelles « Au café » (1955), le roman « Un été africain » (1959) et les contes pour enfants « Baba Fekrane » (1959), Mohammed Dib entame un nouveau cycle romanesque avec « La danse du roi » (1968), « Dieu en barbarie » (1970) et « Le maître de chasse » (1973), des romans nourris du vécu de la société algérienne postindépendance.
L’auteur gagne encore en notoriété auprès du grand public avec l’adaptation à l’écran de ses romans « La Grande maison » et « L’incendie » en feuilleton télévisé intitulé « El Hariq », réalisé en 1972 par Mustapha Badie.
A cette période, Mohammed Dib avait enseigné aux Etats-Unis et se rendait régulièrement en Finlande pour des travaux de traduction d’écrivains de ce pays nordique. Ce voyage a donné naissance à une « trilogie nordique » publiée à partir de 1989 avec « Les terrasses d’Orsol », « Neiges de marbre » et « Le sommeil d’Eve ».
Son œuvre continue de s’enrichir avec des textes pour le théâtre comme « Mille hourras pour une gueuse », présentée au Festival du théâtre d’Avignon en France, ou le récit poétique « L’aube d’Ismaël » (1996) adapté récemment sur les planches.
Disparu en 2003 à l’âge de 82 ans, Mohammed Dib aura laissé une œuvre foisonnante, considérée comme la « plus importante » de la production littéraire algérienne en langue française.
Depuis 2001, un prix littéraire du nom de Mohamed Dib est organisé par l’association culturelle « La Grande Maison », avec le consentement de l’auteur de son vivant, dans le but de promouvoir son œuvre à travers notamment l’organisation d’ateliers d’écriture, de théâtre et de cinéma.
A l’occasion du centenaire de sa naissance, une version enrichie de l’ouvrage « Tlemcen ou les lieux de l’écriture », reconstituant l’essentiel de l’univers de l’écriture de Dib qu’il avait lui-même immortalisé en photographies en 1946, a été rééditée en 2020 par l’éditeur algérien « Barzakh ».
Avec APS